Alors que je l’aurais pas supposée aussi fréquente au moment où j’ai commencé à me pencher sur l’avenir climatique, la confusion entre deux grands problèmes d’environnement qui se passent « au-dessus de notre tête » que sont l’augmentation de l’effet de serre et le « trou dans la couche d’ozone » est finalement assez courante, y compris chez des journalistes ou hommes politiques (j’ai des noms !).
Ces deux phénomènes ont certes des points communs, qui expliquent bien entendu cette confusion. En voici – au moins – quelques uns :
- changement climatique et destruction de l’ozone en altitude sont deux phénomènes qui résultent d’émissions humaines de certains gaz particuliers : les CFC dans l’autre, ces derniers, pour compliquer un peu la chose, étant aussi des gaz à effet de serre !
- il s’agit dans les deux cas d’un processus qui concerne l’atmosphère de manière globale, c’est à dire que le lieu d’émission des gaz en cause est sans importance, parce que leur durée de vie dans l’air est suffisamment longue (des décennies ou des siècles dans les deux cas) pour que le brassage rende la concentration – et donc les conséquences – homogène à peu près partout,
- autre conséquence de la longue durée de résidence de ces gaz, il s’agit dans les deux cas d’un phénomène qui n’est pas réversible à court terme, à supposer, pour le changement climatique, qu’il soit réversible tout court avant la disparition de l’homme de cette planète,
- il s’agit dans les deux cas d’un problème qui a donné lieu à la signature d’un protocole international par lequel les pays s’engagent à une action : le protocole de Montréal dans le cas de l’ozone stratosphérique (mais ce protocole ne concerne en rien l’effet de serre) et le protocole de Kyoto pour le changement climatique (qui ne concerne pas les gaz destructeurs de la couche d’ozone),
- enfin la diminution de la couche d’ozone a un effet sur le climat, bien que ce ne soit pas le premier facteur responsable du changement climatique : si la « couche d’ozone » s’amenuise, moins d’ultraviolets sont interceptés dans la haute atmosphère, et donc un peu plus d’énergie solaire parvient au sol, ce qui intensifie le chauffage par le bas de l’atmosphère, et donc modifie un peu le climat.
Les différences entre changement climatique et diminution de l’ozone stratosphérique
Mais il y a bien sur des différences fondamentales entre ces deux phénomènes que sont le changement climatique et le « trou » dans la couche d’ozone :
- pour l’essentiel, les gaz à effet de serre, qui causent le changement climatique, ne perturbent pas la couche d’ozone,
- le rôle joué par les gaz à effet de serre est purement physique : ils perturbent les échanges d’énergie dans l’atmosphère, mais ils n’engendrent aucune réaction chimique qui est la cause du problème.
- Au contraire, c’est le rôle chimique joué par les CFC qui est la source du problème pour l’ozone en haute altitude (même si les ultraviolets du soleil sont indispensables),
- ce ne sont pas les mêmes marge de manœuvre qui sont disponibles pour atténuer le problème : pour l’ozone, les émissions en cause (les CFC) sont circonscrites à quelques domaines industriels (voir plus bas), alors que pour le changement climatique, c’est l’usage de l’énergie, c’est à dire la sève même de nos sociétés modernes, qui est en cause,
- enfin les deux perturbations ne nous font pas courir les mêmes risques :
- l’effet premier d’une diminution de la « couche d’ozone » est une augmentation de la quantité d’ultraviolets qui parviennent au sol. Cela peut provoquer des dommages sanitaires directs (cancers…) mais impacte également les écosystèmes, notamment en inhibant plus ou moins fortement la photosynthèse (toutefois pour avoir de graves ennuis il serait nécessaire d’avoir une diminution de la « couche d’ozone » bien supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui),
- un effet de serre brutalement renforcé aura pour sa part comme effet premier de modifier les températures au niveau du sol, et le cycle de l’eau, avec des risques spécifiques, potentiellement gravissimes.
Les différences entre l’ozone du « pic » et l’ozone de « la couche »
Pour compliquer encore un peu les choses, il y a deux endroits où l’on peut trouver des concentrations en ozone dans l’atmosphère :
- dans la haute atmosphère (dans la stratosphère, très exactement), c’est le « bon » ozone, celui qui arrête les ultra-violets,
- près du sol, c’est le « mauvais » ozone, celui des pics de pollution, qui nous brûle les yeux et nous irrite la gorge.
S’agit-il du même ozone ? Absolument ! Simplement dans la haute atmosphère nous ne le respirons pas, et nous voyons donc juste son effet positif. Dans la basse atmosphère, il intercepte aussi les UV, du reste, mais là nous le respirons !
