Ah, ce serait si beau…. fini les raffineries ou oléoducs qui explosent, les navires qui marénoirisent, le changement climatique, les terrils de mines de charbon, les centrales nucléaires et que sais-je encore : quelques éoliennes, quelques champs de colza, et hop ! tout le monde vit à peu près comme maintenant, heureux dans un monde débarrassé de ses problèmes. Est-ce théoriquement possible de permettre aux occidentaux que nous sommes de conserver un monde semblable à celui que nous connaissons avec juste des énergies renouvelables ?
Tout ce qui suit est basé sur mon retraitement personnel des statistiques françaises de consommation d’énergie (si vous êtes curieux les explications se trouvent ici).
Notre consommation d’énergie : de quoi s’agit-il au juste ?
Demandez à n’importe lequel de vos voisins ce que signifie pour lui « économie d’énergie », et vous avez toutes les chances qu’il vous parle à peu près exclusivement d’ampoules basse consommation ou d’isolation des fenêtres. Est-ce à dire que l’essentiel de notre consommation d’énergie réside dans l’éclairage et le chauffage des maisons ?
Consommation d’énergie primaire par usage en millions de tonnes équivalent pétrole en France en 1999, et pourcentage de chaque usage.
(L’ensemble représente environ 250 Mtep).
(Mtep est l’abrégé de million de tonnes équivalent pétrole, voir définition ici)
L’éclairage fait partie du poste « électricité spécifique résidentiel et tertiaire » et le chauffage est individualisé.
« Utilisation comme matière première » désigne les hydrocarbures qui ne sont pas brûlés mais utilisés comme …. matière première par la chimie pour fabriquer des produits divers (plastiques, lessives…).
Source : Observatoire de l’Energie.
Ce panorama d’ensemble permet de voir que nous consommons en fait de l’énergie à travers tous nos actes de la vie quotidienne (se déplacer, se loger, mais aussi acheter à peu près n’importe quel produit ou service), et si le chauffage n’est pas un poste négligeable, il ne fait que 20% de la consommation totale d’énergie, et quant à l’éclairage il représente moins de 1% de la consommation française. Tout le reste est représenté par « autre chose ». Voyons ce que les renouvelables pourraient (ou pas) remplacer.
Industrie
On m’accusera de facilité : je commence par le plus facile à….écarter, malheureusement.
Répartition par secteur d’activité de la consommation d’énergie dans l’industrie et l’agriculture en France, en millions de tonnes équivalent pétrole.
Cette répartition comprend à la fois l’utilisation comme matière première et comme source d’énergie pour les composés fossiles.
Le total représente environ 80 Mtep.
Source : Observatoire de l’Energie.
A partir du graphique ci-dessus et de données disponibles par ailleurs, il est possible de tirer quelques premières conclusions :
- C’est fabriquer les matériaux de base qui requiert énormément d’énergie : « utilisation comme matière première » (voir explications ci-dessous), sidérurgie, chimie de base, fabrication des matériaux de construction…absorbent bien plus de la moitié de la consommation de l’industrie. Les activités de transformation sont comparativement beaucoup plus sobres.
- En mangeant, en achetant n’importe quel objet qui contient du plastique, du fer, de l’aluminium, du tissus, du papier… vous avez consommé de l’énergie (et sur le graphique ci-dessus ne figure pas l’énergie utilisée pour le transport des matériaux pour le compte de l’industrie, pas plus que le chauffage des bureaux, etc). Le fait que certains matériaux soient « recyclables » ne signifie aucunement que :
- leur recyclage à l’identique est possible. Si le verre bouteille est bien recyclé pour faire d’autres bouteilles, du plastique recyclé ne peut pas nécessairement s’employer partout où s’emploie du plastique « neuf », et la majeure partie des matériaux dits « recyclables » sont en fait inutilisables pour être réemployés pour fabriquer les objets dont ils sont issus. Par exemple de nombreux résidus métalliques d’incinération sont « recyclés » pour faire des revêtements de routes. Mais accroître le réseau routier est un « recyclage » dont le côté « écologique » peut largement se discuter !
