Rappelez vous, c’était en 2008. Le prix des carburants à la pompe battaient en apparence (en apparence seulement !) des records et, dans les trouvailles qui sont alors apparues sur les plateaux de télévision, figurait bien évidemment la proposition de taxer les bénéfices de Total pour alléger la facture de nos concitoyens. Bonne idée, ou merveilleux exemple de démagogie issue d’une méconnaissance complète des ordres de grandeur ?
Pour répondre à cette question, le plus simple est de décomposer le prix d’un litre de carburant à la pompe en parlant chiffres. Sur un litre d’essence qui vaut environ 1,47 euros quand le baril est aux alentours de 100 dollars, voici qui touche quoi :
- l’Etat français touche 24 centimes de TVA et 60 centimes de TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), soit 84 centimes au total (ce qui n’est pas assez de mon point de vue !). Avec du gazole, la TIPP se serait élevée à 40 centimes par litre environ, et c’est ce qui explique l’essentiel de la différence de prix à la pompe. Notons que le niveau de la fiscalité sur les carburants est très voisin d’un pays à l’autre en Europe, et que cela s’explique par l’histoire : les pays qui ont commencé leur histoire industrielle avec plein de pétrole chez eux ont des prix du carburant très bas (ce qui est notamment le cas des USA), et ceux qui ont commencé leur histoire industrielle en important leur pétrole (ce qui est le cas de tous les pays européens, la mise en exploitation de la Mer du Nord datant de 1973 ou 1974) ont des prix à la pompe plus élevés.
- le réseau de distribution (les « pompes à essence ») touche 7,5 centimes environ, ce qui va évidemment en contrepartie de la construction de la station service, du salaire du pompiste, des coûts d’acheminement du carburant depuis la raffinerie jusqu’à la station-service, de la maintenance, etc ; le bénéfice du réseau est inférieur au centime par litre,
- le raffineur touche environ 4,5 centimes, et là aussi cela correspond à la construction de la raffinerie, ses coûts d’opération, etc ; le bénéfice du raffineur est bien inférieur au centime par litre
Evolution de la « marge brute de raffinage » (c’est-à-dire le prix de vente des carburants raffinés moins le coût d’achat du brut), en dollars par baril, de 1999 à 2005.
Pour fixer les idées, 6 dollars par baril représentent environ 3,8 cents par litre.
Source : « L’Industrie Pétrolière en 2004 », Ministère de l’Economie, 2005
- la compagnie maritime – ou le propriétaire de l’oléoduc – qui a assuré le transport du brut depuis le puits jusqu’à la raffinerie touche environ 1,5 centimes,
- l’Etat qui a délivré le permis d’exploitation (dit aussi « état producteur ») touche environ 34 centimes (pour le coup il s’agit d’une rente, aucune charge n’allant en regard de cette recette), et c’est donc et de très loin le principal bénéficiaire du prix de vente du baril,
- la compagnie pétrolière qui a extrait le pétrole touche environ 16 centimes, au sein desquels environ 9 centimes correspondent aux charges directes de production. Notons que ces charges de production ont pour une moitié… été dépensées avant que le premier baril de pétrole ne sorte du gisement.
Structure du coût technique d’extraction d’un baril pour le pétrole conventionnel, en dollars.
Le « développement » est la phase où se construit l’infrastructure d’extraction du pétrole.
10 dollars par baril ≈ 5 euros par MWh.
Source : ADL, Long term Outlook, 1999, In Bauquis & Babusiaux, Adadémie des Technologies, 2007
La marge d’exploitation de la compagnie pétrolière est donc de 7 centimes par litre environ quand le baril est à 100 dollars, pour du pétrole pas trop compliqué à extraire. Ainsi, une compagnie comme Total, qui a extrait environ 75 millions de tonnes de pétrole en 2006, soit environ 1,5 millions de barils par jour (ou encore 87 milliards de litres par an), doit donc réaliser une marge (avant frais généraux, impôts, etc) de l’ordre de 6,4 milliards d’euros sur la branche « exploration production » pour le pétrole. Si supprimer le bénéfice de Total sur le pétrole avait une répercussion directe sur le prix du carburant consommé en France, l’automobiliste français y gagnerait tout au plus quelques centimes par litre. Cela ne changera pas la face du monde !
Ne pas confondre adresse du siège social et fourniture des raffineries
En outre, le carburant vendu en France n’a pas été produit avec du brut extrait par Total dans l’immense majorité des cas. En effet, rares sont les automobilistes qui mettent du pétrole brut dans leur tuture. Les carburants routiers viennent d’un réseau de stations service, qui elles-mêmes se fournissent auprès des raffineurs ou des importateurs (la France importe directement une partie de ses carburants raffinés, parce que les raffineries françaises ne peuvent pas fournir autant de diesel que le marché français en consomme), ces derniers se fournissant auprès des producteurs.
Les raffineries situées en France achètent donc du brut – via des intermédiaires au surplus – à tous les producteurs du monde, en fonction des besoins du moment et des cours. Si le producteur en question n’est pas Total, il n’est pas situé en France et l’Etat français n’a aucune possibilité de lui taxer ses bénéfices pour « compenser » la hausse du prix du baril !