Il est assez courant d’entendre chez les « écologistes » que les sommes investies dans le nucléaire l’ont été au détriment des énergies renouvelables, et que le fait que ces dernières n’aient jamais décollé en France vient de ce que l’argent qui aurait pu être investi dans ces formes de production d’énergie a été accaparé par le nucléaire. Si cela était une relation « logique » de cause à effet, on devrait alors s’attendre à constater la même chose chez nos voisins européens.
Un panorama de la manière dont les pays européens produisent leur électricité devrait mettre en évidence que ceux qui ont beaucoup de nucléaire n’ont pas beaucoup de renouvelables, et réciproquement que le fait de ne pas avoir choisi l’option nucléaire a permis le développement des renouvelables dans la production d’électricité. Que disent donc les statistiques sur ce sujet ?
Parts respectives du nucléaire et des renouvelables (en %) dans la production d’électricité en Europe (OCDE) en 2001.
Il est facile de constater que la Suède, qui arrive en 4è position pour sa proportion de nucléaire dans l’électricité, est aussi en 5è position pour les renouvelables, et que bien des pays qui n’ont pas de nucléaire (Danemark, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pologne, Portugal, Turquie) ont une part de renouvelables dans l’électricité bien inférieure à celle de la Suède (trait vert horizontal), voire à celle de la France ! (le Danemark, en particulier, a une part d’électricité ex-renouvelables inférieure à celle de la France, tout simplement parce que il n’y a pas que l’éolien dans l’électricité renouvelable !).
Source : Observatoire de l’Energie.
Si nous traversons l’Atlantique, et que nous allons voir les Etats-Unis, qui disposent de grands fleuves, d’immenses territoires déserts où les éoliennes ne gênent personne, et qui n’ont que 20% de leur électricité produite par du nucléaire, nous ne trouvons pas plus l’exemple d’un effort intense en faveur des renouvelables qui se serait effectué grâce à l’argent « économisé » sur le nucléaire !
Dépenses de R&D des Etats Unis dans les énergies renouvelables, en millions de dollars par an.
Source : Agence Internationale de l’Energie
On pourrait en conclure que la messe est dite et que point n’est besoin de regarder plus loin. Il est pourtant intéressant de le faire : nous allons comptabiliser, pour les deux grands contributeurs au bilan énergétique français que sont le nucléaire et le pétrole, les sommes investies pour « préparer l’avenir ». On constate en effet que ces deux sources d’énergie représentent une contribution voisine au bilan énergétique français, si l’on parle d’énergie primaire (contrairement à une idée couramment répandue la France reste un pays majoritairement « fossile » malgré l’électricité nucléaire) :
Structure de la consommation Française d’énergie primaire en 2000.
Les renouvelables désignent le bois et l’hydroélectricité.
Source : Observatoire de l’Energie
En effet, dans un cas (pétrole) comme dans l’autre (nucléaire), il y a des dépenses « pour préparer l’avenir ».
- dans le cas du pétrole, les dépenses concernent l’exploration (qui est la partie à risques, assimilable à de la recherche-développement dans une entreprise) sont effectuées par les opérateurs, qui intègrent ces dépenses dans le prix de vente des hydrocarbures ; ces sommes sont donc in fine payées par le consommateur,
- dans le cas du nucléaire, il s’agit :
- soit de sommes payées par l’Etat, par exemple la dotation budgétaire au CEA,
- soit d’efforts de recherche financés par des acteurs de droit privé (Framatome ou EDF) mais qui sont intégrés dans les prix de revient de l’électricité et sont donc in fine aussi payés par le consommateur.
Comparons les ordres de grandeur en présence :
- des dépenses d’exploration, c’est-à-dire des opérations qui sont engagées AVANT d’être sûr que l’on trouvera quoi que ce soit (études sismiques, forages exploratoires, etc). Il ne s’agit pas des dépenses de mise en production lorsque l’on est sûr qu’il y a un réservoir rempli et qu’il s’agit juste de poser les tuyaux, même si cette opération comporte encore une petite probabilité d’échec.Cette phase amont « à risques », qui est assimilable à des dépenses de R&D puisque ce sont des sommes investies pour préparer l’avenir sans être sûr que l’on trouvera ce que l’on cherche, représente environ 2 dollars par baril.
Coûts d’exploration en dollars par baril, Moyenne glissante sur trois ans.
Source : Shell, 2000
La France ayant consommé environ 100 millions de tonnes de pétrole en 2000, une tonne de pétrole valant 7,7 barils, et un dollar environ 1,1 Euro (environ 7,3 Francs) une simple multiplication montre que ce poste des dépenses « assimilables R&D » représente environ 100*7,7*2*1,1 = 1.700 millions d’Euros par an.
- le budget de l’IFP qui est l’organisme de recherche français sur les hydrocarbures, et qui est de l’ordre de 230 millions d’Euros par an (ce budget n’apparaît pas directement au budget de l’Etat car il est financé pour l’essentiel par une taxe parafiscale).
- Il faudrait y rajouter quelques petites choses : les budgets R&D des raffineurs, du transport, etc, que je ne connais pas (mais qui ne sont probablement pas prépondérants devant le reste).
Le budget « R&D » total du pétrole payé par les Français, sous une forme ou sous une autre, est donc de l’ordre de 1,9 milliards d’Euros par an.
Pour le nucléaire, les sommes assimilables à de la R&D consisteront en :
- La subvention annuelle au CEA et à l’IRSN qui concerne le nucléaire civil, de l’ordre de 530 millions d’Euros par an (3,5 milliards de Francs) dans le scénario le plus « intensif » en nucléaire à l’horizon 2045 (source : Rapport Charpin Dessus Pellat). En fait pour une parfaite rigueur il faudrait affecter ce budget au prorata de la consommation française d’électricité nucléaire (car ces budgets servent ensuite à EDF qui exporte une partie de sa production).
- Le budget R&D de la Cogema que je ne sais pas estimer avec précision, mais qui n’est probablement pas supérieur à 100 millions d’Euros au prorata du CA effectué avec la France. Les activités de retraitement et d’enrichissement représentent 2,7 milliards d’Euros environ mais ne sont pas uniquement destinées à la France.
- Le budget R&D « nucléaire » d’EDF au prorata du CA effectué en France, estimé à 450 millions d’Euros tout au plus.
- Le budget R&D « nucléaire » de Framatome, estimé d’après les indications fournies sur leur site à environ 80 millions d’Euros par an au prorata de leur CA en France.
Le budget « R&D » total pour le nucléaire français se monte donc à environ 1 milliard d’Euros par an.
Or ces deux sources contribuent chacune à une fraction équivalente du bilan énergétique français (100 millions de tonnes équivalent pétrole pour chaque en chiffres ronds). Il en découle donc que le nucléaire est, en ordre de grandeur, deux fois plus économe en R&D par unité d’énergie produite que le pétrole.
Energie | Effort annuel de recherche & développement (M€) | Energie consommée en 2000 (MTep) | Dépenses de R&D (€/Tep) |
---|---|---|---|
Pétrole | 1 900 | 100 | 19 |
Nucléaire | 1 000 | 90 | 11 |
Reposons maintenant la même question : quel est l’effort de R&D qui tuerait les renouvelables ?