- Ce recyclage soit intéressant du point de vue énergétique. Par exemple, aujourd’hui, fabriquer du papier à partir de bois ou à partir de papier recyclé est à peu près équivalent du point de vue énergétique (dit autrement, partir de papier recyclé ne permet pas d’économiser de l’énergie pour la fabrication du papier « neuf », parce que certains procédés nécessaires quand on part de papier recyclé – par exemple le désencrage – consomment autant d’énergie que les procédés utilisés quand on part de bois). Penser que l’on peut acheter plein de papier sans impact sur l’environnement si l’on fait l’effort de le mettre ensuite à la poubelle à papier est donc hélas un leurre. En fait « recyclable » signifie essentiellement, aujourd’hui, « sert à quelqu’un pour faire quelque chose d’autre », mais jeter des matériaux recyclables est toujours moins intéressant que d’arriver à s’en passer ! (sans les remplacer par d’autres, évidemment).
Dans ce vaste inventaire à la Prévert que nous voyons ci-dessus, quel est l’espace éventuel pour les renouvelables ?
- Si l’on peut – sur le papier – envisager de recourir aux renouvelables pour l’électricité ou le chauffage des cornues dans l’industrie, il n’est pas possible de substituer les renouvelables aux sources fossiles comme matière première à production constante : on ne peut pas facilement remplacer le pétrole par du bois ou du vent (!) pour faire du plastique. Il est certes possible de faire toute la chimie organique avec du bois, mais avec des rendements qui ne permettent pas d’envisager le volume de production d’aujourd’hui.La chimie, qui nous fournit aujourd’hui bon nombre de produits « incorporant » du pétrole ou du gaz (par exemple le plastique, donc, mais encore les engrais ou…les ordinateurs), n’est donc pas « renouvelable » sous sa forme actuelle.
Par le biais des hydrocarbures nous avons donné un coup d’accélérateur à notre consommation d’à peu près n’importe quoi, transformant à grande vitesse du pétrole en d’autres produits (tupperware, jeux de construction pour enfants, routes, sièges de voiture et bas nylon, ou…..en viande par le biais des engrais), que les sources renouvelables ne permettront pas de maintenir au même niveau.
- De toutes les sources renouvelables de chaleur – solaire thermique , biomasse, géothermie – seule la géothermie, la biomasse (les premières forges étaient alimentées au bois) et le solaire à concentration offrent une ressource suffisamment concentrée pour alimenter une usine en chaleur. L’exploitation de la géothermie pour refroidir lentement l’écorce terrestre (sans grand dommage pour nous) reste, aujourd’hui, une solution sur le papier, mais le potentiel réel, quoi que probablement significatif, n’est pas bien connu.. Quant à la biomasse, l’utiliser intensivement à la place du charbon, du pétrole et du gaz qui font aujourd’hui tourner l’industrie conduirait peut-être à la déforestation rapide de l’Europe : c’est le charbon qui a sauvé nos forêts ; le début de l’industrialisation s’était accompagné d’une exploitation pas renouvelable du tout du bois en Europe !
- Enfin pour le solaire à concentration, il faut alors installer les usines dans les endroits insolés quasiment toute l’année : pas impossible, mais sauf à construire d’énormes réseaux THT allant du Maghreb ou du Sahara à l’Europe, il faudrait délocaliser toutes les industries qui consomment de l’électricité dans ces mêmes endroits !
- Les renouvelables ne peuvent non plus pas grand chose pour la sidérurgie, qui consomme à elle seule 15% de l’énergie de l’industrie, car cela représente pour l’essentiel du charbon nécessaire à la réduction du minerai de fer (la réduction est la réaction chimique inverse de l’oxydation : c’est celle qui consiste à « enlever » l’oxygène d’un composé chimique ; ici il s’agira d’enlever l’oxydène des oxydes de fer qui composent le minerai, pour obtenir du fer sous forme de fonte, c’est à dire encore mélangé à quelques impuretés dont du carbone).
Il existe certes des solutions sur le papier, à savoir la réduction à base d’hydrogène ou le remplacement du charbon par du bois, mais là encore les quantités disponibles de manière réellement renouvelable ne permettraient probablement pas de maintenir la production d’acier au niveau d’aujourd’hui. Peut-être que le solaire à concentration permettrait de produire assez d’hydrogène, mais là encore il faudrait déplacer toutes les aciéries sous les tropiques, et cela ne se ferait pas en une semaine !
