Tribune parue dans le magazine Décisions Durables en mai 2012
En se faisant élire président le 6 mai dernier, François Hollande vient de franchir l’étape qui sera, et de loin, la plus facile de son parcours présidentiel. Son enjeu, désormais, va être de pouvoir se dire dans 5, 10, ou 30 ans s’il est encore de ce monde, que 65 millions de personnes pourront le remercier d’avoir contribué à conduire le navire France à bon port alors que lève un épais brouillard sur une mer qui forcit.
Normalement, nous devrions savoir à quelle sauce nous serons mangés. En effet, François Hollande a, comme tous les autres candidats, formulé des engagements (60 exactement), contenus dans un livret éponyme, destinés à donner un avant-goût de ce qu’il ferait si les clés du pouvoir arrivaient dans sa poche. En toute bonne logique, les prochaines années devraient donc voir se matérialiser ce qui a été annoncé, à quelques détails près.
Mais il n’en sera pas ainsi, et notre pays démarre un voyage qui sera largement fait d’inconnu. Car le périple proposé n’est pas compatible avec l’état de la mer, les capacités du navire, sa position du moment, et le moral de l’équipage.
Le premier élément qui va venir perturber la vision très « conventionnelle » de notre nouveau premier magistrat est qu’il n’y aura pas, ou quasiment pas, la fameuse croissance économique qui figure en première place dans ses déclarations de campagne : « Je veux relancer la production, l’emploi et la croissance ».
Que disent les chiffres ? Que, en France, la croissance annuelle moyenne du PIB était un peu inférieure à 6% par an pendant la décennie 1960, un peu inférieure à 4% par an pendant les années 1970, un peu supérieure à 2% celle d’après, de 2% par an pendant les années 1990, et de 1% par an pendant la première décennie du 21è siècle. Compte tenu de l’augmentation démographique, l’évolution du PIB par habitant a été encore plus faible, et quasiment nulle sur la décennie 2000. En fait, le PIB par personne a même baissé de 3% dans notre pays (en monnaie constante) entre 2007 et 2010, ce qui n’était jamais arrivé depuis que cet indicateur est suivi (1945).
Même en 1974 et 1979 la baisse a été limitée à une année, et l’année d’après nous étions revenus au dessus du niveau d’avant crise. Nous sommes bien en train de vivre la crise la plus significative depuis 1929. Ce serait la faute à Sarkozy ? La réponse pourrait être positive si nous étions les seuls à connaître cette évolution. Mais si nous regardons l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les USA, la zone européenne dans son ensemble, ou encore l’OCDE, l’évolution est la même partout : chaque décennie marque une baisse de la croissance, et le PIB par pays était plus élevé en 2007 qu’il ne l’est en 2010.
Seuls les « émergents » ont connu, pour le moment, une croissance maintenue ou augmentée. Nous pourrions donc reprocher à notre ex-président de ne pas nous avoir transformé en « émergent », à ceci près que nous ne sommes probablement pas très chauds pour en accepter les conditions de travail, les rémunérations, et le système social !
Mais si nous avons partagé ce destin avec nombre d’autres pays industrialisés, c’est probablement que le coupable est ailleurs. Et l’enquête a trouvé un suspect : c’est… l’énergie. Le plafonnement depuis 2005 de l’offre pétrolière mondiale – plafonnement d’origine physique, et qui se transformera en déclin d’ici 5 à 15 ans – a déjà engendré une baisse de l’approvisionnement pétrolier de notre pays, qui importe tout son pétrole, et est en concurrence croissante avec les pays émergents, qui consomment de plus en plus de ce précieux liquide.
Or le pétrole, c’est le tiers de l’énergie que nous consommons, et la quasi-totalité de ce qui alimente les transports, indispensables au fonctionnement d’un système économique mondialisé. De ce fait, l’Europe est désormais dans une situation de « choc permanent » : la baisse contrainte de l’approvisionnement va à la fois pousser les prix de l’énergie à la hausse et le PIB à la baisse. C’est très exactement ce que la taxe carbone devait éviter ou limiter, mais nos politiques n’ont pas encore su s’en emparer…
Notre précédent président n’avait assurément pas regardé au bon endroit avant de se mettre en avant comme « président du pouvoir d’achat », alors qu’en 2007 on pouvait raisonnablement pronostiquer qu’il n’y arriverait pas à cause du lien qui lie énergie et économie. Et il y a fort à parier que son successeur n’a toujours pas regardé au bon endroit avant de se mettre en avant comme « président de la croissance », que, pour exactement la même raison, il n’aura pas plus.
Avec un PIB en baisse et une population en hausse, la seule manière de contenir de chômage est de baisser les revenus, l’arithmétique étant difficile à négocier ici. Vaste programme ! Cela étant, en dépit de ce qui est affirmé plus haut, il est vraisemblable qu’une large fraction de mes concitoyens est moins naïve qu’on le suppose, et que nous savons que des temps de dur travail nous attendent. La croissance promise par Hollande, je serais curieux de savoir combien de gens y croient vraiment….
La seule chance de notre nouveau président, même si l’argument peut sembler paradoxal, c’est qu’il n’a pas été élu pour l’espoir qu’il porte, mais contre l’exaspération que le précédent avait suscité. Du coup il n’a pas eu à formuler de projet très précis pour se faire élire, pouvant se contenter d’affirmations vagues, et le nouveau gouvernement bénéficie de ce fait d’un chèque quasiment en blanc. Mais il n’aura pas 2 ans pour autant pour savoir ce qu’il va en faire : d’ici à la rentrée, il faudra trouver un vrai projet.
Et il ne sera pas si facile que cela d’amener des gens qui sont tous d’accord sur ce qui les irrite (l’ancien président) à des gens qui sont tous d’accord sur ce qui les enthousiasme ! Et de l’enthousiasme, nous allons en avoir besoin, d’autant plus que les promesses traditionnelles (vous aurez plus de tout) ne fonctionnent plus. La seule chose capable d’en amener, ce sont les projets.
Le gouvernement a donc jusqu’à la rentrée pour accoucher d’un projet – un vrai – compatible avec l’état des ressources, et de nature à enchanter le pays. Puis-je lui souffler une suggestion ? Que nous devenions les champions de l’économie décarbonée, avant que les Chinois ne le fassent à notre place, et que, par une cruelle ironie de l’histoire, nous devenions un jour leurs fournisseurs à bas coût…