Lorsque la presse – ou un individu qui s’exprime sur le sujet – mentionne l‘élévation de température globale que le monde pourrait connaître au XXIè siècle comme conséquence de nos émissions de gaz à effet de serre, la fourchette de températures qui est mentionnée depuis 2001 est de 1,4 à 5,8 °C, et il est habituel de penser que ce très large écart (5,8 °C, c’est presque quatre fois plus que 1,4 °C !) reflète uniquement la connaissance approximative que les scientifiques ont du système climatique et de sa réaction future à notre comportement.
En gros, a-t-on coutume de penser, si nous ne savons pas dire si cette élévation sera de « seulement » 1,4 °C ou de près de 6 °C en 2100, c’est que le monde qui nous entoure est encore fort mal connu ; nous serions tellement ignorants de la manière dont se comporteront les courants marins, les calottes polaires, les puits de carbone, etc, que tout pronostic serait extrêmement incertain. Quelques « sceptiques » ne manquent pas de s’appuyer sur cet argument.
En fait, cette idée a priori n’est que partiellement vraie, et par voie de conséquence elle est aussi partiellement fausse (bravo M. La Palisse !). L’existence d’une fourchette aussi importante tient pour l’essentiel à deux facteurs, dont l’un seulement reflète une aptitude imparfaite à reproduire sur ordinateur le monde qui nous entoure :
- la représentation des nuages dans les modèles climatiques est encore très approximative. Les nuages ont deux effets antagonistes sur la température au sol : composés de vapeur (et de gouttes) d’eau, qui est un gaz à effet de serre, il participent au piège à chaleur, mais présentant des surfaces très réfléchissantes aux rayons du soleil, ils ont aussi un effet « refroidissant » sur le climat, en empêchant une partie de l’énergie solaire de parvenir jusqu’au sol. La manière dont le changement climatique modifiera ces deux effets contraires à l’avenir n’est pas connue de manière fine, car les nuages ne sont pas explicitement représentés dans les modèles (c’est à dire les processus de petite échelle responsables des nuages ne sont pas traités un par un, mais de manière globale). Cette manière approximative de faire engendre bien sur une imprécision, qui est de l’ordre de 1,5 à 2 °C sur une prédiction de température moyenne à 100 ans,
- Mais une deuxième source de fluctuation, que nous allons développer ici, est tout simplement que l’état de la planète en 2100 dépend certes de ce que nous avons déjà mis comme gaz à effet de serre dans l’atmosphère jusqu’à maintenant, la durée de vie de ces gaz étant de l’ordre du siècle, mais aussi, et surtout, de ceux que nous allons mettre à partir d’aujourd’hui et jusqu’en 2100. Et le comportement à venir des sociétés humaines, bien malin qui peut le prédire de manière fiable !
Les scientifiques travaillent donc avec des scénarios d’émission, qui décrivent chacun comment pourraient évoluer les émissions de gaz à effet de serre entre 2000 et 2100 selon des hypothèses diverses. Ces scénarios sont indispensables pour pouvoir comparer entre eux les résultats des divers modèles, en regardant quels sont les différents résultats (selon les modèles) avec les mêmes hypothèses. En effet, comparer entre eux des résultats de modélisations faites avec des scénarios d’émission différents revient un peu à comparer 3 devis pour des travaux qui porteraient l’un sur notre salle de bains, le deuxième sur une chambre chez le voisin, et le troisième sur la cave de l’école !
Comme il y a une infinité de possibilités à priori pour décrire ce que seront les émissions à l’avenir, les scénarios sont nécessairement conventionnels. Cela ne signifie pas qu’ils sont totalement arbitraires pour autant, bien sur: chacun d’entre eux reflète un état plausible du monde futur, en ce sens qu’il n’est pas possible, aujourd’hui, de dire qu’ils sont totalement impossibles, même si certains d’entre eux peuvent sembler « extrêmes ». Les scénarios d’émission ne sont pas faits par les climatologues, mais par d’autres personnes (des démographes, des spécialistes de l’énergie, des sociologues, des économistes…). Ces scénarios n’ont toutefois ni la prétention de couvrir toute la palette des possibilités, ni celle de proposer une hiérarchie, c’est à dire que leurs auteurs se refusent à dire si certains sont plus probables que d’autres.
