Dans le débat qui prend place autour de l’influence de l’homme sur le climat, il y a deux affirmations qui sont assez souvent faites, bien qu’elles soient inexactes :
- dire que l’homme est devenu la seule cause de changement du climat,
- dire que la seule action de l’homme sur le climat concerne l’augmentation de l’effet de serre.
Bien sûr, dire que ces affirmations sont inexactes ne signifie en rien que l’augmentation de l’effet de serre sous notre influence est une petite affaire, qu’elle n’a pas plus d’importance que nos autres actions sur le climat, ou encore qu’elle est négligeable devant les causes de variabilité naturelle.
Il n’en reste pas moins que l’homme peut agir sur le climat de bien des manières, tout comme le climat a toujours eu des facteurs de variation naturelle qui ne doivent rien à l’homme. Cette dernière affirmation est du reste tellement vraie que, en ce qui concerne le changement climatique, la question posée à la communauté scientifique n’est pas (et n’a jamais été) « l’homme est-il responsable du changement climatique » (lequel, pour commencer ? Celui d’il y a 20.000 ans, ou celui qui pourrait prendre place entre 2000 et 2100 ?) mais « notre espèce est-elle en train de devenir le facteur dominant de variation du climat à l’échelle du siècle, et si oui, où cela peut-il nous mener ? ».
Si la question est de savoir si nous sommes en train de devenir le facteur dominant, c’est qu’il y en a d’autres, CQFD ! Pouvons tenter d’y voir plus clair ?
Le climat varie-t-il sans hommes pour le tripoter ?
En fait, non seulement le climat est capable de varier sans hommes pour le tripoter, mais sur de longues échelles de temps il n’a jamais cessé de le faire. Il y a bien des facteurs qui influent sur le système climatique terrestre, et si, par les temps qui courent, l’homme est devenu prépondérant, la liste des éléments qui jouent un rôle est longue :
le climat peut varier parce que la quantité d’énergie que le Soleil envoie sur la Terre varie. Cela même peut avoir plusieurs origines :
l’énergie fournie par la machine solaire peut varier. Il y a quelques milliards d’années, par exemple, cette énergie était de 30% inférieure à l’actuelle, car le Soleil était plus jeune. Aujourd’hui aussi l’énergie que nous envoie le Soleil varie en permanence. Il y a par exemple un cycle de 11 ans, caractérisé par la variation du nombre de taches solaires, au cours duquel l’énergie solaire augmente et diminue un peu. Toutefois cette variation est faible, et n’explique pas le réchauffement récent.
sous l’influence de l’attraction des grosses planètes du système solaire, l’orbite de la Terre, qui n’est pas circulaire, se déforme un peu au cours du temps. Cela change la quantité d’énergie reçue du Soleil, ainsi que sa répartition sur la Terre. Sur le dernier million d’années, par exemple, ce sont les variations des paramètres astronomiques de la Terre qui ont engendré les glaciations et déglaciations de la planète.
Tout d’abord, « l’aplatissement » de l’ellipse que suit la terre autour du soleil varie au cours des millénaires, avec une quasi-période de l’ordre de 80.000 ans (c’est-à-dire que au bout de 80.000 ans on est dans une situation qui ressemble à un « retour à la case départ » pour ce paramètre).
Illustration de l’aplatissement de l’orbite terrestre au cours des âges.
Il y a 115.000 ans, par exemple (on était en cours d’englacement), l’orbite était plus aplatie que maintenant. Attention : les tailles respectives du Soleil et de la Terre ne sont pas du tout à l’échelle.
Source : Nathalie de Noblet, intervention au Symposium du Collège de France, 12 octobre 2004
Or l’énergie moyenne reçue dépend de cet aplatissement, c’est M. Kepler qui l’a dit !
Ensuite l’inclinaison de la terre sur son orbite – que l’on appelle encore l’obliquité, voir dessin ci-dessous – varie aussi, avec une période de 40.000 ans environ.
Obliquité de la terre sur son orbite, correspondant à l’angle alpha en bas du dessin. Cet angle, d’environ 23°, varie lentement de plus ou moins 1° autour de cette valeur médiane (ça se promène donc entre 22 et 24°, en gros).
Cette variation change le contraste entre les saisons : plus cet angle est important, et plus la quantité d’énergie reçue par la terre est différente entre hiver et été. Une obliquité importante fait donc des hivers plus froids et des étés plus chauds.
Source du dessin : Jancovici, 2002
Enfin la terre ne présente pas toujours le même hémisphère quand elle est au plus près du Soleil, ou dit autrement elle n’est pas toujours au même endroit de l’orbite au moment des équinoxes (bien que cela ne soit pas fidèlement représenté ci-dessous, l’équinoxe est le moment où l’axe de rotation de la terre est perpendiculaire à une ligne imaginaire qui joint le soleil et la terre, et à ce moment précis la longueur du jour et celle de la nuit sont exactement les mêmes partout sur terre).