Il est aussi essentiel d’indiquer que l’ozone « du haut » et l’ozone « du bas » ne communiquent pas entre eux. Ils ont chacun leur cycles, avec des mécanismes de formation et d’élimination qui sont propres. De l’ozone formé près du sol n’ira jamais se mélanger à de l’ozone formé en altitude, et vice versa :
- Dans la haute atmosphère, tant la formation que l’élimination sont principalement le résultat du rayonnement ultraviolet qui agit sur l’oxygène pour créer l’ozone, et sur l’ozone pour créer de l’oxygène. Divers éléments chimiques (dont les CFC justement) peuvent déplacer la concentration d’équilibre en ozone dans un sens ou dans un autre,
- Dans la basse atmosphère, la formation nécessite des « précurseurs », souvent des polluants locaux (hydrocarbures, oxydes d’azote), qui réagissent sous l’effet du soleil (il faut donc aussi un peu d’énergie sous forme de rayonnement) pour produire cet ozone. Son élimination est ensuite purement chimique (l’ozone est un oxydant plus puissant que l’oxygène et finit par oxyder « quelque chose » en perdant un atome, à la suite de quoi il redevient du simple oxygène ou se combine totalement en oxyde).
Mais pendant que l’ozone du haut diminue, celui du bas augmente !
Tout le monde sait, maintenant, que l’ozone « du haut » (celui de la stratosphère) diminue. Mais il est courant de penser que près de la surface il n’y a que les villes, l’été, qui sont concernées. Il y a assurément une telle augmentation de l’ozone au-dessus des villes en été, mais en fait l’ozone près du sol a aussi augmenté partout et tout le temps.
Concentration moyenne d’ozone près du sol, pour l’époque pré-industrielle (année 1750), reconstituée avec le modèle Mozart.
La figure du dessus concerne janvier, celle du dessous juillet. Les concentrations sont données en parties par milliard en volume, notées ppbv (1 ppbv = 1 m3 par km3 = 0,0000001%).
Source : Didier Hauglustaine, conférence AFITE/LSCE d’octobre 2003 au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
Concentration moyenne d’ozone près du sol actuellement (bien sûr le modèle donne les valeurs mesurées quand ces dernières sont disponibles).
Pas un endroit de la planète n’est épargné par la hausse, quelle que soit la saison.
Source : Didier Hauglustaine, conférence AFITE/LSCE d’octobre 2003 au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
Est-ce que cette augmentation a quelque chose à voir avec le changement climatique ? Oui, à double titre :
- Comme l’ozone est un gaz à effet de serre, son augmentation près du sol va augmenter l’effet de serre, et cela va donc contribuer à un changement climatique accru. En première approximation, la concentration moyenne d’ozone augmente avec la consommation de combustibles fossiles, et avec la quantité de feux de forêt.
Augmentation possible de l’ozone à la surface de la Terre, en ppbv, entre 2000 et 2100, en faisant la moyenne des résultats donnés par 10 modèles différents.
L’augmentation est particulièrement sensible en Asie et en Inde (accroissement de la quantité de combustibles fossiles consommés), et en Afrique (augmentation des feux de forêt).
Pour certaines régions du globe, cette augmentation conduirait à un doublement ou un triplement des valeurs actuelles.
Source : Didier Hauglustaine, conférence AFITE/LSCE d’octobre 2003 au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
- Si nous prenons un peu d’altitude, mais sans aller jusque dans la stratosphère, l’ozone augmente aussi, surtout si l’on s’intéresse aux avions…
Augmentation de l’ozone en 2050 à 10 km du sol, avec le scénario d’émissions A2 (qui est très pessimiste, voir la page sur les scénarios d’émission), obtenue avec le modèle INCA.
Source : Didier Hauglustaine, conférence AFITE/LSCE d’octobre 2003 au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
Même simulation, en incluant les émissions des avions, qui suivent le scénario Fa1 du rapport 1999 du GIEC sur les avions.
Source : Didier Hauglustaine, conférence AFITE/LSCE d’octobre 2003 au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
- Si nous revenons près du sol, l’ozone y a un effet désormais bien connu : c’est un inhibiteur de la croissance des plantes. Une augmentation de l’ozone près du sol pourrait (va ?) affaiblir la photosynthèse des plantes, un processus qui retire naturellement du CO2 de l’atmosphère. Cet effet n’est pas pris en compte dans les simulations qui conduisent à la « fameuse » fourchette de 1,4 à 5,8 °C d’augmentation de la température moyenne d’ici 2100. Lorsque cet effet sera pris en compte, on peut craindre que les prédictions gagnent en pessimisme, exactement comme cela est le cas avec la prise en compte de l’effet d’un début de changement climatique sur le cycle du carbone.
