Si l’évolution climatique que nous avons enclenchée devait aboutir à l’appauvrissement des écosystèmes, à la disparition de ressources naturelles (sols cultivables, ressources halieutiques, etc), à des désertifications, à une division par trois de la production agricole, à une recrudescence de phénomènes extrêmes, à des migrations, voire à des guerres, il est évident qu’il y aurait des répercussions sur la santé, et que l’espérance de vie baisserait.
Le propos ici ne sera donc pas de spéculer sur tous les effets domino possibles, car la quantification des effets sanitaires indirects du changement climatique est un exercice qui restera longtemps – toujours ? – hautement spéculatif. En effet, la seule bonne manière de quantifier les effets sanitaires induits par une modification non directement toxique ou mortelle à court terme est de faire ce que l’on appelle une étude épidémiologique.
Qu’est-ce qu’une étude épidémiologique ?
Une étude épidémiologique est une étude statistique, menée sur un grand nombre de personnes, qui vise à savoir s’il existe un effet discernable à moyen terme pour une cause donnée qui n’a pas d’effets immédiats, et si oui de l’estimer ; il en existe par exemple pour la pollution automobile, le tabac, ou encore l’exposition à telle ou telle substance supposée toxique (dont les radiations ionisantes, qui ne sont qu’un cas particulier du cas général mentionné ici).
Ces études sont les seuls moyens à la disposition de la médecine lorsque l’effet n’est pas certain. Elles portent généralement sur un très grand nombre (quelques milliers au moins) de gens qui ont été exposés à un agent supposé nuisible « à la longue », pour comparer leur évolution avec celle d’un groupe témoin, non exposé, mais similaire pour toutes ses autres caractéristiques (âge, sexe, profession, habitudes de vie…) au groupe exposé.
En ce qui concerne le changement climatique, on va donc chercher à estimer si une population exposée à ce changement développe des maladies de manière différente d’une population non exposée. Cela pose bien sûr de redoutables problèmes de méthode, parce que de trouver deux groupes très nombreux, à la composition identique, au niveau de vie identique, aux habitudes identiques, etc, et dont les conditions climatiques étaient les mêmes au départ puis évoluent différemment n’est pas facile !
Il y a donc quelques cas dans lesquels des corrélations sont faciles à mettre en évidence, mais « attribuer » des morts au changement climatique ne sera jamais un exercice facile, du moins tant que la modification de l’environnement n’est pas encore très importante.
Il est donc facile de comprendre que pour bien des évolutions observées jusqu’à maintenant, faute de savoir précisément ce qui se serait passé en l’absence de changement climatique, nous resterons réduits à des suppositions. Cela n’empêche pas, toutefois, de proposer déjà quelques conclusions en matière de lien entre changement climatique et santé :
- Une augmentation de la température peut favoriser l’activité d’un microbe (bactérie ou virus), comme cela est mis en évidence sur le graphique ci-dessous.
Nombre de cas mensuels de salmonellose en Nouvelle Zélande en fonction de la température, pour la période 1965 – 2000.
L’élévation de la moyenne en fonction de la température est très nette. De nombreuses infections gastro-entériques ou diarrhéiques connaissent des corrélations similaires.
Source : Climate change and health – risks and responses, Organisation Mondiale de la Santé, 2003
- Plus généralement, il existe des corrélations entre la prévalence de certaines maladies et les conditions climatiques, et donc la modification de ces dernières peut favoriser la propagation de maladies connues… ou de nouvelles qui apparaîtraient.
Excès de mortalité dus à la grippe selon l’état de l’oscillation El Niño (warm) / La Niña (cold).
Source : Viboud et col., Eur J of Epidemiol, 2004
Prévalence du choléra selon la température de surface du Pacifique Équatorial Est.
On note une assez forte corrélation entre les deux ; lorsque le Pacifique Équatorial Est se réchauffe (conditions El Niño) la prévalence du choléra peut être multipliée par 5 !
Source : Colwell, Science, 1996 et Pascual et col., Science, 2000.
- Aux moyennes latitudes, une augmentation de la température peut modifier la répartition de la mortalité au cours des saisons. Actuellement, on meurt plutôt en hiver, en particulier à cause de la grippe, avec un second pic l’été, particulièrement saillant durant les périodes caniculaires.
Evolution des décès mensuels pour les années 1997 à 2003 (2004 partiel).
On note que cette valeur oscille entre 40.000 et 60.000, avec un pic nettement marqué l’hiver, correspondant au maximum de la prévalence de la grippe. On note également le pic occasionné par la canicule de l’été 2003.