- L’hydroélectricité peut délivrer de fortes puissances (jusqu’à plusieurs GW). L’hydroélectrcité, qui fournit « à la demande », permet d’alimenter une usine sans problème (raison pour laquelle la fonderie d’aluminium, très gourmande en électricité, s’est historiquement installée dans les vallées de montagne ou près des grands lacs du Canada ou des pays nordiques, où il était possible de mettre des barrages). Mais l’industrie française consommant un tiers de l’électricité française, et les barrages produisant actuellement 15% de cette même électricité, il faudrait les doubler pour faire fonctionner l’industrie à l’électricité entièrement renouvelable, avec vraisemblablement des problèmes de saisonnalité, et bien entendu nous n’aurions plus la possibilité de recourir à cette source d’énergie renouvelable pour les autres usages examinés ici.
- L’éolien peut certes délivrer des puissances respectables quand le dispositif fonctionne (plusieurs dizaines à plusieurs centaines de MW) mais la production est intermittente, ce qui le met « hors course » pour l’industrie (qui réclame une alimentation constante) tant que le stockage en masse de l’électricité n’est pas possible.
Bref sur les 80 Mtep de consommation de l’industrie, seuls 30 (l’électricité) pourraient être fournis par les renouvelables, au prix d’une multiplication par 3 des lacs de barrage en France (ce qui n’est techniquement pas possible aux dires d’EDF), et une fraction minoritaire de la chaleur (50 Mtep) pourrait être fournie par le bois, la géothermie, et du solaire dans le Sud de la France. Le fait de ne plus avoir de pétrole ou de gaz naturel comme matière première pour la chimie conduirait à une baisse des productions dont je ne connais pas l’ampleur, mais une division par n’importe quoi entre 2 et 10 me paraît plus probable qu’une diminution de 5%.
Transports
Ce poste représente aujourd’hui un quart de la consommation d’énergie en France, si l’on y réintègre l’essentiel du poste « secteur énergie » (voir premier graphique de la page), lequel concerne pour une large part les raffineries, qui produisent majoritairement du carburant pour automobiles (aux 2/3). « Économiser l’énergie », pour rebondir sur la question du haut de la page, signifie donc aussi moins se déplacer !
Les options pour remplacer le pétrole – énergie prépondérante de la mobilité – sont ici :
- Les biocarburants. Mais un rapide calcul d’ordre de grandeur montre que cette marge de manœuvre est voisine de zéro pour conserver un niveau de mobilité motorisée proche de l’actuel (voir détail du calcul).
- L’électricité renouvelable, ce qui nous ramène au problème précédent, avec un bémol d’importance : pour les moyens motorisés « légers » (scooters par exemple, mais pas pour les voitures actuelles, bien trop lourdes), les puissances requises se mettent à être compatibles avec l’énergie délivrée par des panneaux photovoltaïques individuels, ce qui permet d’envisager un modeste recours à l’énergie solaire décentralisée lorsque les panneaux seront économes en énergie à fabriquer (ce qui est probable d’ici à quelques années).Par ailleurs, si l’existence de dispositifs de stockage (batteries, réservoirs d’air comprimé…) atténue fortement le problème de l’intermittence pour les sources non constantes (solaire et éolien), ces dispositifs induisent une consommation supplémentaire car….il faut les fabriquer (batteries par exemple), ce qui consomme de l’énergie et nécessite un usage de matériaux non renouvelables (métaux rares notamment). En outre le cycle « stockage – déstockage » d’une batterie n’a qu’un rendement de 75% environ, il faut compter avec des pertes en ligne si l’électricité est produite « ailleurs » (l’essentiel des pertes a lieu au moment du passage en basse tension). Le stockage de l’électricité induit donc souvent la nécessité de produire significativement plus que l’énergie nécessaire pour l’usage final.
En outre, si nous remplaçons de la chaleur (dans les moteurs) par de l’électricité produite sans source chaude intermédiaire (hydroélectricité ou éolien), nous devons raisonner à énergie finale équivalente (voir explications sur cette autre page ; pour ceux que cela rase vous en êtes réduits à me croire sur parole !).