Les gaz en cause dans la destruction de la « couche d’ozone »: les CFC
Le sigle CFC est une abréviation du mot « chlorofluorocarbures ». Cette famille de gaz comporte de nombreux représentants, qui sont cependant tous bâtis sur le même principe : pour obtenir une molécule de chlorofluorocarbure, on prend une molécule d’hydrocarbure (le méthane, c’est à dire le gaz naturel de nos cuisinières, le propane, le butane, ou encore l’octane, que l’on trouve dans l’essence, sont des hydrocarbures) et on y remplace en totalité l’hydrogène par une combinaison de chlore (d’où le radical « chloro » dans le mot chlorofluorocarbure) et de fluor (d’où le radical « fluoro » dans le mot chlorofluorocarbure).
La formule générale d’une molécule de ce gaz est donc CxClyFz : elle contient seulement du carbone, du chlore, du fluor.
Les CFC sont à la fois des gaz à effet de serre très puissants (ils interceptent efficacement les infrarouges émis par la surface de la terre, et ont une durée de vie dans l’atmosphère de plusieurs siècles), et surtout des précurseurs de la destruction de l’ozone stratosphérique. C’est ce deuxième effet qui a justifié l’interdiction progressive de leur production.
Pourquoi les a-t-on utilisés, alors ? Bien évidemment, au moment de leur essor, leur effet sur l’ozone en haute altitude n’était pas connu ! Leur succès vient de ce que ce sont des molécules très stables (bien plus que les hydrocarbures), ce qui veut dire qu’elles n’ont aucune toxicité chimique pour l’homme. Par opposition un polluant classique est précisément un composé chimiquement actif, susceptible de réagir avec un grand nombre d’autres composés, et donc d’avoir des effets indésirables chez des êtres vivants qui l’inhaleraient, en avaleraient ou en toucheraient par inadvertance.
Un composé qui ne réagit avec rien ou presque, si nous en avalons ou en respirons, cela a toutes les chances d’être parfaitement inoffensif. Les CFC ont donc, souvent, remplacé des gaz qui présentaient des inconvénients sanitaires ou sécuritaires dans des applications industrielles diverses :
- ils ont remplacé l’ammoniac comme fluide réfrigérant,
- ils ont servi de gaz expanseurs pour faire des mousses plastiques (par exemple le polystyrène expansé),
- ils ont servi de solvants dans l’industrie électronique,
- comme ils ne sont pas inflammables, ils ont servi pour remplacer des hydrocarbures comme gaz propulseurs dans les les bombes aérosol, ou ont servi à remplir des extincteurs,
- etc…
Mais c’est bien parce que ces molécules sont difficiles à « détruire » qu’elles ont posé le problème d’environnement désigné sous le terme « trou dans la couche d’ozone » : ne réagissant pas une fois dans l’atmosphère, elles y séjournent suffisamment longtemps pour avoir le temps de diffuser jusque dans la stratosphère (ce qui prend longtemps parce qu’il s’agit de molécules lourdes), où elles sont « cassées » par les ultraviolets les plus durs envoyés par le soleil (on parle de photodissociation), et le chlore qu’elles contiennent est alors libéré et intervient dans des réactions complexes aboutissant à la destruction de l’ozone présent à haute altitude.
Cette destruction se manifeste notamment de manière très spectaculaire au moment du printemps dans l’hémisphère Sud, avec à ce moment là une disparition très rapide (en quelques semaines) de la quasi-totalité de l’ozone stratosphérique situé au-dessus de l’Antarctique.
Evolution au quotidien de l’étendue du « trou dans la couche d’ozone » au-dessus du pôle Sud, en millions de km², pour diverses années. A titre de comparaison, on se souviendra que l’Amérique du Nord a une superficie de 25 millions de km².
Le « trou » se définit comme l’étendue pour laquelle la concentration d’ozone est au plus de la moitié de la valeur normale (pour ceux qui aiment les détails, la valeur normale pour l’ozone stratosphérique est de 400 unités Dobson environ, et le « trou » concerne toute la zone pour laquelle cette valeur est de moins de 220 unités Dobson).
Il est facile de constater que la dégradation ne diminue pas particulièrement pour le moment : l’extension pour les années 2000 (en bleu) et 2001 (en rouge) est proche du maximum (en noir).
Source : Organisation météorologique mondiale N° 940, citant le Climate Prediction Data Center de la NOAA, 2002.
Pour les lecteurs avertis
En savoir encore plus sur le phénomène: Ozone, l’équilibre rompu, de Gérard Mégie