Si nous nous tournons vers le passé, la réponse est incontestablement oui : depuis un siècle, le « volume » de l’économie et les émissions de gaz à effet de serre évoluent de la même manière.
Evolution constatée des émissions mondiales du seul CO2 provenant des combustibles fossiles, de 1870 à 2000, en millions de tonnes de carbone (rappel : une tonne de carbone = 3,67 tonnes de CO2).
On constate une corrélation parfaite entre les émissions et la croissance mondiale ou régionale, valable à la hausse comme à la baisse. Pendant les « Trente Glorieuses », épisode de très forte croissance économique, les émissions ont triplé, A l’inverse, les émissions mondiales ont baissé en 1929 (grande dépression ; le PIB mondial s’est contracté de 20% environ), pendant la 2è Guerre Mondiale, et après les 3 crises économiques importantes de 1974 et 1979 (2 chocs pétroliers), et 1990 (guerre en Irak).
Les émissions de l’Europe de l’Est (Eastern Europe) ont spectaculairement baissé (de -30 à -50% selon les pays) après la chute du Mur de Berlin (1989) et la récession majeure qui a pris place dans ces pays.
Sources : Marland, G., TA. Boden, and R. J. Andres, 2003. Global, Regional, and National Fossil Fuel CO2 Emissions. In Trends: A Compendium of Data on Global Change. Carbon Dioxide Information Analysis Center, Oak Ridge National Laboratory, U.S. Department of Energy, Oak Ridge, Tenn., United States
Si nous nous tournons vers l’avenir, une simulation faite par le Ministère de l’Industrie (ci-dessous) montre qu’avec un modeste 2% de croissance par an en Europe occidentale, si nous ne changeons rien par ailleurs (pas de substitutions entre énergie, et pas de gain d’efficacité énergétique, notamment pour les ménages), les émissions de gaz à effet de serre de l’Europe de l’Ouest feraient un bond de 50% entre 1990 et 2020.
Evolution tendancielle des émissions de CO2 en Europe de l’Ouest sur la base d’une croissance économique de 2% par an sans modification de la proportion respective des sources d’énergie.
La courbe rouge représente les émissions de CO2, en millions de tonnes équivalent carbone (axe vertical de gauche).
Le trait noir horizontal (à droite) représente la limite imposée par Kyoto.
On voit clairement qu’entre 1995 et 2020 les émissions augmenteraient de presque 50%. On peut bien sûr discuter la qualité de cette prévision, et notamment le fait que les émissions réelles de l’Europe en 2005 sont plus basses que sur ce graphique, mais il n’en reste pas moins que tout scénario pour le futur comportant une croissance économique significative comporte aussi une hausse des émissions, même si une baisse finira par arriver de toute façon.
Source : Observatoire de l’énergie – Ministère de l’Industrie
Le résultat de cette simulation est en fait assez facile à « deviner » dès lors que l’on connait un certain nombre de corrélations qui caractérisent notre activité productive pour le moment :
- De 1980 à 2000, chaque point de croissance du PIB en France a engendré quasiment un point de croissance de la consommation d’énergie primaire dans notre pays et un peu plus d’un demi-point de croissance de l’énergie finale : avec un peu plus de 2% de croissance annuelle de l’économie en moyenne sur ces 20 ans, la consommation d’énergie primaire a augmenté de 1,75% par an en moyenne, et la consommation d’énergie finale de 1,3% par an.
- en particulier, avec chaque point de croissance de l’économie est allé un point de croissance de la consommation d’énergie dans les transports (en France), et les transports consomment quasi-exclusivement du pétrole (et inversement la moitié du pétrole consommé en France sert aux transports).
Plus généralement l’énergie primaire, en France, reste majoritairement « fossile » malgré qu’elle soit « un peu moins fossile que dans les autres pays développés », grâce au programme nucléaire :
Evolution de la part de chaque source dans la consommation d’énergie primaire de la France entre 1973 et 2002.
Les « fossiles » restent dominantes, malgré une très forte croissance de l’électricité d’origine nucléaire entre 1980 et 2000 (à droite).
