Tous les passés ne sont pas d’un intérêt équivalent pour deux raisons:
- tout d’abord le phénomène qui nous intéresse maintenant se situe sur une échelle de temps très courte en regard de l’âge de notre planète : un siècle, cela fait 0,0000025% de l’âge de la Terre! Or si l’on peut avoir une bonne idée des conditions moyennes qui régnaient à la surface de la Terre il y a longtemps, on ne sait pas comment les choses évoluaient sur un siècle à cette époque là. Par exemple, on ne sait pas distinguer ce qui s’est passé entre -60.000.000 ans et -60.000.100 ans (ou entre -60.000.000 ans et -59.999.900 ans).
- Comme nous nous intéressons essentiellement à la survie et au confort de notre propre espèce (s’intéresser à la survie du reste n’a de sens que si nous sommes toujours là: sur une planète d’où les hommes auraient disparu, le fait de savoir s’il resterait des tigres est une question un peu secondaire!), ce qui s’est passé avant l’apparition de l’homme est moins intéressant que ce qui s’est passé après.
Nous avons vu qu’en effectuant des forages dans les glaces polaires, il était possible de « consulter les archives » avec une précision acceptable pour les 400.000 dernières années. Cette période est déjà suffisamment riche en enseignements.
Les cycles
Durant ces 400.000 dernières années, et pendant toute l’ère quaternaire, la cause première des variations du climat n’a rien à voir avec l’humanité, si l’on excepte le dernier siècle et demi bien sûr. A l’échelle planétaire, le climat a surtout ressenti la variation cyclique de certains paramètres astronomiques de la Terre, qui ont modifié la quantité de rayonnement que notre planète reçoit du soleil.
Sur les 400.000 dernières années, ces variations astronomiques ont produit 4 cycles à peu près identiques, d’un peu plus de 100.000 ans chacun, pendant lesquels il a fait assez froid pendant presque 100.000 ans (température moyenne de la planète inférieure de 5° C à maintenant) puis nettement plus chaud (température moyenne de l’ordre de ce que nous connaissons maintenant) pendant 10 à 20.000 ans (figure ci-dessous).
Evolution, sur les 400.000 dernières années, de la température moyenne de l’Antarctique. Le 0 de l’axe vertical de gauche correspond à la valeur actuelle. Cette variation de température est légèrement plus élevée que celle de la planète dans son ensemble.
Le fait que les oscillations soient plus importantes à droite (donc récemment) tient à la meilleure précision des mesures quand on se rapproche de l’époque contemporaine.
Source : LSCE/Petit & al., Nature, Juin 1999
En particulier, sur les 400.000 dernières années, le maximum de la moyenne annuelle de la température est de 1 à 2°C au dessus de la moyenne actuelle (16 à 17 °C au lieu de 15) ; la dernière fois était il y a 130.000 ans.
On tire quelques conclusions importantes de ce qui précède :
- Nous sommes déjà dans une période chaude pour l’histoire « naturelle » de notre climat. En toute bonne logique, nous devrions approcher de la fin d’une période interglaciaire et le climat devrait avoir naturellement tendance à se refroidir.
- Toutefois un refroidissement ne se fait pas en un siècle, même si la courbe ci-dessus a l’air « pentue » lorsqu’un refroidissement démarre. Le rythme des évolutions les plus rapides sur la courbe ci-dessus est en effet de quelques degrés en…5 à 10.000 ans, alors que les modèles nous prévoient une évolution de…quelques degrés en 1 siècle. C’est 50 à 100 fois plus rapide.
- Une différence de quelques degrés de température moyenne n’est pas un changement mineur, loin s’en faut: avec 5 °C en moins, le niveau de la mer avait baissé de 100 mètres environ (on passait à pied sec de France en Angleterre) et l’Europe du Nord était recouverte d’un énorme glacier.
Comparaison entre âge glaciaire et période actuelle sur l’Atlantique Nord.
Il y a 20.000 ans, au maximum glaciaire, lorsque la température moyenne était de 5°c de moins qu’aujourd’hui:
- Plusieurs kilomètres de glace recouvraient l’Amérique et l’Europe du Nord. La France ressemblait au nord sibérien actuel,
- L’Europe continentale était plus froide de 10 à 15°c mais l’océan tropical a peu varié,
- On passait à pied à sec de France en Angleterre, la mer étant plus basse de 120 mètres!
A la lumière de la seule expérience grandeur nature que la planète ait connue, il semble probable que 5 °C de hausse du thermostat planétaire en un siècle se traduirait par une modification massive de l’environnement.
