Pas de jaloux au royaume des combustibles fossiles : le charbon aussi aura son pic de production. La raison est que le charbon satisfait aux mêmes conditions que le pétrole:
- le charbon met des centaines de millions d’années à se former, et nous pouvons donc considérer qu’à l’échelle des temps historiques (quelques siècles) le stock initial de charbon sous terre ne sera pas réalimenté,
- le stock extractible de charbon (les réserves ultimes) est une fraction du charbon en place (quelque chose comme le quart probablement) ; il a donc une limite supérieure,
- le cumul de l’extraction du charbon (la « production » du charbon) du début à la fin des temps historiques ne pourra pas dépasser le stock extractible de charbon.
Comme pour le pétrole, dès lors que nous avons une fonction (l’extraction annuelle) dont le cumul de l’origine des temps à la nuit des temps ne peut pas dépasser une valeur connue, alors les mathématiques imposent que cette fonction part de zéro, terminera un jour à zéro, et passera par un maximum – le pic – entre les deux. Et comme pour le pétrole, si la seule contrainte est la limite géologique, la date du pic dépend essentiellement de l’hypothèse faite sur la quantité totale de charbon récupérable.
L’élément de complexité supplémentaire qui vient se rajouter ici est double :
- d’une part le charbon étant essentiellement une énergie domestique ou régionale, le « pic mondial », qui certes existera, ne recouvrera pas une réalité homogène pour tous les pays (ce qui est bien plus le cas pour le pétrole, qui occupe une part qui n’est jamais marginale dans le mix énergétique d’un pays, et qui peut très facilement passer d’un pays à l’autre grâce à de très faibles coûts de transport),
- le charbon possède les plus importantes émissions de CO2 par unité d’énergie, et représente le plus gros stock de carbone fossile sur terre. Il est donc possible (et même souhaitable de mon point de vue !) d’en limiter le plus possible l’usage, afin justement d’éviter que ce soit uniquement la contrainte géologique qui se charge d’engendrer le pic d’utilisation. Comme nous le verrons ci-dessous, un tel pic arriverait bien trop tard pour nous éviter, quelques décennies ou quelques siècles plus tard, et de manière totalement irréversible, un changement climatique bien trop fort pour nos capacités de gestion d’alors.
Enfin nous pouvons également imaginer que notre humanité entame sa décroissance (qui finira par arriver, le tout est de savoir quand !) pour des raisons dans lesquelles une limite sur le charbon extractible restant ou le changement climatique auraient peu à faire.
Ce qui suit a donc une valeur indicative, pour montrer quand un tel événement pourrait arriver « au plus tard », mais absolument pas une valeur prédictive.
Pic mondial
Nous allons maintenant raisonner en nous basant sur les hypothèses suivantes :
- la tendance « normale » de la production mondiale de charbon est de suivre une courbe en cloche, comme pour le pétrole,
- le cumul de cette courbe en cloche – du début à la fin – est égal (par définition) aux réserves ultimes,
- comme la courbe est symétrique, le pic de production survient quand nous avons extrait la moitié des réserves ultimes,
- et tant qu’à faire la simulation globale doit à peu près correspondre aux données réelles pour le passé !
Il n’y a bien sûr pas qu’une solution au problème, et voici deux simulations possibles parmi beaucoup d’autres qui le seraient aussi.
La première se base sur 2000 milliards de tonnes équivalent pétrole (soit 3000 à 5000 milliards de tonnes de charbon, selon sa qualité) de réserves ultimes, sachant que la production qui a déjà eu lieu totalise (depuis 1860) 160 milliards de tonnes équivalent pétrole.
Production historique de charbon (en rouge), en milliards de tonnes équivalent pétrole, et projection possible pour l’avenir, (en bleu), sur la base de réserves ultimes de 2000 milliards de tonnes équivalent pétrole.
Le pic intervient alors en 2150, à 8 milliards de tonnes équivalent pétrole de production annuelle (soit environ 16 milliards de tonnes par an ; en 2011 la production était de 7,7 milliards). Notez que la simulation reproduit très correctement la production passée depuis 1860.
Source : Shilling et al 1977 & BP Statistical Review 2010 pour la production passée ; Reserves, Resources and Availability of Energy Resources 2007, annual Report, Federal Institute for Geosciences and Natural Resources, Germany pour les réserves ultimes.