Notons que cette période 1980-2000 inclut notamment les années qui ont suivi le 2e choc pétrolier (1979) et donc des mesures d’économie d’énergie importantes ; il s’agit donc d’une base de comparaison plutôt « avantageuse » que « désavantageuse » pour estimer la corrélation entre croissance du PIB et croissance de la consommation d’énergie.
Source : Observatoire de l’énergie – Ministère de l’Industrie
Répartition de la consommation d’énergie primaire en France en 2002.
Source : Observatoire de l’énergie – Ministère de l’Industrie
Si l’on prolonge la croissance passée vers l’avenir, « toutes choses égales par ailleurs », il y aura donc assez inévitablement une croissance de la consommation d’énergie, et si la décomposition de cette consommation par type d’énergie reste à peu près identique, voire augmente la part des combustibles fossiles (car il semble difficile d’augmenter la part du nucléaire dans l’électricité !), nous aurons assez inéluctablement une croissance des émissions de gaz à effet de serre.
Ce couplage entre hausse de la consommation d’énergie et hausse du PIB se retrouve partout, comme par exemple pour la zone OCDE entre 1970 et 2000, même si le couplage entre économie et énergie primaire est parfois moins fort que du 1 pour 1.
Evolution du PIB, de la consommation d’énergie, et des émissions de gaz à effet de serre des pays de l’OCDE de 1970 à 2001 (normalisés : les trois sont mis à 100 en 1970).
Pour un point de croissance économique, on consomme environ 0,5 point en plus pour l’énergie primaire, et 0,3 point en plus pour les émissions. Le fait que la consommation d’énergie augmente moins vite que le PIB conduit souvent des économistes à indiquer que l’on « améliore » les performances de l’économie, mais tout dépend de quel point de vue on se place : effectivement il faut moins d’énergie pour faire 1000 $ de PIB, mais globalement la consommation d’énergie augmente quand même !
Les diminutions temporaires de la consommation d’énergie qui ont suivi les chocs pétroliers (1973, 1979, 2000) sont bien visibles, ainsi que la moindre hausse des émissions de gaz à effet de serre intervenues ensuite, conséquence de la mise en route des programmes nucléaires. On notera qu’aux mêmes époques l’économie de la zone OCDE a ralenti mais qu’il n’y a pas eu de récession majeure.
Source : BP Statistical review pour l’énergie, OCDE pour le PIB
Et comme l’essentiel de l’énergie mondiale consiste en des combustibles fossiles, dès qu’il y a croissance économique il y a hausse des émissions de gaz à effet de serre.
Répartition de la consommation d’énergie primaire du monde en 2002.
Les « fossiles » représentent plus des 3/4 des approvisionnements.
Source : AIE.
Une première conclusion de cette affaire est donc que si l’on veut gagner la bataille contre le changement climatique, il semble assez inévitable de modifier le « contenu de la croissance », ou d’aller vers la voie de la « décroissance » pendant un moment, au niveau mondial bien sûr.
N’y aurait-il pas une « bonne » croissance permettant de tout concilier?
Une fois qu’il apparaît que la croissance actuelle n’est pas compatible avec une solution volontaire au problème, la première tentation est bien sûr d’imaginer que nous allons pouvoir trouver la « bonne » croissance, celle qui existe sans endommager l’environnement, car quiconque propose de faire de la décroissance passe facilement, aujourd’hui, pour quelqu’un qui aurait abusé de la vodka (ou du schnaps ou du whisky, allez, je ne suis pas sectaire). Pour savoir si cela est possible de réaliser ce mariage miraculeux, il va nous falloir, hélas pour ceux qui n’aiment pas les chiffres et les définitions austères, regarder d’un peu près la mécanique interne de cette fameuse croissance économique.