Certes, certains de ces scénarios supposent des disponibilités en combustibles fossiles qui sont peut-être exagérément optimistes, ou d’autres un développement du nucléaire qui n’est peut-être pas réaliste, et d’autres encore une surface forestière en 2100 qui peut sembler surprenante. Le propos ici n’est pas de discuter du réalisme de chaque scénario pris un par un, car aucun argument ne permettrait de trancher définitivement cet aspect des choses. Je les ai personnellement tous regardés, et si certaines hypothèses prises semblent aujourd’hui « osées », aucun scénario ne peut aujourd’hui être déclaré totalement impossible compte tenu de ce que nous connaissons du monde.
Concrètement le GIEC a édité un rapport décrivant les 40 scénarios utilisés, qui sont regroupés en 4 grandes « familles ». Chaque « famille », désignée par un sigle (A1, A2, B1, B2), est supposée correspondre à un projet de société particulier, et les hypothèses « de base » (portant sur la population, les pratiques agricoles, l’évolution des techniques, etc) servent ensuite à modéliser une consommation d’énergie et une consommation agricole, lesquelles sont ensuite converties en émissions de gaz à effet de serre.
Qu’y a-t-il donc dans la boîte?
Voici, pour ceux que cela intéresse, ou qui ont la patience de lire, quelques grandes lignes concernant chaque famille de scenarii, et quelques exemples au sein de chaque famille. Toutes ces données sont extraites de « Emissions Scenarios, GIEC, 2000″.
La famille A1
La famille A1 correspond aux hypothèses suivantes:
- la croissance économique est très rapide,
- la population mondiale culmine en 2050 à près de 9 milliards d’individus puis décroît après (graphique ci-dessous),
Evolution de la population mondiale dans les scénarios de la famille A1.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
- la pénétration de nouvelles technologies énergétiquement efficaces est rapide,
- le revenu par tête et le mode de vie convergent entre régions (c’est à dire que les Chinois, les Indiens, et les Occidentaux se mettent à vivre de manière très similaire),
- les interactions sociales et culturelles augmentent de manière forte,
- pour l’énergie, il y a 3 variantes : une utilisation intensive des énergie fossiles (variante A1FI, « FI » signifiant « fossil intensive ») ; une utilisation intensive des sources non fossiles (variante A1T) ; un appel aux diverses sources sans en privilégier une en particulier.
Un exemple de scénario de la variante A1FI: A1C-MESSAGE
- la consommation d’énergie par habitant et par an monte jusqu’à 7,8 tonnes équivalent pétrole en 2100 (moyenne mondiale), ce qui représente 4,9 fois la valeur de 2000, ou encore ce que consomme un Américain aujourd’hui.
- la consommation de ressources fossiles par an monte jusqu’à 30 milliards de tonnes équivalent pétrole (en abrégé Gtep) en 2100, soit 4 fois plus qu’aujourd’hui, essentiellement avec du charbon, et la consommation totale d’énergie atteint 55 Gtep, soit 6 fois plus qu’aujourd’hui (graphique ci-dessous).
Consommation annuelle d’énergie dans le scénario A1C-MESSAGE
- ce scénario conduit à une consommation cumulée de 1.152 Gtep de charbon, soit presque 2 fois les réserves prouvées d’aujourd’hui, mais moins de 50% des ressources ultimes estimées (la réserve est ce que l’on sait que l’on peut déjà extraire aujourd’hui, la ressource ultime est ce que l’on pense que l’on pourra extraire avant épuisement complet, en tenant compte des découvertes futures et de l’amélioration des techniques de récupération, ces deux derniers points étant bien entendu spéculatifs par nature).