En conclusion, pour substituer « quelque chose » au pétrole nous disposerions essentiellement de l’hydroélectricité, du solaire ou de l’éolien (avec stockage dans les deux derniers cas), mais :
- le seul recours à l’hydroélectricité nécessite de rajouter 20 fois les lacs de barrage existants pour produire 50 Mtep (à énergie finale équivalente), non compris l’énergie nécessaire à la fabrication de 30 millions de voitures électriques, c’est-à-dire n’importe quoi jusqu’à 100 ou 200 Mtep à vue de nez.
- Le seul recours à l’éolien nécessite de couvrir pour ce seul usage de l’ordre de 10 à 20% du territoire métropolitain d’éoliennes, car 50 Mtep d’électricité finale représentent environ 600 TWh électriques, soit 50% de plus que la consommation française actuelle. Bien sûr, les moteurs électriques ont un meilleur rendement que les moteurs à essence, mais même avec un besoin en énergie finale ramené à 20 ou 30 Mtep, cela nous amène encore à des valeurs qui ne sont pas compatibles avec les possibilités de fourniture de l’éolien.
Bref, même en tenant compte du rendement un peu meilleur du moteur électrique, la mobilité que nous connaissons ne peut être satisfaite avec juste des renouvelables. Une division par n’importe quoi entre 4 et 10 parait plus probable qu’une diminution de 10%. Même le recours massif à l’électricité nucléaire, compte tenu du problème du stockage de l’électricité ou de l’hydrogène, ne permettrait probablement pas la conservation d’un niveau de mobilité proche du nôtre.
A table !
Il y a de la consommation d’énergie dans la nourriture ?!? Mais oui, directement, à travers le carburant des tracteurs, et pour tout ce qui est plat préparé, conserve, surgelé, biscuits, etc, à travers la chaîne du froid, la cuisson, et l’énergie utilisée pour faire tourner les chaines d’emballage dans les industries agro-alimentaires (voir premier graphique de cette page). Il y en a aussi indirectement avec la fabrication d’engrais, et le fait qu’à chaque fois que vous achetez un plat ou « une boîte » avec un emballage en carton, en métal ou en plastique vous avez consommé de l’énergie pour disposer du contenant.
Quel espace pour les renouvelables ?
- Les biocarburants pourraient servir à alimenter les tracteurs, au prix d’une mobilisation d’une fraction significative du territoire (voir détails),
- Pour la part de l’énergie consommée par l’agro-alimentaire, nous avons déjà fait la discussion dans le cadre général de l’industrie (ci-dessus),
- Pour la part indirecte que constituent les intrants de synthèse (engrais, phytosanitaires), les substituts s’appellent…
- le fumier pour la fertilisation, ce qui nécessiterait de réaménager toute l’agriculture française pour que chaque hectare de cultures dispose d’animaux qui défèquent d’abondance dans le voisinage immédiat : adieu la spécialisation des cultures sur de vastes zones !
- les phytosanitaires « rustiques » (bouillie bordelaise par exemple) mais aussi les prédateurs naturels (dont le nombre croit avec l’aménagement d’habitats à proximité des champs : haies vives, bandes enherbées, etc).
L’agriculture dans un monde qui ne s’approvisionne qu’en renouvelables est bio par la force des choses, mais on y mange nettement moins de viande qu’aujourd’hui.
Consommation de viande en kg de carcasse (viande avec os) par Français et par an de 1800 à 2000.
L’explosion de la consommation de viande date de l’après-guerre, au moment de la diffusion des engrais et pesticides de synthèse, montrant d’une autre manière que consommation importante de viande et agriculture intensive sont couplées.
Source : Bernard Sauvant, INRA.
En effet, les engrais « chimiques » – fabriqués à partir de gaz naturel ou transportés depuis les mines de potasse algériennes grâce au pétrole – ont permis de faire exploser les rendements, condition sine qua non pour pouvoir nourrir beaucoup d’animaux que nous mangerons ensuite. Dans un kilo de bœuf de batterie, il y a 2 à 3 kg équivalent pétrole d’énergie : combien d’adversaires du pétrole et du nucléaire considèrent par ailleurs que tout le monde a le droit de manger du steak en abondance ? Le véritable écolo, c’est Coffe !
