Chronique parue dans L’Express du 1er septembre 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, sera « pas évident » pour le lecteur.
Depuis que le changement climatique est devenu, à raison, un sujet d’attention croissante dans le débat public, le marqueur le plus couramment utilisé pour évoquer les changements déjà survenus, ou l’ampleur du risque futur, est celui de la température, ou plus exactement de l’élévation de température. Un risque élevé est ainsi incarné par une élévation de plusieurs degrés de la température moyenne.
Cette focalisation sur le thermomètre a tendance à nous faire oublier que bien d’autres paramètres vont changer dans le cadre de la dérive climatique qui va s’amplifier à l’avenir, à commencer par la quantité d’eau qui tombera du ciel, et plus encore la fraction qui restera disponible pour ce qui vit, et nos usages.
Globalement, dans un climat plus chaud, l’évaporation des océans s’intensifie, et donc les précipitations aussi. Tout va bien, alors ? Malheureusement ce n’est pas si simple. En effet, ce qui compte pour l’essentiel des végétaux, qui sont au début de toutes les chaines alimentaires, ce n’est pas ce qui tombe mais l’humidité moyenne du sol. Et cette dernière peut très bien diminuer alors que les précipitations moyennes augmentent.
Pour cela, il suffit que l’eau tombe moins souvent et en plus grosses quantités lorsqu’elle tombe, auquel cas la fraction qui ruisselle vers la mer sans humidifier le sol augmente. Elle peut aussi être moins bien répartie au cours de l’année : plus d’eau en hiver aux moyennes latitudes (ou plus d’eau pendant la mousson dans les pays concernés) et moins l’été (ou pendant la saison sèche) conduit à un résultat analogue, avec une humidité moyenne du sol qui diminue.
Enfin même à précipitations constantes, l’élévation de température conduit une partie plus importante de l’eau à s’évaporer sitôt tombée. S’il y a du vent, ce dernier renouvelle l’air situé au dessus du sol, ce qui ne crée pas de limitation de l’évaporation par saturation de l’humidité de l’atmosphère.
Comment vont évoluer ces paramètres en France, et plus largement en Europe ? Malheureusement dans le mauvais sens, comme on peut déjà le constater sur les années récentes. Depuis 1959 (début des séries disponibles), les précipitations ont tendance à globalement diminuer sur la moitié sud du pays. Elles augmentent un peu sur la moitié nord, mais l’évaporation accrue, et une plus mauvaise répartition des pluies font que la sécheresse des sols a aussi tendance à s’intensifier, légèrement pour le moment, mais le processus va hélas s’amplifier.
Si nous élargissons un peu le champ de vision, l’ensemble du bassin méditerranéen va continuer à s’assécher dans le cadre de la dérive climatique, potentiellement de plusieurs dizaines de pour-cent. Il va donc y avoir de plus en plus de déficit en eau pour les cultures, de dépérissement d’arbres (qui souffrent en direct de la sécheresse, puis en indirect des ravageurs qui profitent de leur faiblesse), d’incendies, bref de processus qui vont nous causer plus de soucis que l’effet de chaleur dans les villes l’été, même si ce dernier est désagréable.
Mais nous pouvons nous adapter, direz vous ! Pour partie, certes, mais pour partie seulement. L’irrigation suppose des réserves en eau qui se reconstituent l’hiver et passent de l’hiver à l’été : avec des précipitations en baisse, plus mal réparties, et une évaporation accrue, ces réserves seront plus difficiles à constituer au fil du temps. Et surtout on n’irrigue pas les forêts, totalement dépendantes de l’eau du ciel et de l’humidité des sols, et dont une partie est déjà condamnée. Après avoir été maintenu pendant un temps sous l’effet de la fonte des glaciers de montagne, le débit estival des fleuves va nettement se contracter.
Réagir au mieux demande d’anticiper avec des pas de temps qui sont devenus inaudibles avec nos visions à court terme. Le changement climatique demande aussi de changer cela de façon urgente.