Illustration du déplacement du solstice le long le l’orbite terrestre (en fait l’axe de rotation de la terre ne devrait pas être représenté incliné de la même manière sur les deux dessins, pour être toujours perpendiculaire à la ligne terre-soleil au moment de l’équinoxe).
Source : Nathalie de Noblet, intervention au Symposium du Collège de France, 12 octobre 2004
A cause de ce « cheminement » des moments où ont lieu les solstices et les équinoxes le long de l’orbite terrestre, tous les 13.000 ans il y a inversion de l’hémisphère présenté au soleil quand la Terre en est au plus près. Ce processus porte le nom compliqué de « précession des équinoxes ». Il jour un rôle important, parce que les deux hémisphères (Nord et Sud) sont très différents : l’hémisphère Nord contient plus de terres, qui réfléchissent mieux la lumière que l’océan. Aussi, en fonction de l’hémisphère qui est présenté au soleil lorsque la distance est minimale, l’énergie absorbée en moyenne par notre planète sur l’année varie beaucoup.
En pratique, c’est ce dernier effet qui engendre les variations les plus rapides de l’énergie solaire que nous gardons sur Terre, cette énergie conservée mettant en route la machinerie climatique ; cet effet est toutefois plus ou moins amplifié selon ce qui se passe pour les autres paramètres astronomiques de la Terre.
Variation de la quantité moyenne d’énergie solaire reçue au milieu du mois de juin à la latitude 65 °nord, au cours des temps géologiques. En allant vers la droite, on remonte dans le temps (kyr BP signifie « milliers d’années avant aujourd’hui »). Actuellement cette valeur est d’environ 480 Watts par m², et il y a 11.000 ans (holocène) elle était de 530 Watts par m².
On voit qu’il y a environ 100.000 ans, lorsque l’excentricité était plus forte, l’effet de la précession était bien plus important qu’aujourd’hui : cette valeur oscille fortement avec une « quasi-période » d’un peu plus de 10.000 ans.
Source : André Berger, intervention au Symposium du Collège de France, 12 octobre 2004
Ces diverses variations astronomiques, qui se répercutent plus ou moins vite sur le climat terrestre, ont engendré le cycle des glaciations sur les dernières centaines de milliers d’années.
Evolution, sur les 400.000 dernières années, de la température moyenne de Antarctique. Le 0 de l’axe vertical de gauche correspond à la valeur actuelle (cette courbe montre donc les écarts à la valeur actuelle).
Cette variation de température est légèrement plus élevée que celle de la planète dans son ensemble.
Le fait que les oscillations soient plus importantes à droite (donc récemment) tient à la meilleure précision des mesures quand on se rapproche de l’époque contemporaine.
Source : Petit & al., Nature, Juin 1999
- le climat peut varier par suite d’une modification de la composition de l’atmosphère (sans intervention de l’homme), ce qui peut changer l’effet de serre. Par exemple, l’apparition de la vie a fait considérablement baisser, en quelques centaines de millions d’années, la teneur en gaz carbonique dans l’air (le CO2 était l’un des constituants majoritaires de l’atmosphère primitive), ce qui a graduellement diminué l’effet de serre au cours de cette période (il se trouve que parallèlement l’activité solaire a augmenté, et que les deux processus se sont à peu près compensés).
Concentrations de CO2 au cours des âges géologiques récents. RCO2 est le rapport entre la concentration pré-industrielle en CO2 (qui faisait un peu moins de 300 parties par million, soit 0,03% de l’atmosphère en volume) et celle existant dans le passé.
Par exemple R = 5 signifie que la concentration est alors de 5×300 = 1500 ppm, ou encore que le CO2 occupe alors 0,15% de l’atmosphère.
A l’époque des dinosaures (-230 millions d’années à – 65 millions d’années) l’atmosphère avait de 2 à 5 fois plus de CO2 qu’à l’époque pré-industrielle, et donc l’effet de serre était plus important (mais l’activité solaire était plus faible, de telle sorte que la température moyenne de la planète n’était pas considérablement au-dessus de l’actuelle). Et surtout cette courbe ne dit pas ce qui se passe quand le CO2 est multiplié par 2 à 4 en un siècle, ce qui n’est jamais arrivé naturellement !
Source : Berner, Science, 1997, repris sur Planète Terre
- le climat peut varier en fonction de l’activité volcanique. Une éruption volcanique envoie dans l’atmosphère du SO2 (qui est un « refroidisseur du climat », voir page sur les aérosols), peut y mettre du CO2, qui est un gaz à effet de serre, et si l’éruption est assez violente elle peut envoyer dans la stratosphère (une couche de l’atmosphère qui débute à 10 km du sol environ) des poussières qui obscurcissent un peu la lumière du soleil, et vont rester « en l’air » très longtemps (quelques mois ou années). L’une des théories pour expliquer la disparition des dinosaures, par exemple, a longtemps été une activité volcanique si intense qu’elle aurait obscurci le ciel en mettant des quantités considérables de poussières dans la stratosphère, ce qui aurait significativement refroidi la Terre et fait périr quasiment toutes les espèces à l’époque. En fait l’hypothèse qui tient la corde aujourd’hui est l’impact d’un météorite, qui aurait eu à peu près le même effet (plein de poussières dans la stratosphère), mais cela illustre qu’un changement climatique majeur peut déboucher sur une crise massive d’extinctions.
