L’un des arguments parfois mis en avant pour expliquer que le changement climatique que nous avons mis en route reste hypothétique est la survenue d’un événement météo qui n’est pas « conforme » à l’évolution générale attendue :
- des températures très basses l’hiver
- un « été pourri » dans le midi,
- un manteau neigeux abondant dans les Alpes une année…
Ce faisant, nous effectuons une confusion fréquente : celle de penser que l’on peut mettre sur le même plan la météo et le climat, alors que nous parlons là de deux manières très différentes de considérer « le temps qu’il fait ».
- La météo, cela désigne le temps qu’il fait « tout de suite », ou dans pas très longtemps, et « devant ma porte », ou pas très loin. Elle se définit donc par des valeurs instantanées et locales de la température, des précipitations, de la pression, de la nébulosité (c’est-à-dire de la couverture nuageuse), etc. Pour faire de la météo, il suffit, pour l’essentiel, de « lever le nez », c’est-à-dire de regarder ce qui se passe dans l’atmosphère. Pour faire cela, on utilise des stations au sol (température, précipitations, pression au sol), des ballons-sondes ou des satellites (température et pression en altitude, précipitations sur de larges zones, notamment l’océan, etc). Une fois que l’on dispose d’une bonne description de ce qui se passe « au-dessus de nos têtes » sur un court intervalle de temps (quelques jours), il suffit alors, pour connaître le temps qu’il va faire dans les jours à venir à un endroit donné, de « prolonger » l’évolution atmosphérique observée sur quelques jours. Un modèle de météo est donc un modèle purement atmosphérique, mais cela est bien suffisant pour faire de bonnes prévisions à l’échelle de quelques jours : malgré tout ce que nous pouvons en dire, la tendance prévue par la météo est souvent la bonne!
- Là où les choses se compliquent, c’est que lorsque nous parlons climat nous parlons aussi de température, de précipitations, de pression, de nébulosité, etc. La grande différence, c’est qu’au lieu de parler de valeurs instantanées et locales, nous allons surtout parler de valeurs moyennes sur des années ou des dizaines d’années, et sur des zones géographiques qui sont en général importantes: continents ou fractions de continent. Un climat n’est pas dit tempéré parce qu’il a fait une température donnée en un lien donné le 3 janvier, mais parce que les températures sont « en moyenne » comme ceci l’hiver, et « en moyenne » comme cela l’été, et que il pleut « en moyenne » tant dans l’année, etc. Et ce « en moyenne » fait référence à des valeurs qui ont été mesurées sur des dizaines d’années, non sur une seule.
Il est bien sûr possible de passer de la météo au climat: avec l’ensemble des relevés journaliers et locaux, on construit facilement des moyennes pluriannuelles et sur des zones larges. Par contre, il sera facile de comprendre que l’inverse n’est pas vrai : avec des évolutions qui portent sur les moyennes (ce qui correspond aux sorties des modèles pour le climat futur), il ne sera pas facile – voire pas possible – de reconstituer l’évolution locale et instantanée de la température ou du vent. Un exemple tiré de la vie de tous les jours permettra facilement de comprendre cela : admettons que nous sachions que la moyenne d’une classe est montée de 2 points. Pouvons nous en déduire pour autant que la note du petit Martin ou de la petite Dupond ont aussi monté de 2 points ? Bien sûr que non: on peut très bien avoir une moyenne qui va dans un sens avec la note de tel ou tel élève qui va dans l’autre.
Pour le climat et la météo, c’est pareil : on peut très bien avoir la moyenne qui va dans un sens, avec un événement ponctuel qui va dans l’autre. Si en plus on se rappelle que la surface de la France, c’est 0,1% seulement de la surface planétaire, alors il est facile de comprendre que la tendance générale au réchauffement (qui fait référence à la moyenne planétaire sur quelques dizaines d’années au moins) n’est pas infirmée par un hiver froid ou un été frais en France ou en Italie ou en Floride ou en Mongolie.
C’est pour cela qu’à la question de savoir si un événement nouveau ou inhabituel – comme les tempêtes de 1999 – qui est, au départ, un événement météorologique (il a pris place à un endroit donné et sur une courte période de temps), est aussi le signe d’un changement climatique, la science est pour le moment sans réponse satisfaisante : il faut attendre de savoir si, « en moyenne », ce genre de chose va se produire plus souvent. Dit autrement, nous aurons la réponse quand il sera trop tard pour anticiper quoi que ce soit.
Bien sûr, tout comme la météo, le climat varie, mais pas aux mêmes échelles de temps!
- La variation la plus rapide et la plus importante du climat régional est bien sûr le cycle des saisons, qui fait facilement gagner ou perdre deux dizaines de degrés de température moyenne aux moyennes latitudes.
