Voici une question qu’elle est facile : le pétrole non conventionnel est du pétrole… qui n’est pas conventionnel. Qu’est-ce que le pétrole conventionnel alors ? Il s’agit d’un pétrole ayant parcouru le cycle complet de la formation du pétrole (la lecture de la page concernant cette formation est vivement conseillée avant la lecture de ce qui suit) : création dans une roche par pyrolyse du kérogène, puis migrations primaire et secondaire, et emprisonnement dans une roche réservoir accessible depuis la terre, ou avec moins de 500 mètres d’eau quand il s’agit d’offshore. Dans ce dernier cas, ce sont les conditions d’exploitation qui sont non-conventionnelles, parce que le pétrole trouvé sous l’océan n’est pas différent, à cause de ce seul facteur, du pétrole trouvé dans d’autres circonstances.
Par déduction, le pétrole non conventionnel concerne donc :
- du pétrole qui a suivi le cycle complet « formation-migration », mais qui s’est accumulé juste sous la surface (dans du sable par exemple) où il a perdu ses éléments volatils. C’est le cas des sables bitumineux au Canada. Si l’accumulation s’est faite sous la surface mais qu’il y a quand même eu perte d’éléments volatils, cela donne des extra-lourds comme au Venezuela (mais au Canada la perte d’éléments volatils est plus importante et le pétrole plus proche du bitume),
- du pétrole emprisonné dans une roche réservoir « normale », mais accessible avec plus de 500 mètres d’eau sous la plate-forme de forage,
- du pétrole « pas tout à fait cuit », à savoir du kérogène disséminé dans une roche mère schisteuse et partiellement pyrolysé. Un tel « schiste bitumineux » (bituminous shale ou oil shale en anglais) donnera, après pyrolyse, de « l’huile de shiste ».
Il arrive aussi que soit inclus dans cette catégorie :
- les installations situées en régions polaires, qui produisent du vrai pétrole mais dans des conditions « non conventionnelles », comme pour l’offshore profond,
- les hydrocarbures liquides produits à partir de gaz non conventionnels.
En effet, puisque rentre dans le « non conventionnel » tout ce qui n’est pas conventionnel, cela laisse de nombreuses possibilités ! Et sous une désignation unique, ce terme de « non conventionnel » regroupe donc des produits extraits assez différents :
- l’offshore profond – ou le polaire – fournit du pétrole « normal », mais qui est simplement extrait dans des conditions techniques difficiles. Ce pétrole pourra néanmoins être transporté puis raffiné dans des installations « ordinaires »,
- les sables bitumineux contiennent… du bitume. Ce bitume étant mélangé à du sable, la première opération à effectuer est de séparer les deux, et pour cela on utilise de la vapeur qui fait « fondre » le bitume et permet ainsi de le récupérer sans le sable. Le traitement à la vapeur peut avoir lieu soit in situ pour les dépôts de bitume qui sont situés à quelques centaines de mètres sous terre, soit dans une usine où le mélange sable+bitume est apporté par camions massifs (dumpers) pour les dépôts de surface. L’usine qui va traiter est en fait une raffinerie d’un genre un peu spécial, parce que la proportion d’hydrogène dans le bitume est bien plus faible que pour un pétrole brut ordinaire. Du coup il faut apporter cet hydrogène soit directement – on construit une unité qui en produit – soit indirectement, en mélangeant le bitume avec un solvant avant de distiller le tout à haute température (mais il faut alors disposer du solvant, donc de pétrole conventionnel ailleurs !). La nécessité d’utiliser de la vapeur et le fait d’avoir un raffinage avec apport d’hydrogène explique que l’énergie de production de ce « pétrole non conventionnel » soit bien supérieure à ce qu’elle est pour du pétrole ordinaire : de 2 à 5 fois plus !
- les extra-lourds désignent un produit un peu plus hydrogéné que le bitume, et deux cas de figure peuvent se présenter. Soit ce « pétrole » est fluide dans le gisement, et alors il peut être extrait par pompage, mais il faut des procédés spéciaux pour tenir compte de sa viscosité très élevée (utilisation de vapeur, de solvants, ou autres procédés assimilables à ce qui est mis en oeuvre dans un gisement de pétrole pour la récupération secondaire). Soit il y est solide, et à ce moment il faut le fluidifier en injectant de la vapeur pendant un certain temps.