- Ce scénario consomme également 440 Gtep de pétrole en un siècle (les réserves ultimes estimées sont aujourd’hui de l’ordre de 450 Gtep en incluant le pétrole non conventionnel) ainsi que 500 Gtep de gaz (réserves ultimes estimées aux alentours de 300-400 Gtep, sans compter les gaz non conventionnels).
- Ce scénario fait aussi largement appel aux sources non carbonées : il suppose par exemple l’existence d’un parc de 12.000 réacteurs nucléaires de 1400 MWe chacun, contre environ 400 en l’an 2000. Il faut aussi exploiter à des fins énergétiques 20% des terres émergées, ou encore 75% de la surface de forêts (supposée la même qu’en 2000), avec une hypothèse de rendement net moyen de 3 tep par hectare de forêt exploitée.
Il s’agit donc d’un scénario qui reste plausible (personne ne peut dire qu’il est totalement impossible) mais qui décrit clairement une hausse très rapide de la consommation d’énergie et un monde poussé pas très loin de ses « derniers retranchements » pour les énergies fossiles (sauf pour le charbon). Avec ce scénario, la concentration atmosphérique de CO2 en 2100 avoisine 1100 ppm, soit 3 fois la concentration actuelle en chiffres ronds.
En fait la « plausibilité » de ce scénario dépend moins des ressources (avec le charbon on peut probablement consommer 2000 Gtep de combustibles fossiles en un siècle, et avec les surgénérateurs on peut aussi faire fonctionner 12.000 réacteurs sans problèmes de ressources) que de ce que seront les premiers effets d’un changement climatique de grande ampleur sur l’humanité. Si cela désorganise suffisamment la vie de notre espèce, notre activité manufacturière d’effondrera, donc la consommation d’énergie et les émissions avec.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
Un exemple de scénario de la variante A1T : A1T-MARIA
- la consommation d’énergie par habitant et par an monte jusqu’à 4,2 tonnes équivalent pétrole en 2100 (moyenne mondiale), ce qui représente 3 fois la valeur de 2000 environ, ou encore ce que consomme un Européen aujourd’hui.
- la consommation annuelle de l’humanité en ressources fossiles plafonne à 13 Gtep en 2050, soit 50% de plus qu’aujourd’hui, mais la consommation globale d’énergie monte à 30 Gtep, soit un peu plus de 3 fois plus qu’aujourd’hui (graphique ci-dessous).
Consommation annuelle d’énergie dans le scénario A1T-MARIA
- ce scénario conduit à une consommation cumulée de 105 Gtep de charbon (20% des réserves prouvées), 470 Gtep de pétrole, et 570 Gtep de gaz.
- Ce scénario fait lui aussi appel à des ressources « sans carbone » significatives : un parc de 11.000 réacteurs nucléaires de 1400 MWe chacun en 2100, et l’exploitation à des fins énergétiques de 65% de la surface de forêts (supposée la même qu’en 2000), avec une hypothèse de rendement net moyen de 3 tep par hectare de forêt exploitée.
Il s’agit donc d’un scénario qui est lui aussi plausible, mais qui suppose des ressources additionnelles très significatives en gaz et en pétrole par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui (exploitation d’une large fraction des gaz non conventionnels, taux de récupération élevé sur le pétrole conventionnel et non conventionnel….) et, comme dans l’autre scénario A1 donné en exemple, un développement spectaculaire du nucléaire.
Avec ce scénario, la concentration atmosphérique de CO2 en 2100 avoisine 570 ppm, soit un gros 50% en plus d’aujourd’hui en chiffres ronds.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
La famille A2
Si nous poursuivons notre exploration, la famille A2 correspond aux hypothèses suivantes:
- le monde évolue de manière très hétérogène,
- la population mondiale atteint 15 milliards d’individus en 2100, sans cesser de croître,
Evolution de la population mondiale dans les scénarios de la famille A2.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
- la croissance économique et la pénétration de nouvelles technologies énergétiquement efficaces sont très variables selon les régions.