Mais… nous pouvons aussi faire une simulation plausible avec seulement 1000 milliards de tonnes équivalent pétrole de réserves ultimes.
Idem ci-dessus, sur la base de réserves ultimes de 1000 milliards de tonnes équivalent pétrole.
Le pic pourrait alors intervenir en 2080, à 6 milliards de tonnes équivalent pétrole de production annuelle (≈ 12 milliards de tonnes). Notez que la simulation reproduit à nouveau de manière crédible la production passée depuis 1860.
Source : Shilling et al 1977 & BP Statistical Review 2010 pour la production passée ; Reserves, Resources and Availability of Energy Resources 2007, annual Report, Federal Institute for Geosciences and Natural Resources, Germany pour les réserves ultimes.
Ce que suggèrent ces deux rapides simulations – qui ressemblent à énormément d’autres qui circulent – est que, si nous n’avons que des contraintes géologiques (donc que des contraintes technico-économiques), la production de charbon devrait passer par un maximum au plus tard « quelque part » entre la deuxième moitié du 21è siècle et la première moitié du 22è. Cette conclusion contredit à l’évidence la phrase souvent entendue que nous avons « 3 siècles de charbon ». En fait cette manière de présenter les choses est tout aussi erronée, pour les mêmes raisons, que de dire que nous avons « 40 ans de pétrole ».
Mais certains géologues considèrent que 1000 milliards de tonnes équivalent pétrole de charbon accessible est encore très excessif, et que la limite serait plutôt à chercher du côté des réserves prouvées plus quelques dizaines de %. Leur argument est que, contrairement à ce qui s’observe pour le pétrole et le gaz, les publications sur les réserves ultimes corrigent plus souvent les montants à la baisse que à la hausse.
Supposons que les réserves ultimes soient de l’ordre de ce qu’elles sont pour le pétrole, à savoir 500 milliards de tonnes équivalent pétrole. A ce moment, le pic mondial surviendrait vers 2050, voire avant.
Simulation de la production future de charbon, en millions de tonnes équivalent pétrole, sur la base de réserves ultimes proches des réserves prouvées actuelles.
A ce moment le pic passe en 2025 ! Et pour la Chine il surviendrait vers 2020 ; l’ancienne URSS (FSU pour Former Soviet Union) étant la seule zone qui pourrait soutenir une production importante jusqu’à la fin du siècle.
Source : Coal, resources and future production, Energy Watch Group, 2007
Ce qui précède illustre bien (et c’est normal) la sensibilité de la date du pic aux réserves ultimes. Le débat est ouvert !
Pics régionaux
Comme cela est indiqué plus haut, le pic mondial masquera des réalités régionales très disparates. Le charbon voyage mal, et les ressources sont localisées à 90% dans 8 pays seulement. En outre, la logistique du charbon est pour le moment très fortement basée sur le pétrole, qui passera son pic bien avant le charbon. De ce fait, il n’est pas du tout certain que les zones où la production a commencé à décroître pourront compenser par des importations. L’Europe, par exemple, est importatrice de charbon depuis qu’elle a passé son pic de production, mais cela n’empêche pas que la consommation baisse quand même.
Consommation européenne de charbon, en bleu, et production, en rouge.
Sources : mentionnées sur le site
Mais… on peut liquéfier le charbon pour transporter du liquide ensuite ! Certes, mais tout d’abord cela fait perdre à peu près la moitié de l’énergie initiale en cours de route, et ensuite il faut reconstruire les infrastructures (terminaux, oléoducs) près des bassins charbonniers, qui ne sont pas les bassins pétroliers. Tout cela est possible, mais pas aussi vite dit que fait ! Enfin ce procédé engendre de grosses émissions de CO2.
Mais… on peut séquestrer le CO2 ! Sauf que cela coûte cher et enlève un quart de l’énergie initiale… Bref la discussion sur la manière dont le charbon encore présent ici pourrait contribuer à combler un « manque » relève plus du marc de café que de la science prédictive. La seule chose qu’il est raisonnablement possible de dire est qu’il va y avoir une succession de pics régionaux ou locaux (l’Europe ayant déjà connu le sien), et que les derniers à disposer de charbon en quantités significatives devraient être les américains et les russes. Après…