Source : Alain-Jacques Valleron, intervention au Symposium du Collège de France, 12 octobre 2004
Un réchauffement global (qui augmentera probablement le nombre et l’intensité des épisodes caniculaires aux moyennes latitudes) provoquerait un renforcement du maximum estival et probablement une légère augmentation de la mortalité totale. Les décès supplémentaires en période de canicule sont souvent « compensés » par un déficit de décès dans les mois qui suivent, de telle sorte que le total annuel ne change pas tant que cela ; cela s’est par exemple constaté en 2003/2004 en France.
Décès mensuels en France pour l’année 2003-2004 et moyenne des 7 années précédents.
On note que le surplus de 15.000 décès enregistré en août 2003 est suivi par un déficit de 14.000 décès de janvier à juin 2004. Cela accrédite l’idée que les personnes qui sont mortes pendant l’été 2003 seraient, pour l’essentiel, probablement mortes pas longtemps après de toute façon.
Le profil des personnes décédées (plus de 75 ans pour l’essentiel des décès) et leur fragilité sanitaire (les personnes décédées présentaient une « consommation médicale moyenne » double de la normale selon les statistiques de la CNAM) concourent aussi à étayer cette hypothèse.
Source : Valleron et Col, CRAS 2004 (Déc)
- Un réchauffement climatique étendra probablement les zones propices à la propagation de maladies dites à vecteur. Ce terme désigne les pathologies pour lesquelles l’agent pathogène (un microbe, un parasite….) est transporté par un « vecteur », c’est à dire un animal – en général de petite taille – qui est susceptible de contaminer l’homme, souvent par le biais de morsures ou de piqûres (un moustique ou une mouche, par exemple, mais aussi les puces, les tiques….).
- Une élévation de la température favorise – dans certaines limites, bien sûr – la vitesse de maturation – et donc le potentiel épidémique – du paludisme (aussi connu sous le nom de malaria), qui tue déjà plusieurs millions de personnes tous les ans (figure ci-dessous)
Potentiel épidémique du paludisme en fonction de la température.
Source : JP Besancenot, in La Jaune et La Rouge, mai 2000
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- Mais si nous nous en tenons aux seuls moustiques, ils sont aussi les vecteurs d’autres maladies : dengue, fièvre jaune, fièvre de la vallée du Rift… dont les conséquences possibles sur des populations nouvellement concernées (donc n’ayant pas eu l’occasion de s’immuniser partiellement) pourraient être très importantes.
- Enfin il n’y a pas que les moustiques qui puissent véhiculer des maladies : les mouches le peuvent aussi, parfois (maladie du sommeil par exemple), les puces (qui sont un vecteur connu de la peste, laquelle n’a pas disparu dans le monde)…
- Si le réchauffement climatique engendre de manière évidente une augmentation des phénomènes extrêmes, il y aura bien sûr les morts causés par ces phénomènes. Rappelons que dans le cas des phénomènes qui incluent des précipitations intenses (ouragans, raz de marée, moussons diluviennes, etc.) c’est souvent l’eau plus que la force du vent qui tue, soit directement (noyades, glissements de terrain…) soit en favorisant des épidémies diverses après les inondations.
- Il est également possible – les études démarrent tout juste – que l’augmentation de la température globale, en chauffant le vaste bouillon de culture que représente notre planète, favorise les mutations plus rapides des micro-organismes et, partant, augmente la probabilité de voir apparaître des virus ou microbes pathogènes nouveaux.
Il convient enfin de noter que, comme pour tout « risque » lié au changement climatique, il faut à la fois regarder la manière dont le monde qui nous entoure peut changer, mais aussi comment s’améliorent nos moyens de réponse, ou au contraire quelles sont les évolutions simultanées qui peuvent affaiblir les capacités de résistance. De ce dernier point de vue, la concentration urbaine croissante, qui favorise les contaminations en série, et le développement massif du transport aérien, qui favorise les déplacements rapides d’un continent à l’autre des éventuels micro-organismes pathogènes, nous rend probablement plus vulnérables à l’apparition de nouvelles souches d’agents pathogènes.
Sur le plus long terme, le gros point d’interrogation de notre approvisionnement énergétique (comme pour le pétrole, par exemple) est aussi d’une importance cruciale pour évaluer les conséquences du changement climatique sur la santé. L’énergie abondante permet de transporter la nourriture partout (évitant ainsi les famines là où la nourriture ne pousse plus), d’augmenter les rendements agricoles (avec les engrais et la mécanisation), de palier les conséquences du froid (avec le chauffage), des vagues de chaleur (avec l’air conditionné), de faire tourner les hôpitaux, et encore bien d’autres choses.
Selon que nous considérons que nous aurons toujours de l’énergie abondante dans un siècle, ou que nous aurons beaucoup moins d’énergie par personne (ou plus exactement beaucoup moins de services énergétiques), les conclusions sur les relations entre changement climatique et santé ne seront assurément pas les mêmes…