Un exemple de scénario de la famille A2: A2-MiniCAM
Voici quelques chiffres qui caractérisent ce scénario:
- la consommation d’énergie par habitant et par an monte jusqu’à 3,1 tonnes équivalent pétrole en 2100 (moyenne mondiale), ce qui représente 2 fois la valeur de 2000, ou encore ce que consomme un Italien aujourd’hui.
- la consommation de ressources fossiles par an monte jusqu’à 30 milliards de tonnes équivalent pétrole (en abrégé Gtep) en 2100, soit 4 fois plus qu’aujourd’hui, essentiellement avec du charbon, pendant que la consommation globale dépasse 45 Gtep, soit 5 fois la consommation actuelle de l’humanité aujourd’hui (graphique ci-dessous)
Consommation annuelle d’énergie dans le scénario A2-MiniCAM
- ce scénario conduit à une consommation cumulée en un siècle de 1.117 Gtep de charbon, soit 150% des réserves prouvées, 262 Gtep de pétrole (moins que les réserves ultimes estimées aujourd’hui) ainsi que 438 Gtep de gaz (plus que les réserves ultimes).
- Ce scénario fait aussi largement appel aux sources non carbonées : il suppose l’existence d’un parc de 6.000 réacteurs nucléaires de 1400 MWe en 2100, et l’exploitation à des fins énergétiques de 30% de la surface de forêts (supposée la même qu’en 2000), avec une hypothèse de rendement net moyen de 3 tep par hectare de forêt exploitée.
Avec ce scénario, la concentration atmosphérique de CO2 en 2100 avoisine 900 ppm, soit 2,5 fois celle d’aujourd’hui en chiffres ronds.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
La famille B1
La famille B1 correspond à un monde où:
- la population mondiale culmine en 2050 à près de 9 milliards d’individus puis décroît après (l’évolution démographique est la même que pour les scénarios A1).
- l’économie est dominée par les services et les technologies de l’information,
- les nouvelles technologies énergétiquement efficaces sont massivement utilisées,
- les problèmes économiques, sociaux et environnementaux constituent un point important des politiques publiques, mais il n’y a pas d’initiative supplémentaire par rapport à aujourd’hui en matière climatique,
Un exemple de scénario de la famille B1 : B1T-MESSAGE
Voici quelques chiffres qui caractérisent ce scénario:
- la consommation d’énergie par habitant et par an monte jusqu’à 2,4 tonnes équivalent pétrole en 2100 (moyenne mondiale), ce qui représente un peu plus de 50% de plus qu’en 2000, ou encore ce que consomme un Portugais aujourd’hui.
- la consommation de ressources fossiles par an monte jusqu’à 12 milliards de tonnes équivalent pétrole (en abrégé Gtep) en 2050, soit 30% fois plus qu’aujourd’hui, avant de décroître bien en-dessous du niveau d’aujourd’hui (30% de moins).
Consommation annuelle d’énergie dans le scénario B1T-MESSAGE
- ce scénario conduit à une consommation cumulée de 155 Gtep de charbon (20% des réserves prouvées), 400 Gtep de pétrole, et 490 Gtep de gaz. Ces deux derniers chiffres sont au-dessus des estimations des réserves ultimes d’aujourd’hui, mais la consommation cumulée de charbon est très en dessous des simples réserves prouvées.
- Ce scénario implique également 600 réacteurs nucléaires à 1400 MWe chacun en 2100, et l’exploitation à des fins énergétiques de 25% de la surface de forêts (supposée la même qu’en 2000), avec une hypothèse de rendement net moyen de 3 tep par hectare de forêt exploitée.
Avec ce scénario, la concentration atmosphérique de CO2 en 2100 avoisine 450 ppm, soit 20% de plus que celle d’aujourd’hui en chiffres ronds.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
La famille B2
Enfin la famille B2 correspond à un monde où:
- la population mondiale atteint plus de 10 milliards d’individus en 2100, sans cesser de croître,
Evolution de la population mondiale dans la famille B2.