Se chauffer
Le chauffage – des maisons ou des locaux collectifs, que ces derniers soient des usines, des bureaux ou des classes de lycée – consomme environ 50 Mtep par an en France, soit le cinquième de l’énergie primaire hexagonale. C’est dans ce domaine que les possibilités de substitution sont les plus importantes :
- Le bois pourrait servir de combustible (mais alors les forêts ne sont plus disponibles pour produire du bois d’oeuvre, et mordre ainsi sur la consommation d’énergie allouée à la production de béton ou d’acier pour le bâtiment) ; voir détails ici,
- L’utilisation directe de l’énergie thermique du soleil est aujourd’hui technologiquement au point, et là aussi la marge de manœuvre est très importante : si il est probablement impossible de se chauffer uniquement au soleil (la chaleur se stocke mais pas sur des durées très longues), un gros 50% de l’énergie de chauffage peut en être facilement obtenue (voir détails). Ajoutons à cela que l’énergie de chauffage pourrait elle-même être divisée par 2 avec un plan massif de rénovation des logements anciens.
- Enfin il est en théorie toujours possible de se chauffer à l’électricité produite à partir de l’hydraulique ou de l’éolien (qui ne produisent pas directement de chaleur), mais nous avons vu ci-dessus que l’électricité 100% renouvelable est une denrée nettement moins abondante que l’électricité charbonnière, gazière ou nucléaire. Une fois que nous en avons utilisé pour nos déplacements et l’activité manufacturière, il n’est pas évident que nous en aurions encore pour nous chauffer !
A condition de se passer de bois d’oeuvre, et de pas mal de papier, une combinaison solaire thermique/bois devrait donc pouvoir fournir la quasi-totalité de notre énergie de chauffage en France. Cela étant le bois est lourd et ne se transporte qu’au prix d’une consommation d’énergie non ridicule : le chauffage au bois est surtout efficace si le lieu d’utilisation est proche du lieu d’exploitation, ce qui signifie, en clair, que de mettre 80% de la population dans de grandes mégalopoles qui nécessitent du transport longue distance pour l’approvisionnement rend « prisonnier » des sources non renouvelables pour cet usage aussi.
Le chauffage est cependant l’usage pour lequel les marges de manœuvre sont les plus importantes.
Reste du confort du logement
Ce poste regroupe l’eau chaude sanitaire ainsi que ce que l’on nomme l’électricité spécifique : celle qui sert à autre chose que la production de chaleur, par exemple faire tourner le lave-linge, monter un ascenseur, fonctionner un poste de télévision ou un réfrigérateur.
Le problème de l’eau chaude sanitaire (douches, etc) est exactement le même que celui du chauffage (voir ci-dessus), où il est fréquent que l’on commence par faire de l’eau chaude avant de la faire circuler dans des radiateurs ou des tubes quelconques. Comme l’eau chaude consomme une petite fraction de ce qui est utilisé pour le chauffage, il est probable que les énergies renouvelables ont aussi du potentiel pour cet usage. En fait c’est même là que l’on trouve aujourd’hui la diffusion la plus large, pour les chauffe-eau solaires.
Pour l’électricité spécifique, qui représente environ 30 Mtep par an en France (soit 15% de la consommation d’énergie, en faisant intervenir l’équivalence à énergie primaire constante) la décomposition se présente comme suit :
Consommations d’électricité spécifique dans les logements (donc hors chauffage) en millions de tonnes équivalent pétrole en 1999.
Source : Observatoire de l’Energie (Ministère de l’Industrie).
Quelques explications et commentaires sur le graphique qui précède :
- L’éclairage des logements, avec 1% de la consommation énergétique française, n’est clairement pas une priorité pour les économies d’énergie devant le transport (moins consommer = moins se déplacer + utiliser des véhicules nettement moins consommateurs), le chauffage (moins consommer = diminuer la taille du logement + baisser la température), ou l’industrie (moins consommer = moins acheter de produits manufacturés ou de services) !
- Même dans un logement, arrêter l’utilisation du sèche linge (qui consomme autant que tout l’éclairage quand il existe) vaut le remplacement par des ampoules basse consommation de toutes les ampoules ordinaires de la maison.
- Se passer de congélateur peut aussi être une source significative d’économies : d’une part la consommation directe est allégée d’autant, et surtout cela évite d’acheter force plats surgelés, alors que les consommations de l’industrie agro-alimentaire pour la fabrication du plat (et de son emballage copieux) et la chaîne du froid (y compris dans les grandes surfaces) sont significatives. Dans une pizza surgelée, il y a bien plus de pétrole que de jambon !