- puis, si nous nous cantonnons uniquement aux moyennes annuelles de température ou de précipitations, nous allons trouver des grandes oscillations type El Niño, susceptible de faire varier significativement le climat régional pendant quelques années,
- des changements massifs d’un climat régional peuvent survenir en quelques dizaines d’années ou quelques siècles comme conséquence d’une modification des courants océaniques régionaux qui se produisent au même rythme (comme par exemple les « arrêts » du Gulf Stream dans le passé),
- à l’échelle de quelques millénaires et de l’ensemble du globe, nous pouvons trouver les entrées en glaciation (qui prennent typiquement de l’ordre de 10.000 ans).
- enfin le climat peut lentement évoluer à l’échelle de dizaines de millions d’années, ce qui est par exemple le cas du lent refroidissement que notre planète a connu « en moyenne » depuis le milieu de l’ère tertiaire. Cette fois-ci, c’est la dérive des continents qui est en cause! (voir plus bas)
Estimation de la température moyenne de la planète (par rapport à aujourd’hui, le 0 de l’échelle de droite représentant la température moyenne du dernier millier d’années) sur les 70 millions d’années écoulées.
L’axe horizontal du bas donne l’ancienneté par rapport à aujourd’hui, en millions d’années. Attention! Une graduation de l’axe du bas fait 2 millions d’années, et l’époque est d’autant plus ancienne que l’on va vers la droite.
Rappelons que la moyenne planétaire est aujourd’hui de 15 °C, mais que si nous faisons la moyenne sur le dernier million d’années nous obtiendrons quelque chose de plus proche de 11 ou 12 °C, car la terre a été en période glaciaire l’essentiel du dernier million d’années.
Source : Zachos et al., Science, 2001
Bien sûr, dans toute évolution lente il peut se glisser des variations plus rapides, mais il faut bien se garder de confondre la tendance de fond avec les variations rapides en question. Un changement de climat n’est pas caractérisé dès que la température d’un jour donné – ou même d’une semaine donnée – a connu un écart important par rapport à la moyenne, ou même à l’évolution lente de cette moyenne.
Suffit-il de « lever le nez » pour comprendre le climat ?
Une autre grande différence entre climat et météo est que le climat n’est pas uniquement déterminé par ce qui se passe dans l’atmosphère : pour étudier le comportement du climat, il ne suffit pas de « lever le nez pas très haut ». En effet, le fonctionnement de la machine climatique est conditionné par énormément d’éléments, dont tous, du reste, ne font pas partie du système « planète terre ». En voici une liste (non limitative):
- le soleil, et la plus ou moins grande quantité d’énergie qu’il émet, car cela conditionne la quantité d’énergie qui est « injectée » dans la machine climatique terrestre,
- les paramètres astronomiques de la terre, qui conditionnent aussi la quantité de rayonnement solaire qui parvient sur la terre, et surtout sa répartition saisonnière,
- la composition de l’atmosphère, qui conditionne l’effet de serre, et donc le « chauffage supplémentaire » du sol,
- les volcans, qui conditionnent la quantité d’aérosols envoyés dans l’atmosphère, et donc, au contraire, le « refroidissement » du climat,
- les océans, qui, avec l’atmosphère, « amortissent » considérablement les écarts de température entre la nuit et le jour, et entre l’hiver et l’été,
- les glaces polaires, d’une part parce que leur étendue conditionne le pouvoir réfléchissant global de la terre (mais de manière secondaire par rapport aux nuages), et surtout parce que leur volume conditionne la hauteur des océans (en période glaciaire les calottes sont bien plus massives, et du coup l’océan bien plus bas),
- la végétation, qui conditionne le cycle local de l’eau (les arbres sont des machines à évaporer, et en moyenne il pleut plus au dessus des zones boisées qu’au-dessus des terres défrichées), et qui conditionne aussi le pouvoir réfléchissant de la surface : une forêt et un champ n’ont pas le même pouvoir de réflexion du rayonnement solaire, ce qui a bien sûr de l’importance,
- la dérive des continents, qui change la répartition régionale de la réflexion du rayonnement (l’eau océanique réfléchit moins le rayonnement que les terres émergées : si la dérive des continents met de la terre là où il y avait de l’eau, cela change la proportion de rayonnement réfléchi à cet endroit du globe, et donc le climat local, voire global). Cette dérive permet aussi, si la terre remplace l’eau aux pôles, l’installation d’une calotte polaire (sur l’océan, il ne peut y avoir que de la banquise, bien moins volumineuse), qui va en retour changer le niveau des océans et la température moyenne de l’hémisphère,
- etc…
Et pour finir, si l’homme est incontestablement devenu un agent climatique en modifiant l’effet de serre de l’atmosphère, ce qui va engendrer une modification lente (mais potentiellement majeure à terme) du climat, il n’est pas encore devenu un agent météorologique, capable de changer instantanément le temps qu’il fait en un claquement de doigts!