Pour bon nombre de problèmes d’environnements, nous avons tendance à tenir compte de ce qui est une réalité: dès que nous arrêtons la nuisance, le problème se stabilise, puis nous avons accès à une certaine forme de remise en état. Par exemple :
- si nous avons des voitures qui font trop de bruit, le problème s’arrête dès que la circulation s’arrête,
- si nous avons trop d’oxydes d’azote dans l’air, le problème s’arrête d’augmenter dès que la circulation s’arrête, et très rapidement la qualité de l’air s’améliore,
- si une carrière défigure le paysage, on peut l’arrêter, tout reboucher, replanter des arbres, et c’est « presque comme si » il n’y avait jamais eu de carrière,
- si une usine pollue trop une rivière, on arrête l’usine (ou on met ce qu’il faut comme épuration de l’eau), et pas trop longtemps après l’eau de la rivière redevient presque aussi propre « qu’avant »,
- et plus généralement tant qu’une situation n’est pas trop dégradée on peut « remettre les choses en état »: reconstituer un stock de poissons en arrêtant la pêche, préserver une espèce et lui permettre de repartir, etc.
De ce fait, la grande majorité d’entre nous a intuitivement tendance à considérer que pour le changement climatique, c’est pareil: que personne ne s’affole; le jour où nous trouverons que la plaisanterie a assez duré nous ferons ce qu’il faut pour passer l’éponge et faire « comme si » il n’y avait jamais eu de changement climatique. Pas de chance: c’est impossible. Ici, la notion même de remise en état du système n’existe pas, du moins pas aux échelles de temps qui nous intéressent. En effet, la durée de vie (« le temps qu’il y restent ») des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est très long, notamment pour le principal d’entre eux, le gaz carbonique, qui a une durée de vie dans l’atmosphère de l’ordre du siècle (cela signifie, en simplifiant un peu, qu’il faut attendre de l’ordre du siècle pour que la dernière tonne de CO2 arrivée dans l’atmosphère commence à s’évacuer).
En pratique, si nous arrêtons totalement les émissions demain matin (y compris la respiration !), cela aurait pour seul effet de faire lentement décroître la concentration atmosphérique en CO2. Mais, à supposer que nous n’ayons pas déjà fait ce qu’il faut pour complètement « dérégler » le cycle du carbone, c’est ensuite quelques milliers d’années au moins qu’il faut attendre pour que la concentration du CO2 dans l’atmosphère revienne à son niveau de 1850.
Evolution d’un certain nombre de paramètres du système climatique avec des émissions de CO2 qui croissent jusqu’à 14 milliards de tonnes de carbone au cours du 21è siècle, puis deviennent subitement nulles en 2100 (chaque couleur de courbe correspond à un modèle différent).
Il est facile de constater que:
- la concentration atmosphérique en CO2 de l’an 3000 est toujours bien supérieure à ce qu’elle est en 2000 (en bas à gauche),
- l’échauffement acquis en 2100 est toujours là pour l’essentiel 1000 ans plus tard (en haut au milieu), et ce genre de simulation ne tient pas compte d’éventuels franchissements de seuils sur le cycle du carbone ou les calottes polaires, très difficiles à prendre en compte dans les simulations.
Source: GIEC, 2007
Comme les gaz à effet de serre continuent à jouer le rôle de couverture (ou de vitre de serre) tant qu’ils sont présents, leur très grande longévité a pour conséquence que, quoi que nous fassions aujourd’hui, le réchauffement issu des gaz que l’homme a mis dans l’atmosphère depuis 1750 se poursuivra pour encore quelques siècles.
D’autres compartiments du système climatique vont également prendre du temps pour « répondre » au renforcement de l’effet de serre, notamment l’océan et les calottes glaciaires des pôles (graphique ci-dessous).
Illustration de la réponse des principaux compartiments du système climatique (enfin ceux qui jouent un rôle important à l’échelle du siècle ou du millénaire) avec un profil d’émissions qui passe par un maximum au cours du 21è siècle – hypothèse raisonnable au vu des contraintes sur les combustibles fossiles – puis décroit derrière (courbe marron, tout en bas, culminant en 2050 environ sur cet exemple).
Il est facile de voir que dans cette situation la montée des températures perdure pendant plusieurs siècles après la décroissance des émissions, et le niveau de la mer monte pendant plusieurs millénaires.
L’ampleur de la réponse des diverses composantes du système climatique dépend bien sûr du niveau auquel le CO2 se stabilise et donc de la date et du niveau du maximum des émissions.