En l’occurrence, ce terme concerne l’accroissement annuel du produit intérieur brut (ou PIB), lequel se définit comme « la valeur totale (qui correspond le plus souvent aux prix de marché) des biens et services produits par des activités résidentes et disponibles pour des emplois finals » (c’est barbare, je vous avais prévenu ! mais il faut bien savoir de quoi on cause…). Cette définition est tirée du livre « La comptabilité nationale« , de Jean-Paul Piriou, aux Editions La Découverte (2003).
Si nous explicitons un peu cette phrase, voici ce que cela donne :
- les activités résidentes sont, en gros, celles qui s’exercent physiquement sur le territoire, peu importe que le capital soit détenu par des français ou des étrangers, que le salarié soit français ou étranger, etc,
- les biens et services produits, cela se comprend assez facilement ! Notons cependant qu’il faut, pour que ces biens ou services soient comptés, qu’il y ait une vente ou une contrepartie monétaire quelconque qui prenne place entre la production et la consommation (ce qui ne signifie pas nécessairement que c’est l’usager qui paie le prix, mais juste que « quelqu’un » a payé quelque chose).
Échappent ainsi au PIB les activités de production pour compte propre (bricolage, jardinage, garde d’enfants, par exemple). Ainsi, si chaque mère aide son enfant à faire son travail scolaire (personne ne paye), cela ne contribue pas au PIB, mais si chaque mère se fait payer pour aider l’enfant de son voisin, tout en ayant la mère voisine qui vient aider son enfant (de telle sorte que cela est neutre pour les finances d’un ménage : on dépense d’un côté et on encaisse de l’autre), alors cette activité va contribuer au PIB, bien que la totalité des services fournis soit la même dans les deux cas de figure (ou même ait diminué : se faire aider par ses propres parents est souvent plus agréable que par un(e) étranger(e) !). Inversement, si le jardinage augmente, et que la population achète moins de nourriture auprès de tiers, cela fait mécaniquement baisser le PIB. D’une manière générale l’autoproduction est mécaniquement « mauvaise » pour la croissance.
- enfin « disponibles pour des emplois finals » signifie que nous n’avons pas affaire à des biens ou services qui seront incorporés dans la production d’une autre activité. En conséquence, cet « emploi final » est essentiellement le fait des ménages et des collectivités de consommateurs, mais il concerne à la fois les dépenses de consommation courante et celles concernant des investissements.
Il se trouve que ce PIB peut également être défini comme la somme des valeurs ajoutées des activités résidentes. La valeur ajoutée se définit comme la différence entre le prix de marché des biens et services produits et le prix des achats nécessaires pour la production de ces biens ou services, toutes taxes comprises dans les deux cas de figure, mais en déduisant les subventions versées. Il est bien sûr possible de faire des sous-totaux de cette valeur ajoutée par nature d’activité, et cela donne ce qui suit.
Part de chaque nature d’activité dans le PIB français en 2003.
Source : INSEE/comptes de la Nation, 2004
Question (à 100 euros) : que pouvons nous faire croître, dans ce total, sans augmenter la pression sur l’environnement, et les émissions de gaz à effet de serre ? Et bien sûr il faut faire augmenter le PIB « en volume », c’est-à-dire autrement qu’en augmentant les prix, sinon cela s’appelle de l’inflation et non de la croissance. La différence entre les deux est normalement simple : si les ménages dépensent plus pour acheter « la même chose qu’avant » plus cher, c’est de l’inflation, alors que si ils dépensent plus pour acheter plus de choses, ou des choses qui n’existaient pas avant, c’est de la croissance, cette croissance correspondant à une croissance de la production « en volume ».
La différence entre l’inflation et la croissance est cependant parfois subtile : un nouveau modèle de voiture de 70 CV, avec les mêmes accessoires qu’avant, mais qui va 10km/h plus vite (ce qui est parfaitement inutile dans un pays où la vitesse est limitée à 130), et qui vaut 5% plus cher, c’est de l’inflation ou de la croissance ?