Source: JC Duplessy & Pierre Morel, Gros temps sur la Planète (document original provenant du programme CLIMAP)
- Comme on n’a jamais vu 5 °C en plus pendant l’histoire récente, on n’a aucune idée de ce qui peut se passer avec une telle augmentation de température en dehors de ce que racontent les modèles, mais à l’évidence il s’agirait d’une modification majeure de notre environnement, et non d’une promenade de santé. A cause de ce caractère inédit, qui empêche de savoir très à l’avance ce qui pourrait se passer, il est même possible d’affirmer que nous allons avoir essentiellement des surprises, probablement plus souvent mauvaises que bonnes.
Et avant ?
Après la formation de la terre, l’atmosphère primitive qui est apparue sur notre planète, essentiellement comme conséquence du volcanisme (lui-même conséquence de l’énergie libérée au sein de la planète par la radioactivité naturelle des roches, alors beaucoup plus élevée qu’aujourd’hui), et du bombardement de la terre par des corpuscules riches en eau, comportait essentiellement du CO2 et de la vapeur d’eau. Les planètes du même type que la terre (on parle de planètes telluriques, par opposition aux planètes géantes telles Jupiter et Saturne, qui sont des étoiles avortées), qui ont une atmosphère, mais qui n’ont jamais porté la vie (en l’occurrence il s’agit de Mars et Vénus), ont une composition de leur air qui est toujours très voisine de celle de l’atmosphère terrestre primitive, avec essentiellement du CO2.
Avec beaucoup plus de CO2 dans l’atmosphère terrestre il y a quelques milliards d’années, l’effet de serre était donc bien plus important qu’aujourd’hui. Par contre, il y a quelques milliards d’années, le Soleil n’était pas aussi puissant qu’aujourd’hui, de telle sorte que la température terrestre n’était pas trop élevée pour permettre l’apparition de la vie. Le processus remarquable qui a fait que le CO2 a ensuite baissé en même temps que la puissance du soleil augmentait, et donc que la température de surface de la planète est restée dans des limites compatibles avec la vie, c’est justement… la vie elle-même.
En effet, l’apparition dans l’océan, il y a presque 4 milliards d’années, d’algues primitives, aptes à faire de la photosynthèse, a permis l’existence d’une vie végétale marine qui a progressivement supprimé une grande part du CO2 de l’atmosphère, qui se retrouve aujourd’hui dans le calcaire, c’est à dire les reste fossiles (les coquilles) de micro-organismes passés (une toute petite partie a aussi donné le pétrole et le gaz, mais c’est ridicule à côté du calcaire). En même temps, cette photosynthèse enrichissait l’atmosphère en oxygène, qui en compose aujourd’hui 20%, et qui ne pourrait rester à un tel niveau sans vie. C’est également la vie qui a permis l’apparition d’azote libre dans l’air que nous respirons aujourd’hui.
Si nous revenons à notre problème de température, il n’est bien sûr pas facile de « deviner » ce qu’elle pouvait être à des époques aussi lointaines. La température qui régnait à la surface il y a 3 milliards d’années, par exemple, ne peut pas se déduire de mesures de manière commode, car l’essentiel de ce qui existait alors a depuis été enfoui au moins une fois dans les entrailles de la terre à cause de la tectonique des plaques, ce qui a quelque peu perturbé l’information qui aurait pu être obtenue ! Pour les fonds marins, par exemple, il n’est pas possible d’obtenir des sédiments âgés de plus de 150 millions d’années : passé ce laps de temps, ils ont été enfouis dans la croûte terrestre par les mouvements de cette dernière.
Il est cependant possible de regarder comment la température a évolué depuis la disparition des dinosaures, à la fin de l’ère secondaire, il y a 67 millions d’années, et il semble qu’il ait fait généralement plus chaud que maintenant, avec une moyenne qui a pu être jusqu’à 10 °C plus élevée qu’aujourd’hui. Mais la variation ne s’est pas faite sur un siècle!
Estimation de la température moyenne de la planète (par rapport à aujourd’hui, le 0 de l’échelle de droite représentant la température moyenne du dernier millier d’années).
L’axe horizontal du bas donne l’ancienneté par rapport à aujourd’hui, en millions d’années.
Attention! Une graduation de l’axe du bas fait 2 millions d’années, et l’époque est d’autant plus ancienne que l’on va vers la droite.
Rappelons que la moyenne planétaire est aujourd’hui de 15 °C, mais que si nous faisons la moyenne sur le dernier million d’années nous obtiendrons quelque chose de plus proche de 11 ou 12 °C, car la terre a été en période glaciaire l’essentiel du dernier million d’années.
Cette courbe a été obtenue par l’analyse de sédiments océaniques prélevés dans 40 lieux différents.
Source: Zachos et al., Science, 2001
Voici encore un élément qui renforce l’idée qu’une élévation de température dépassant 5°C en un ou deux siècles serait lourde de menaces: au regard des variations de la température planétaire sur des périodes longues, il s’agirait d’une déstabilisation très brutale.
Pour en savoir plus sur l’histoire de la Terre
Le site (remarquable) de Pierre-André Bourque, professeur à l’Université Laval au Canada.