Source : GIEC, 2001
A cause de la très grande inertie de certaines des composantes de la machine climatique, l’évolution que nous avons mise en route aura donc des conséquences pendant quelques milliers d’années, quoi que nous fassions désormais. Osons un parallèle: la machine climatique se comporte un peu comme une voiture dont le premier comportement, quand on appuie sur la pédale de frein, est d’accélérer un peu plus fort. Il est assez facile de comprendre que si nous attendons pour agir que la situation soit déjà dégradée, alors la seule garantie que nous aurons à ce moment-là sera que « ça sera pire derrière », quoi que nous fassions.
Certes, en 2008 il est encore entre nos mains d’avoir une évolution forte ou faible, un changement d’ère climatique ou peut-être une simple modification gérable de l’ère actuelle, car le moment où l’on commence à diminuer nos émissions et la vitesse de diminution ont un impact très fort sur les températures maximum atteintes et la pente de montée en température (la vitesse avec laquelle les températures augmentent). Mais cette option ne va pas rester ouverte très longtemps…
Rappelons que, pour l’essentiel des gaz à effet de serre d’origine humaine, il n’existe aucun procédé connu ou envisageable qui permette de retirer rapidement le surplus de gaz à effet de serre présent dans l’atmosphère. Pour le CO2, en particulier, il est possible en théorie d’accélérer le fonctionnement des puits de carbone naturels (sols, arbres, océan), mais cette accélération ne pourrait en aucun cas épurer en quelques années l’excès de CO2 mis dans l’air depuis 1750. Cela pourrait éventuellement permettre d’épurer quelques dizaines de ppm en quelques décennies, et ce à supposer que nous n’émettions plus rien et que par ailleurs les écosystèmes terrestres continuent à se porter à peu près bien, ce qui cessera d’être le cas d’ici quelques décennies si nous faisons trop les andouilles. En outre, pour la partie océanique, une accélération de cette épuration augmente l’acidification de l’eau, on n’a rien sans rien…
Et si on ne fait rien ?
Mais il y a une autre conclusion que nous pouvons tirer du graphique ci-dessus : admettons que la baisse des émissions de CO2 soit non point le reflet de notre sagesse, c’est à dire la conséquence d’une limitation volontaire de notre consommation, mais le simple reflet d’une raréfaction des combustibles fossiles, parce que nous n’aurons pas su nous arrêter avant.
En effet, la courbe des émissions (en marron) dans le graphique ci-dessus ressemble assez à ce qu’elle serait si nous arrêtions progressivement de consommer des combustibles fossiles sous le seul effet de la pénurie (courbe ci-dessous).
Aspect général de la consommation au cours du temps d’une ressource non renouvelable.
Au début la croissance est très rapide (découverte de nouveaux gisements, amélioration rapide des techniques), puis la croissance se ralentit progressivement sous l’effet de la difficulté d’exploitation qui commence à se faire sentir (gisements moins riches, notamment, la baisse de la richesse ne compensant pas l’amélioration technique continue) et enfin vient le jour du déclin, sous l’effet de la raréfaction des ressources, et malgré des techniques sans cesses plus sophistiquées.
Toute extraction de minerai dans un pays donné suit ce genre de courbe (pas toujours aussi parfaite, bien sur, mais l’allure générale se retrouve). C’est par exemple le cas pour l’extraction pétrolière aux Etats-Unis (qui a cru jusqu’à un maximum il y a 30 ans, et est depuis en phase de déclin).
Si cette courbe concerne la consommation de combustibles fossiles de la planète dans son ensemble, les émissions de CO2 auront exactement la même allure, bien sûr.
Que se passe-t-il alors ? Le graphique du haut de la page peut se traduire comme suit, dans ce cas précis:
- d’abord nous subissons les effets de la pénurie, c’est à dire de la diminution progressive de l’approvisionnement en combustibles fossiles, alors que nous ne nous étions pas préparés à cela (sinon ce n’est plus une pénurie !), ce qui a toutes les chances de provoquer quelques soubresauts désagréables,
- malgré cette baisse des émissions consécutives à la pénurie, la concentration en CO2 continue d’augmenter pendant encore un siècle (ordre de grandeur),
- et surtout la température, au moment où nous passons le pic des émissions de CO2, continue d’augmenter rapidement pendant plus d’un siècle. En d’autres termes la perturbation continue à aller croissant, alors que nos moyens de réponse, en première approximation conditionnés par la quantité d’énergie disponible, pourraient aller en décroissant rapidement, à cause de la pénurie en combustibles fossiles (l’inconnue est l’énergie non fossile, bien sûr).
En clair, si nous attendons la pénurie de combustibles fossiles pour limiter nos émissions, nous avons alors de bonnes chances de nous retrouver dans une situation où nous cumulerons des ennuis sans cesse croissants (parce que le système sera de plus en plus perturbé) avec de moins en moins de moyens d’y faire face. Voilà une situation que nous serions peut-être bien inspirés de chercher à éviter…