Bref, ici comme dans beaucoup de domaines, catégoriser les choses n’est pas nécessairement aussi trivial qu’il y paraît. Pour en revenir à notre question, qui est de savoir ce que l’on peut faire « croître » dans l’économie nationale sans faire croître les émissions de gaz à effet de serre (et plus généralement les nuisances environnementales), la réponse est là aussi loin d’être évidente :
- Est-ce que le poste « agriculture, sylviculture, pêche » (1er item du graphique ci-dessus) peut croître « en volume » (donc autrement qu’en montant les prix, sinon c’est de l’inflation !) sans inconvénients climatiques ? Au vu des inconvénients liés à l’agriculture existante (pesticides, eutrophisation, érosion des sols, déforestation, changement climatique, etc), augmenter la production agricole en quantité sans augmenter la pression sur l’environnement, dont les émissions de gaz à effet de serre, n’est assurément pas un pari gagné d’avance ! Augmenter la pêche sans augmenter la pression sur l’environnement ne semble pas non plus trivial, et enfin augmenter le nombre d’arbres coupés (sylviculture) sans augmenter la pression sur l’environnement (dont les émissions de gaz à effet de serre) pose également des problèmes passé un certain seuil (probablement non atteint en France, mais dépassé dans d’autres pays),
- pouvons nous faire croître l’industrie agro-alimentaire sans inconvénients climatiques ? Avant même de parler d’environnement, si cette industrie produit « plus de choses », à population constante ou à peu près, cela signifie probablement que chaque français va consommer plus de nourriture (ou une nourriture plus chère, donc avec généralement des denrées plus intensives en énergie pour leur production : viande, produits exotiques). Bien qu’il ne s’agisse pas d’une incidente, est-ce possible d’avoir cette évolution sans inconvénients sanitaires, comme par exemple l’augmentation de l’obésité ? Pour en revenir à l’environnement, une telle augmentation de la production de l’industrie agro-alimentaire est-elle possible sans augmenter la production agricole en amont, cette dernière étant déjà une source majeure de gaz à effet de serre ? Comment augmenter la valeur de ce qui est vendu (par exemple en multipliant les portions individuelles, qui valent plus cher au kilo) sans augmenter les emballages, qui ne contribuent pas vraiment à faire baisser les émissions ?
- pouvons nous faire croître l’industrie automobile sans inconvénients en matière d’émissions de gaz à effet de serre ? Si chaque génération de nouvelles voitures est plus petite, plus légère, moins puissante, tout en étant plus chère, et qu’elle n’est pas vendue en plus d’exemplaires, nous pourrions penser que c’est possible, mais malheureusement, avec les conventions actuelles, l’INSEE n’appellera pas cela de la croissance, mais de l’inflation…
- Comment faire croître indéfiniment (car non seulement quasiment personne n’envisage la décroissance volontaire aujourd’hui, mais quasiment personne ne l’envisage non plus « un jour », aussi lointain soit-il !) la valeur économique « en volume » du tourisme, de la construction, de l’industrie des biens d’équipement, etc, sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui, et plus généralement tout un chapelet d’inconvénients environnementaux divers ? Nous pouvons ainsi continuer toute la liste et nous demander, pour chaque branche de l’économie, si elle peut « croître » sans inconvénients majeurs, ou sans entraîner de facto la croissance d’un autre segment de l’économie dont elle dépend (comme l’agriculture pour l’industrie agro-alimentaire, et surtout comme les transports pour tout ce qui est produit ailleurs que là où c’est consommé, ou pour tous les services liés au tourisme…). Nous verrons que cela ne sera pas si fréquent… Même l’enseignement, dans la mesure où il vise à former des individus aptes à exercer une activité productive, dépend aujourd’hui de l’existence d’une production!
Ce que montre cette brève énumération, c’est que le « yaka » découpler la croissance de la consommation d’énergie et de la hausse des émissions de gaz à effet de serre n’est pas si simple, et de toute façon la « croissance » est, dans bien des cas, tributaire non seulement de la croissance de la consommation d’énergie fossile, mais aussi de la croissance de la consommation de tout un tas de denrées matérielles, et cela ne peut bien évidemment pas durer éternellement. Paradoxalement, plus la croissance est forte, et moins longtemps elle durera, et cela ne concerne pas que les gaz à effet de serre.