Source: Emissions Scenarios, GIEC, 2000
- l’économie devient de plus en plus locale, avec les problèmes économiques, sociaux et environnementaux constituant un point important des politiques publiques, mais il n’y a pas d’initiative supplémentaire par rapport à aujourd’hui en matière climatique,
- la dispersion entre les revenus par tête est inférieure à celle de A2, mais supérieure à celle de A1,
- les nouvelles technologies énergétiquement efficaces se développement de manière inégale et moins rapidement que dans B1 ou A1.
Un exemple de scénario de la famille B2: B2-AIM
- la consommation d’énergie par habitant et par an monte jusqu’à 2,9 tonnes équivalent pétrole en 2100 (moyenne mondiale), ce qui représente à peu près le double de 2000 (et un peu moins que la consommation d’un Italien d’aujourd’hui).
- la consommation de ressources fossiles par an monte jusqu’à 18 milliards de tonnes équivalent pétrole (en abrégé Gtep) en 2050, soit 2,5 fois celle d’aujourd’hui, puis y reste, avec une contribution majeure du gaz. La consommation globale d’énergie monte à 30 Gtep (un peu plus de 3 fois plus qu’aujourd’hui).
Consommation annuelle d’énergie dans le scénario B2-AIM
- ce scénario conduit à une consommation cumulée de 570 Gtep de charbon (la quasi-totalité des réserves prouvées, mais 20% des ressources ultimes), 410 Gtep de pétrole, et 620 Gtep de gaz. Ces deux derniers chiffres sont au-dessus des estimations des réserves ultimes d’aujourd’hui (surtout pour le gaz), mais la consommation cumulée de combustibles fossiles reste en-dessous des seules réserves ultimes de charbon.
- Il faut ici environ 2.000 réacteurs nucléaires de 1400 MWe chaque en 2100, et l’exploitation à des fins énergétiques de 45% de la surface de forêts (supposée la même qu’en 2000), avec une hypothèse de rendement net moyen de 3 tep par hectare de forêt exploitée.
Avec ce scénario, la concentration atmosphérique de CO2 en 2100 avoisine 740 ppm, soit 2 fois celle d’aujourd’hui en chiffres ronds.
Source : Emissions Scenarios, GIEC, 2000
Une petite synthèse?
Une première conclusion est qu’aucun de ces scénarios ne correspond à une planète où la lutte contre le changement climatique devient l’une des pierres angulaires de toute politique publique à travers le monde, et notamment dans les pays développés, et plus particulièrement encore aux USA. Il est aussi essentiel de noter qu’aucun d’entre eux n’inclut de rupture brutale (conflit nucléaire généralisé, épidémie massive, etc), par nature imprévisible. Il s’agit donc d’exercices de prolongation tendancielle où les extrapolations ont été faites avec des facteurs plus ou moins importants.
D’aucuns critiqueront cette manière de procéder, mais comme le futur est par nature hypothétique, il n’y a pas vraiment de mode opératoire de rechange! Le point essentiel, ici, est plus de savoir exactement de qu’il y a « dans la boîte », que de se livrer à une longue discussion pour savoir si la boîte fait vraiment partie des objets les plus probables que nous devrions trouver sur notre chemin.
Une deuxième conclusion est que beaucoup d’entre eux comportent des consommations cumulées de combustibles fossiles pour le 21è siècle qui sont nettement supérieures aux réserves prouvées d’aujourd’hui, mais, par contre, rares sont les scénarios dont les consommations fossiles totales soient supérieures aux réserves ultimes de combustibles fossiles. Comme il ne peut être totalement exclu que l’on puisse exploiter de grandes quantités de gaz non conventionnels à l’avenir (« pas totalement exclu » représente tout ce qui n’est pas strictement impossible, par définition !), ou recourir à la gazéification possible des veines profondes de charbon, il est donc difficile, aujourd’hui, d’en exclure beaucoup pour cette raison de « non-compatibilité » avec les données connues sur les réserves.