- les huiles de schiste s’obtiennent le plus souvent en pyrolysant « à la main » la roche qui contient le kérogène incomplètement transformé. Le rendement énergétique est alors le plus souvent négatif : il faut dépenser plus d’énergie dans le processus d’extraction et surtout de pyrolyse que le produit final n’en contient. Le plus souvent il ne s’agit donc pas de réserves à proprement parler. Il y a une exception connue dans un pays balte, mais c’est l’exception qui confirme la règle !
Ça se trouve où, cette affaire ?
Le pétrole offshore se trouve… offshore. De celui-là, il y en a un peu partout : Amérique Latine, Afrique, Golfe du Mexique, Mer de Chine, etc. Les bitumes et extra-lourds se trouvent également en plusieurs endroits, mais il n’y a que deux pays à en détenir dans les réserves prouvées :
- le Canada, dans la province de l’Alberta, qui détient les 2/3 des dépôts de bitume identifiés dans le monde (et qui est le seul pays à avoir démarré une exploitation commerciale, avec du reste des conséquences environnementales locales qui ne sont pas neutres),
- le Venezuela, dans le bassin de l’Orenoque, qui détient plus de 90% des extra-lourds connus dans le monde (ressources en place).
Quelle production possible ?
Les ressources en place sont considérables : plusieurs centaines de milliards de tonnes (environ 500, à comparer à environ 180 milliards de tonnes de réserves prouvées pour le pétrole conventionnel). Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, parce que :
- Une partie de ce pétrole n’est pas extractible avec un rendement énergétique positif (il faut donc dépenser plus de 1 baril-equivalent de pétrole pour extraire un baril de pétrole, et cela rend l’extraction non rentable – en fait la limite économique est même deux fois plus basse : si il faut plus d’un demi-baril-équivalent pour extraire un baril, il n’y a pas d’exploitation rentable possible),
- les installations d’exploitation sont très capitalistiques par unité de débit, comme pour le CTL : dans le pétrole conventionnel, il faut investir environ 20.000 $ pour extraire un baril par jour, alors que pour les sables canadiens, par exemple, c’est plutôt 200.000 $ qu’il faut investir pour produire un baril par jour. La production ne peut donc pas croître aussi vite avec ces ressources qu’avec un gisement de pétrole conventionnel.
Ceci expliquant cela, les réserves prouvées avancées par le Canada se limitent actuellement à 23 milliards de tonnes, alors que, encore une fois, les ressources en place sont plus de 10 fois supérieures. Les deux graphiques suivants présentent des hypothèses possibles de production pour ces ressources.
Un exemple de profil de production possible pour les bitumes canadiens, en milliards de barils par an.
(la production mondiale de pétrole, en 2010, est de 30 milliards de barils par an).
La courbe suit jusqu’en 2015 la projection de l’association canadienne des ingénieurs du pétrole, prolonge la croissance jusqu’en 2030 avec un triplement de la production par rapport à 2010, puis suppose une constance ensuite. La production cumulée en 2100 est alors de 140 milliards de barils environ, soit de 1/3 à la moitié des réserves ultimes.
Source : « Transport energy futures: long-term oil supply trends and projections », Australian Government, Department of Infrastructure, Transport, Regional Development and Local Government, Bureau of Infrastructure, Transport and Regional Economics (BITRE), Canberra (Australie), 2009.
Un exemple de profil de production possible pour les extra-lourds du Venezuela, en milliards de barils par an.
La courbe se base aussi sur un triplement de la production d’ici à 2030 puis une constance ensuite. La production cumulée en 2100 est alors de 60 milliards de barils environ, soit environ 20% des réserves ultimes.
Source : « Transport energy futures: long-term oil supply trends and projections », Australian Government, Department of Infrastructure, Transport, Regional Development and Local Government, Bureau of Infrastructure, Transport and Regional Economics (BITRE), Canberra (Australie), 2009.
Ces pétroles non conventionnels sont désormais pris en compte dans les simulations sur la production future. Le graphique ci-dessous montre que ces hydrocarbures non conventionnels permettent d’envisager un décalage du pic de production mondial de 5 à 10 ans pour les « liquides », mais guère plus.
Simulation de la production mondiale de « liquides » (pétrole et tout ce qui y ressemble).
Le trait vertical situe 2010. Avec cette simulation le maximum historique de la production se situe dans la décennie 2010. L’apport des extra-lourds et de l’offshore profond (donc l’ensemble du non conventionnel) et du CTL est significatif après le pic, mais ne change pas fondamentalement la date de ce dernier.
Source : « Transport energy futures: long-term oil supply trends and projections », Australian Government, Department of Infrastructure, Transport, Regional Development and Local Government, Bureau of Infrastructure, Transport and Regional Economics (BITRE), Canberra (Australie), 2009.