Que peuvent nos renouvelables pour cette affaire ? Comme il faut de toute façon de l’électricité pour faire fonctionner un ascenseur ou un frigo, nous sommes restreints aux modalités qui peuvent en produire : éolien, hydroélectrique, solaire. La consommation correspondante, soit 140 TWh représente ce qu’il est théoriquement possible de produire avec une fraction seulement de la surface de toits en panneaux solaires (voir détail du calcul), car nous avons ici un usage décentralisé avec généralement de faibles puissances unitaires, ce qui rend cette modalité éligible.
Mais il faut fabriquer le panneau, la batterie, et stocker en l’absence de soleil , et tout cela induit des décotes significatives (voir ci-dessus). En outre, tous les pans de toit ne sont pas orientés au sud, et il est donc vraisemblable que nous serions limités à une fraction de la consommation électrique actuelle avec cette modalité d’approvisionnement. Pour l’éolien nous retrouvons le problème du stockage, mais l’hydroélectricité permet par contre de surmonter ces inconvénients, au prix, pour cette consommation, d’un ajout de 2 fois les surfaces de barrage actuelles (et d’éventuels problèmes de saisonnalité).
Notons que l’usage des toits pour produire de l’électricité rend actuellement la surface indisponible pour un usage thermique, mais cela ne sera peut-être pas le cas pour l’éternité, car des panneaux solaires en cours de développement visent à permettre de récupérer à la fois la chaleur et l’électricité.
Conclusion
Il est raisonnable de considérer qu’un monde qui ne fait appel qu’aux renouvelables a donc de sérieuses différences avec le nôtre. J’espère avoir convaincu le lecteur que l’abondance matérielle, qui suppose pour commencer la production de masse d’acier, de béton, etc, n’est pas possible au niveau que nous connaissons – voire pas du tout pour un certain nombre de matériaux très difficiles à obtenir sans pétrole – dans un tel contexte.
Par ailleurs les problèmes de stockage des modes intermittents, avec les consommations intermédiaires que cela représente, le fait que les renouvelables posent de redoutables problèmes de concurrence d’usage des sols, et les limitations nées des lois de la physique (personne ne changera l’énergie cinétique d’une masse d’air qui se déplace à une vitesse donnée, donc la quantité d’énergie éolienne récupérable) font que notre monde actuel – où l’énergie abondante est omniprésente – ne peut subsister avec juste des renouvelables, et il s’en faut probablement de beaucoup. Dès lors est-il sage de nous organiser en dépendant chaque jour un peu plus d’une ressource qui ne sera pas commodément remplaçable ?
Ajoutons que la conversion éventuelle à des modalités renouvelables de tout ce qui pourrait l’être conduirait à une utilisation des sols que bien des « écologistes » réprouveraient probablement : il faudrait couvrir la quasi-totalité de la France de barrages, de forêts cultivées de manière intensive pour le bois de feu (donc avec une biodiversité pas toujours terrible…), d’éoliennes, et de cultures elles intensives pour les biocarburants. Peut-on considérer qu’un tel tableau correspond à un développement « propre » ?
Il est vraisemblable que sauf mise en oeuvre d’un programme raisonnable de réacteurs nucléaires à neutrons rapides (mais il faut compter 40 ans pour le mener à bien : en aucun cas le nucléaire ne pourrait servir de roue de secours pour remplacer tout le reste à bref délai lorsque nous aurons des angoisses de pénurie ou de dégâts climatiques), l’abondance énergétique prendra fin avec les combustibles fossiles, les renouvelables seules étant totalement incapables de les remplacer au présent niveau, même si elles ont bien entendu leur place dans l’approvisionnement du futur.
Même le recours au nucléaire ne permettra pas de conserver l’organisation actuelle de la société, l’électricité ne pouvant commodément remplacer le pétrole comme matière première. La première mesure si nous souhaitons être prudents, du point de vue énergétique, est bien de prendre le chemin d’une division de la consommation d’énergie par 2 ou 3, et non de l’augmenter « tant que ça passe », en pensant que les renouvelables permettront de prendre le relais quand nous le souhaiterons….