Que peut-on espérer de la « dématérialisation de l’économie » ?
Il est assez fréquent d’entendre, cependant, que la « dématérialisation de l’économie » va finir par produire l’effet désiré, à savoir une « croissance économique » qui n’ira plus de pair avec la croissance des émissions, et que l’on peut sérieusement compter sur cette évolution pour contribuer à nous tirer d’affaire.
Avant de disserter sur la chose, il reste à se mettre d’accord sur ce que l’on appelle la « dématérialisation ». Elle est souvent considérée comme le fait que la part de l’emploi ou de l’activité qui va dans le tertiaire, ou dans le traitement de l’information, croit plus vite que l’économie elle-même, et que cela suffira à faire baisser les émissions de gaz à effet de serre, parce que les activités tertiaires sont moins intensives en énergie que les activités manufacturières. Malheureusement, cette croyance se heurte à quelques faits qui plaident en sens contraire :
- un employé du tertiaire continue à consommer de l’énergie : il faut le chauffer, et il se déplace (en voiture, souvent, en avion, parfois !). En moyenne, un employé du tertiaire consomme 1,5 tonne équivalent pétrole par an au titre de son travail (source IFEN, 2004), soit plus d’un tiers de la consommation moyenne d’énergie par Français, et à peu près autant que ce chaque Français consommait comme énergie en tout en 1960.
- en particulier, un employé du tertiaire moderne consomme beaucoup plus d’énergie qu’un agriculteur de 1945 (à cette époque 35% de la population active était aux champs) ou qu’un ouvrier textile de cette époque.
- Depuis plus d’un siècle, les flux d’information ne remplacent pas les flux physiques de marchandises : au contraire, les deux évoluent en parallèle, et lorsque la quantité d’informations qui circule augmente, les transports physiques augmentent aussi !
Evolution comparée des flux d’informations et des flux de transport depuis 1800.
Aucune « dématérialisation » ne se constate pour le passé : la hausse des flux d’information va de pair avec une hausse équivalente des flux physiques (donc de l’énergie consommée), et ne les fait pas baisser.
Source : Arnulf GRÜBLER, the Rise and Fall of Infrastructures, 1990, repris dans GIEC, 2001
- Au niveau des personnes, partout dans le monde la croissance économique s’accompagne d’une hausse du kilométrage parcourus en voiture
Evolution, pour les 11 pays de l’AIE, de 1970 à 2000, du kilométrage annuel en voiture (en milliers de véhicule.km par personne) en fonction du PIB par tête.
La sanction est claire : plus le PIB par tête augmente, et plus on fait de km en voiture, ou, dit autrement, jusqu’à maintenant, et quel que soit le pays du monde, il a été impossible de faire de la croissance économique sans augmenter les km en voiture. Or ces derniers, qui appartiennent au monde physique, ne peuvent augmenter indéfiniment. Que va-t-il se passer, alors, quand ils baisseront, par exemple par manque de carburants à bon marché ?
On notera quand même que la « pente » de chaque courbe n’est pas exactement la même, ni le niveau de départ : entre le Japon, pays qui fait le moins de voiture par point de PIB, et…. le Danemark, qui en fait le plus (autant pour la réputation écolo de ce pays !), il y a un facteur 3 : à pouvoir d’achat identique, un Japonais fait trois fois moins de km en voiture qu’un Danois.
Source : 30 Years of Energy Use in IEA Countries, IEA, 2004.
- une large part du produit de l’activité tertiaire vise à augmenter l’activité manufacturière : les sociétés de service en informatique, de conseil, d’expertise comptable, les loueurs de bureaux ou de voitures, ou encore les établissements d’enseignement sont conçus pour permettre un accroissement de la production manufacturière ou agricole, outre qu’ils consomment de l’énergie en direct.
