Tribune parue dans Le Figaro le 9 septembre 2009
« Une taxe carbone ? Pouah, une taxe ! ». Ainsi aurait sûrement parlé Jacquouille dans « Les Visiteurs à Bercy », tellement cette idée semble particulièrement incongrue dans la conjoncture actuelle. En fait, le débat a surtout particulièrement mal démarré dans une classe politique encore trop peu à l’aise avec les enjeux.
Il est évident que les apparences sont trompeuses : pourquoi diantre Nicolas Hulot irait-il risquer sa réputation d’homme le plus sympathique du pays s’il n’était profondément convaincu que c’est avec la promotion de cette fameuse taxe qu’il méritera le mieux – peut-être avec retard ! – l’estime que la population lui porte ?
Au début de l’affaire, il y a un constat simple : l’énergie est par définition la grandeur qui accompagne tout changement dans le monde physique. Il n’y a donc pas d’activité humaine – et a fortiori d’activité économique – sans énergie, dont l’histoire montre qu’elle joue un rôle central dans l’évolution des peuples. La crise de 2009 n’est que la conséquence logique de la hausse du pétrole entre 2000 et 2008, qui est venue faire vaciller un endettement qui autrement serait passé comme une lettre à la poste. Dans le monde, cette énergie vient essentiellement du pétrole (35%), du gaz (20%), et du charbon (25%). Or selon Shell, Total, ou l’Agence Internationale de l’Energie, le plus probable pour les 20 prochaines années est un approvisionnement pétrolier et gazier de plus en plus incertain : le déclin de la production pétrolière commencera d’ici 5 à 15 ans, et il en ira de même pour le gaz 5 à 10 ans après (et le charbon 40 ans après). Tout notre système socioéconomique reposant aujourd’hui sur l’énergie abondante et à bas prix, une telle évolution dans un monde non préparé menace du premier au dernier lecteur de ce journal, du Lillois au Marseillais, du chômeur au cadre : ce n’est pas juste un problème de riches.
Puis vient le climat. 5°C d’élévation de la moyenne planétaire, c’est ce qui s’est passé lors du passage de l’ère glaciaire (France incultivable, Grenoble sous la glace, mer plus basse de 100 mètres) à l’époque que nous connaissons actuellement. Sauf qu’en provoquant une telle transition en un siècle au lieu des 10.000 ans au moins que cela prend « naturellement », nous appliquerons à 9 milliards d’hommes sédentaires une telle déstabilisation (pénuries alimentaires, maladies, destructions d’infrastructures, exodes, guerres, etc) que la démocratie, l’espérance de vie et la paix n’y résisteraient probablement pas.
Eloigner cette double menace, probablement un peu plus gênante que de payer son essence ou son gaz plus chers, là est toute la finalité de la taxe carbone, ou contribution énergie climat. La hausse de prix délibérée permettra d’éviter ou d’anticiper les difficultés qui nous attendent. Le mécanisme n’est pas nouveau : augmenter le prix des cigarettes fait baisser la consommation, et majoritairement les Français le comprennent. Mais ce que mes concitoyens sous-estiment encore, c’est la gravité et l’imminence du problème. Ainsi, 2/3 des Français pensent qu’ils font déjà assez d’efforts pour économiser l’énergie. Or l’objectif à atteindre, tant pour des raisons climatiques qu’énergétiques, est de diviser par 4 la consommation de pétrole et de gaz par individu en 20 à 40 ans. A l’évidence, cet objectif ne sera pas atteint en se limitant aux efforts actuels, ou en taxant juste les « riches ». Par contre, ne pas l’atteindre fera d’abord souffrir les moins riches, au travers des crises et déstabilisations qui en seront la conséquence.
Tous ceux qui ont pris le temps de se pencher en détail sur le problème convergent sur la solution. En 15 jours – du jamais vu ou presque sur un sujet fiscal – les membres de la Commission Rocard, mêlant experts, représentants d’entreprises, syndicalistes, consommateurs, pouvoirs publics, politiques, qui avaient tous en commun une connaissance minimale du contexte pétrolier et climatique, ont débouché de manière unanime sur la préconisation d’une mesure (la fiscalité), d’un horizon de temps (dire ce que l’on va faire sur 20 ans), d’une progressivité (passer de 32 à 100 euros la tonne de CO2, voire plus s’il le faut), et d’une règle de gestion (n’exonérer personne et aider les plus touchés autrement).
Seule l’affectation est restée en débat. Elle n’est pas toute la mesure, mais pourtant elle conditionne son acceptabilité sociale : 2/3 des Français sont opposés à la taxe carbone… sauf en cas de restitution partielle aux ménages (dont la forme peut se discuter), auquel cas plus de la moitié devient favorable ! C’est bien le signe qu’il y a moyen de trouver un chemin, pour le plus grand bénéfice de tous. Une solution serait de pérenniser une forme de commission Rocard, pour garantir dans le temps qu’il n’y aura pas de dévoiement. L’irruption du carbone dans la fiscalité ordinaire est un rendez-vous historique. Ne le ratons pas.