Tribune parue dans Les Echos du 24 Janvier 2017
Si l’année 2016 a été la plus chaude depuis le début des relevés de température (en 1860), ce n’est pas uniquement aux transports, à nouveau sous le feu de l’actualité en ce moment, que l’on doit ce résultat. Dans le monde, les transports engendrent 15% de nos émissions (6% pour les voitures, 4% pour les camions, et 2% chaque pour l’aérien et le maritime), ce qui est beaucoup, mais pas la majorité.
Dans le reste, il y a un très gros morceau qui ne fait pas souvent la une des journaux : manger. Au sens large, c’est plus de 30% du total ! Les gros contributeurs sont la fabrication puis de l’épandage des engrais azotés, le carburant des engins motorisés, les rizières (les détritus organiques y fermentent à l’abri de l’oxygène de l’air, avec des émissions de méthane), et tous les ruminants élevés sur Terre, qui émettent aussi du méthane à cause de la fermentation des végétaux dans leur système digestif. N’oublions pas les déjections des cochons, vaches, ou volailles, qui engendrent aussi des émissions de méthane !
L’agriculture est aussi indirectement responsable de la déforestation (autant que voitures et camions réunis), dont le déterminant principal est la conversion de surfaces boisées en surfaces cultivées. Et plus nous mangeons de viande, plus il faut déboiser : il faut 10 fois plus de surface cultivée pour manger un kilo de bœuf que pour manger un kilo de végétaux.
En France, pas loin de 80% de la surface agricole sert à nourrir des animaux, et cela n’inclut pas la surface mobilisée – au détriment de l’Amazonie ou de la forêt indonésienne – pour la production du soja ou de l’huile de palme que nous importons.
Manger moins de viande, et partant moins de laitages et de fromage, est donc un point de passage obligé dans la lutte contre le changement climatique.
Comment y arriver sans ruiner les éleveurs, qui font un métier plus difficile que l’essentiel des lecteurs de ce journal ? En faisant l’exact inverse de ce que vient de décider l’Europe : il faut remettre des quotas pour diminuer fortement les quantités, multiplier les chartes de qualité et les appellations d’origine, et tripler le prix au kilo en sortie de ferme. Ici comme ailleurs, nous ne résoudrons pas le problème du monde fini avec des outils « libéraux » conçus pour un monde infini qui n’existe plus.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Répartition des émissions mondiales de gaz à effet de serre par activité en 2015.
Déforestation et agriculture engendrent environ 30% du total. Cela n’inclut pas les émissions ailleurs mais associées à la fonction alimentaire (camions servant au transport de nourriture, émissions de l’industrie pour fabriquer les emballages, pour fabriquer les tracteurs et les entrepots, etc).
Source : Jancovici, 2016, sur données primaires BP Statistical Review, Global Carbon Budget, et divers
Emissions de gaz à effet de serre liées à la production d’un kg de nourriture, en kg équivalent carbone, avec une discrimination par gaz, pour les produits dits « conventionnels » (donc issus de l’agriculture intensive sauf mention contraire).
La viande s’entend avec os (il s’agit « d’équivalent carcasse ») mais sans traitement de l’industrie agroalimentaire ni emballages ni transports.
J’ai rajouté, pour donner un élément de comparaison, les émissions correspondant à 100 km en voiture moyenne et en itinéraire mixte (barre de droite). Du point de vue du climat, un kg de viande rouge = 100 km en voiture !
Source : Jancovici, 2016
Empreinte carbone d’un français en 2010.
Ces émissions correspondent à tout ce qu’il a fallu émettre pour qu’un Français puisse disposer des produits ou services qu’il consomme. On constate que l’alimentation pèse plus lourd que le chauffage ou les déplacements, et que dans cette dernière la viande représente une petite moitié. Avec le fromage et les laitages, le cheptel bovin représente environ 50%. NB : pour les produits électroniques, il s’agit de leur fabrication, non de leur utilisation.
Source : Carbone 4, 2012
Evolution de la consommation de viande par personne en France (en kg par an) sur 2 siècles.
On peut facilement constater que cette consommation a été multipliée par 5 en deux siècles, et suit plus ou moins l’évolution de la consommation d’énergie par personne.
Source : Bernard Sauvant, INRA