En cherchant à avoir une vue synthétique sur la question, on réalise qu’il n’existe pas de raison de fond pour que la « dématérialisation » conduise à une baisse des émissions « toutes choses égales par ailleurs ». On peut en effet écrire la petite équation simple ci-dessous (pour une décomposition pas à pas voir la première partie de la page sur l’équation de Kaya).
GES= \frac{GES} {Energie}\times \frac{Energie} {Pib}\times \frac{Pib} {Pop. active}\times Pop.active
Soit:
\text{\scriptsize{Emissions de GES }}=\text{\scriptsize{Contenu en GES de l'energie} }\times \text{ \scriptsize{Intensite energetique de l'economie}}\times \text{ \scriptsize{Production par salarie}}\times \text{ \scriptsize{Population active}}
Or la « dématérialisation » désigne souvent, pour certains économistes, une décroissance du terme « intensité énergétique de l’économie ». Cela revient à dire que pour produire une même unité de PIB on utilise moins d’énergie. Mais dans le même temps on cherche généralement à avoir une augmentation de la productivité (donc une augmentation du terme « production par salarié »), et une augmentation de la population active (pour diminuer le taux de chômage et payer les retraites !), de telle sorte que le résultat d’ensemble n’a pas de raison particulière de conduire à une baisse des émissions (qui d’ailleurs ne se produit pas volontairement).
Le seul cas de figure où, en France, une baisse significative des émissions a été obtenue en même temps qu’une croissance économique, a été au moment de la montée en puissance du programme électronucléaire, qui a abouti à un gain très significatif sur le « Contenu en gaz à effet de serre de l’énergie » qui a plus que compensé l’évolution globale de l’ensemble des autres facteurs.
L’économie occidentale est-elle généralisable au monde entier ?
Si je me fie à ce qui figure le plus souvent dans les journaux, et bien que ce qui précède montre bien que cela ne « tiendra pas dans la boîte », notre schéma de pensée dominant, aujourd’hui, est qu’il est souhaitable de généraliser à la population la plus large possible le mode de vie des européens. Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement que nous considérons comme un objectif souhaitable que chaque habitant de la planète dispose des biens suivants :
- plus de 30 m² de surface habitable chauffée – ou climatisée,
- une voiture par adulte en âge de conduire ou à peu près (le parc auto en France est de plus de 30 millions de véhicules – utilitaires compris – et en prolongation tendancielle il y aurait entre 2 et 3 milliards de voitures sur Terre en 2050, comparé à 800 millions aujourd’hui),
- 100 kg de viande par personne et par an (l’agriculture est en France la première source de gaz à effet de serre),
- 8.000 kWh d’électricité par personne et par an (c’est ce que nous consommons en France, une partie directement par le biais de nos factures d’électricité, et une partie indirectement car elle est « incluse » dans les produits manufacturés que nous achetons), or la production d’électricité est la première source de CO2 dans le monde, car le gaz, le charbon et le pétrole représentent 2/3 de l’énergie primaire utilisée,
- des produits manufacturés (chemises, téléphones, perceuses, moquettes, lampes, surgelés Picard, bref tout ce que vous pouvez apercevoir autour de vous) en abondance et pas chers.
Un Européen émet en moyenne 3 tonnes équivalent carbone par an pour accéder à cette abondance matérielle. Appliquer cela à la population mondiale conduirait à :
- tripler les émissions de CO2, qui passeraient de 6 à 18 milliards de tonnes équivalent carbone (notées Gtec, G voulant dire Giga) par an à population constante (les scénarios les plus pessimistes du GIEC en 2001 vont jusqu’à 35 Gt par an en 2100),
- les multiplier par 5 si dans le même temps la population passait à 10 milliards d’individus (les émissions de CO2 seraient alors de 30 Gtec/an). Notons que si l’objectif de société n’est pas d’imiter les Européens mais les Américains, et que nous avons 10 milliards d’individus, les émissions mondiales passeraient alors à 10 fois ce qu’elles sont actuellement (soit 60 Gtec par an, cela est une chose que même le GIEC n’a pas imaginée !). Il est vrai que cela commence à être beaucoup en regard des ressources fossiles connues….