FOUCART Stéphane, Le Populisme climatique: Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science, éditions Denoël, 2010
(300 pages, 20€)
Commentaire
Le dossier du changement climatique provoqué par l’homme a bien donné lieu à des complots. Mais… ce ne sont pas les scientifiques compétents qui en sont à l’origine, mais bien leurs contradicteurs ! A la différence de très nombreux livres de vulgarisation sur le changement climatique, qui répondent généralement sur le fond aux arguments avancés par ceux qui nient le dossier scientifique relatif à l’influence de l’homme sur le climat, le livre de Stéphane Foucart répond sur la forme. Ce que ce dernier a scrupuleusement passé en revue, ce sont tous les processus par lesquels des informations ou prises de position qui ont fait grand bruit dans la presse ont pu prendre place, avec toujours un élément illégitime dans le processus.
En particulier Foucart fournit une démonstration éclatante de la manière dont le « climatoscepticisme » se nourrit uniquement de rumeurs, d’informations sorties de leur contexte, de malhonnêteté, d’intérêts contrariés, tout cela étant admirablement amplifié par le buzz sur Internet (qui est une version moderne de la rumeur de quartier, pas plus digne de confiance évidemment), et comment les figures de proue de cette lutte contre la science orthodoxe sont soit des maîtres dans la communication basée sur la mauvaise foi, soit des marionnettes manipulées par ces derniers. Et, sans être nommément désignés (et c’est heureux, car ce qui est est visé est un processus, pas un règlement de comptes), bon nombre de confrères de Stéphane Foucart en prennent indirectement pour leur grade, car notre homme, qui peut parler en connaissance de cause, ne se prive pas de montrer que la rumeur publique (fût-elle sur Internet) sert bien trop souvent de matière première à ses confrères, et que c’est précisément ce qui permet aux « climatosceptiques » – qui savent parfaitement exploiter cette faille – de manipuler les media. En ce sens le livre de Foucart est un livre courageux.
Sur le fond, tout ce dont vous avez entendu parler ces dernières années y est passé en revue : le « climategate » ? (une espèce de wikileaks, appliqué à des méls échangés entre chercheurs) Cette manoeuvre a supposé un très long et patient travail de sélection dans des années d’échanges de méls, pour en publier « juste » ce qui pouvait accréditer l’idée d’un complot. C’est évidemment incompatible avec un délai de quelques jours seulement séparant la soit-disant « découverte » des méls et leur mise en ligne, sans compter que le tracage des adresses IP qui a permis cette dernière montre l’implication de pays (Russie et Arabie Saoudite) dont on se demande bien ce qu’ils venaient faire dans l’histoire !
Fred Singer ? (un climatosceptique américain) Voilà des années qu’il a pour fonction de jeter le trouble sur des faits scientifiques pour éviter la mise en place d’une régulation contraignante pour certains industriels, qu’il s’agisse du pétrole, des cigarettes ou de la chimie. Allègre et Courtillot ? Ils ont accumulé les mensonges, de manière grossière (Allègre, mais on le savait déjà !) ou plus subtile (Courtillot, en arrivant à faire publier des résultats tronqués ou manipulés dans une revue scientifique normalement sérieuse, grâce à ses liens avec l’éditeur dont il était l’employeur par ailleurs). La pétition de l’Oregon, soit-disant signée par 35.000 scientifiques ? Renseignements pris, est considéré comme « scientifique » toute personne qui déclare avoir une licence, sans aucun processus de vérification quel qu’il soit (outre que de très nombreux signataires déclarent avoir étudié dans un domaine qui n’a rien à voir avec l’influence de l’homme sur le climat). Cherchez l’un des arguments mis en avant par les « climatosceptiques », comme ce sont toujours les mêmes, vous trouverez !
Et vous trouverez même des choses que vous ne soupçonniez même pas (en tous cas pas moi) : que, du temps de George Bush fils, les chercheurs relevant d’établissements publics ont fait l’objet de pressions explicites pour orienter, minimiser ou éviter la présentation de leurs résultats, nous ramenant aux plus beaux jours de la science communiste. Oui, le complot était bien là, mais ce sont les ennemis de la science orthodoxe qui en sont les instigateurs, et qui ont manipulé des journalistes crédules ou trop peu scrupuleux.
Le livre de Stéphane Foucart représente sans conteste la meilleure analyse publiée à ce jour sur ce que représente réellemment la mouvance « climato-sceptique », combien de divisions elle compte, comme disait Staline, quels mécanismes sont utilisés pour assurer son financement, et les innombrables coïncidences trop nombreuses pour être honnêtes entre les porte-voix les plus visibles de ce courant de pensée et l’ultralibéralisme américain.
Même si vous pensez qu’il ne vous apprendra rien sur la question de l’influence de l’homme sur le climat (ce qui n’est pas son but), il faut absolument lire ce livre. Car la question qu’il pose, c’est celle de la légitimité du processus d’information quand la science et les choix politiques se retrouvent confrontés de manière « dure ». Foucart rapporte que la confusion entretenue sur les causes réelles du SIDA en Afrique du Sud, suivant un processus formellement identique à ce qui s’observe pour le climat, a tellement retardé l’action publique qu’elle a rajouté quelques centaines de milliers de morts au bilan de la maladie. En contribuant à l’évidence à ralentir l’action publique et individuelle pertinente, il est à craindre que le climatoscepticisme ne nous laisse une addition considérablement plus lourde…
Et la solution est simple, et du reste Foucart la propose en filigranne : il suffit que les journalistes grand public acceptent, en matière de science, que le filtre des revues scientifiques à comité de lecture est incontournable pour considérer un fait comme acquis. Foucart ne dit pas explicitement que cette conclusion ne se limite pas au climat, mais c’est pourtant évident, mon wher Watson. Il faut appliquer cette règle simple au climat, bien sûr, mais aussi au nucléaire, aux phytosanitaires, aux pollutions maritimes, à l’étude des sols, à l’état des forêts, et plus généralement à tout domaine où il sera question de physique, de chimie, de dommages sanitaires, de biologie, d’écologie (au sens de l’étude des écosystèmes), etc. Cette question peut paraître purement technique, mais en fait, comme elle est indispensable pour ne pas semer la confusion qui empêchera de prendre les bonnes décisions à temps, elle est centrale dans le maintien d’un monde en paix.