- sur de très longues périodes, le climat varie en fonction de la dérive des continents :
- c’est l’installation d’une plaque continentale au Pôle Sud qui a permis l’apparition d’une calotte polaire permanente, ce qui a un effet sur le climat planétaire dans son ensemble,
- La dérive des continents influe sur la forme des bassins océaniques, ce qui en retour peut modifier le parcours des courants marins, qui transportent plus ou moins d’énergie des tropiques vers les pôles.
- La dérive des continents a aussi créé des chaînes de montagnes, qui ont assurément une influence locale importante sur le climat!
Le climat varie en fonction du pouvoir réfléchissant de la Terre, qui conditionne la quantité d’énergie solaire qui repart vers l’espace sans avoir été exploitée par la machine climatique. Ce pouvoir réfléchissant – que les physiciens appellent « albédo » – augmente avec l’étendue globale de la glace sur terre (par exemple de la banquise), augmente avec la désertification (naturelle ou pas), mais diminue quand une forêt apparaît à la place d’une savane ou prairie (les forêts sont des surfaces généralement peu réfléchissantes, sauf les forêts boréales en hiver, couvertes de neige).
Il est donc certain que l’homme n’est pas le seul facteur de variation du climat passé, mais va-t-il désormais être le principal sur les siècles qui viennent ? Et là la réponse est que probablement oui….
L’augmentation de l’effet de serre est-elle la seule influence de l’homme sur le climat ?
Une autre question survient assez fréquemment dans le « dossier climatique » : n’aurions nous pas d’autres influences sur le climat que l’augmentation de l’effet de serre? En fait il s’avère que nous en avons beaucoup d’autres, mais, actuellement, toutes les autres sont secondaires en regard de l’augmentation de l’effet de serre, à l’exception des émissions d’aérosols dont l’effet n’est pas négligeable sur le climat (et qui sont détaillés sur une autre page) :
- l’homme peut avoir une influence notable sur le cycle local de l’eau, et donc sur le climat local, soit en mettant un barrage en eau (cela s’est constaté dans le cas du barrage d’Assouan, en Egypte), soit en supprimant une étendue d’eau existante (dans le cas de la Mer d’Aral par exemple). Une perturbation du cycle local de l’eau (dans le sens d’un assèchement) se constate aussi à la suite du défrichement d’une forêt (de la déforestation, donc).
- la concentration urbaine crée des augmentations locales de température, particulièrement la nuit, d’une part à cause d’un usage localement important de l’énergie (chauffage en hiver ou de climatisation en été, circulation intense, etc), et d’autre part à cause de l’inertie thermique des bâtiments,
- La désertification modifie le pouvoir réfléchissant des surfaces touchées, en général en l’augmentant (une forêt est souvent plus sombre, donc absorbe mieux l’énergie solaire, qu’une surface agricole). Or en augmentant la réflexion de l’énergie solaire, on diminue le chauffage du sol, ce qui a un effet sur le climat local,
- la mise en culture d’une forêt a le même effet : une forêt est en général une surface moins réfléchissante pour le soleil qu’un champ ou une prairie.
Peut-on comparer tous ces effets ?
Tous les facteurs de variation du climat mentionnés ci-dessus, qu’ils soient « naturels » ou d’origine humaine, ne se produisent pas au même rythme (l’effet climatique de la dérive des continents, en un siècle, n’est pas très important !). Les scientifiques qui travaillent sur le climat ont bien sûr regardé comment se comparent ces effets entre eux à l’échelle du siècle, et comment ils se comparent à l’augmentation de l’effet de serre.
Comparaison des influences respectives sur le climat des émissions humaines et des facteurs « naturels » de variation du climat pour le dernier siècle.
- Les facteurs « naturels » comprennent essentiellement le volcanisme (influence temporairement significative mais durant peu de temps) et la variation de l’activité solaire.
- Les facteurs « humains » (ou « anthropiques ») comprennent les gaz à effet de serre et les aérosols.
On constate aisément que les facteurs naturels, qui dominaient les forçages il y a un siècle (en particulier le volcanisme), sont aujourd’hui « supplantés » par les facteurs d’origine humaine. C’est bien ce changement d’ordre de grandeur qui est la cause du problème.
Source : Hansen et. al, Science 2005
La conclusion est pour le moment claire : à l’échelle des temps historiques, l’effet de serre d’origine humaine est sorti du « bruit de fond » pour devenir le premier facteur de variation du climat (on parle de « forçage », c’est à dire de perturbation par rapport à un état stable), et pourrait l’être de plus en plus à l’avenir.