Malgré leur nombre limité, ces scénarios aboutissent cependant à des évolutions déjà très différentes des émissions de gaz à effet de serre, comme on peut le constater sur le graphique ci-dessous.
Emissions et concentrations de gaz carbonique pour les divers scénarios de référence avec lesquels on alimente les modèles. Les émissions de SO2 (dioxyde de soufre), qui sont des précurseurs d’aérosols (qui « refroidissent le climat »), sont aussi représentés. Le scénario IS92a est celui qui a été utilisé pour les rapports du GIEC plus anciens (1995 notamment).
Entre le plus « optimiste » et le plus « pessimiste » des scénarios, on note un écart :
- d’un facteur 5 pour les émissions de CO2, ce qui reflète les hypothèses très variables sur la croissance démographique, la consommation matérielle (qui gouverne la consommation énergétique, à l’efficacité énergétique près), et les quantités disponibles de combustibles fossiles, qui gouvernent le « mix » énergétique (c’est à dire la proportion de chaque source dans le total),
- d’un facteur 2 entre les extrêmes pour les émissions de méthane, et d’un facteur 1,5 pour les émissions de N2O, le moindre écart entre les extrêmes que pour le CO2 reflétant le fait que les émissions de ces gaz « mineurs » sont pour une large part liés à la production agricole, qui est considérée comme étant moins variable que la production industrielle à population donnée.
- d’un facteur 3 pour les émissions de SO2 (de 20 à 60 millions de tonnes de soufre par an), qui sont des marqueurs de la pollution industrielle locale, et constituent des refroidisseurs » du climat« . Notons que l’intégralité des scénarios « récents » tablent sur des émissions de SO2 en nette baisse par rapport au scénario IS92a, plus ancien. Cette révision à la baisse est assise sur l’hypothèse que la pollution locale est combattue partout avec énergie (sans mauvais jeu de mots), et que le SO2, qui est un polluant local « classique », ne sera pas émis autant que ce que l’on pensait il y a quelques années.
Comme une partie du CO2 a déjà été mis dans l’air avant 2000, la concentration en CO2 en 2100 ne varie pas, elle, d’un facteur 5, mais d’un facteur 2 seulement.
Source: Emissions Scenarios, GIEC, 2000
Et si nous revenons au propos du début de la page, nous pouvons voir ce que cela change à l’élévation de température en 2100 si nous changeons de scénario d’émission. En effet, pour un même scénario d’émission, l’écart entre les extrêmes de température moyenne prédite en 2100 selon les divers modèles n’est plus de 4,5 °C mais de 1 à 2 °C, comme on peut le constater sur le graphique ci-dessous.
Prédictions de l’augmentation de la température moyenne de surface entre 1990 et 2100 selon les scénarios et les modèles.
Pour un scénario donné (désigné par un sigle et matérialisé par une couleur), la dispersion des élévations de température prédites selon les modèles est matérialisée par la barre à droite de la couleur du scénario.
Par exemple le scénario A1B, en vert gras, engendre une élévation de température de 1,6 à 4,4°C selon les modèles (2 °C d’écart entre les extrêmes).
Le scénario B2, en vert, conduit à 1,2 à 3,8 °C en plus selon les modèles, c’est à dire que pour ce scénario là, « l’imprécision » des modèles engendre 2 °C d »écart sur la température atteinte, etc.
Source : GIEC, 2007
Le corollaire de ce constat est bien entendu que nous sommes encore partiellement maîtres de notre destin. Tout raisonnement qui consisterait à penser « foutu pour foutu, continuons comme maintenant » est donc invalide : il est bien entendu encore en notre pouvoir de « faire quelque chose » pour le long terme, même si aucun effort ne sera visible instantanément.
Nous sommes dans le même paradigme que le gros fumeur: le lendemain du jour où il réduit sa consommation, tout risque n’est pas écarté pour autant, de même que de réduire un jour puis repartir comme avant le lendemain ne sert pas à grand chose. Ce n’est que l’effort soutenu qui infléchit les tendances à long terme et qui produira des résultats.