Le pétrole, cela ne sert-il pas avant tout à se déplacer et le charbon à produire de l’électricité ? De ce fait, pourquoi les deux devraient voir leur prix évoluer de la même manière ? Faudrait-il tellement de pétrole pour transporter gaz et charbon que toutes les énergies verraient leur prix évoluer comme le prix du pétrole ? De fait, si nous regardons combien il faut de pétrole pour mettre à disposition d’un consommateur final une tonne de charbon ou un mètre cube de gaz, combien coûte ce pétrole, et comment cela se compare au coût du travail humain nécessaire dans le même cas de figure, l’affaire sera vite pliée : il n’y a aucune raison pour que le prix du charbon, du gaz, du nucléaire ou de l’hydroélectricité soit corrélé au prix du pétrole. Fermez le ban, et question suivante siouplaît.
Sauf que… la réalité n’est pas aussi simple, et que la réponse historique semble être plutôt oui. C’est d’abord plutôt oui en Europe, pour le gaz et pour une période récente.
Évolutions respectives des prix spot (donc pour achat immédiat) du gaz et du pétrole en Europe en dollars par million de British Thermal Unit, en abrégé BTU.
(un BTU vaut environ 1000 joules, et donc un million de BTU vaut environ 1 gigajoule, ou encore environ 290 kWh).
Sur cette période, pas très longue il est vrai, le prix du gaz semble bien suivre celui du pétrole.
Source : IFP Panorama, 2006
Évolutions respectives des prix spot du pétrole (échelle de droite, en dollars par baril) et du gaz en Europe (échelle de gauche, en dollars par million de BTU).
L’échelle étant un peu plus fine des décrochages ponctuels s’observent de temps en temps, mais en tendance la corrélation est tout aussi évidente, même si la période récente a donné lieu à un décrochement aussi.
Source : Flash Economie, Natixis, 16 mars 2010
Si nous regardons maintenant les moyennes annuelles dans le monde, la corrélation semble aussi bien établie, sauf pour le marché Nord-américain pour la période récente.
Évolutions respectives, depuis 1984, des prix spot (donc pour achat immédiat) du gaz pour plusieurs places de marché, et du pétrole, le tout en dollars par million de BTU (voir plus haut la définition du BTU).
LNG Japan = prix d’importation du gaz liquefié au Japon
European Union cif = prix d’achat moyen en Europe
Henry Hub & Alberta = places de marché aux Etats-Unis
CIF signifie Charged Insurance and Freight ; c’est le coût complet du combustible parvenu à destination avec manutention, fret et assurance.
Sans que la corrélation soit absolument impeccable, en tendance elle semble bien établie, sauf pour le gaz aux USA (Henry Hub & Alberta) pour les années récentes, ce qui vient de la production significative de gaz non conventionnels dans cette zone.
On note aussi que les prix ramenés au contenu énergétique sont voisins pour pétrole et gaz (sauf pour les USA récemment, bis), ce qui s’explique probablement par des effets de substitution (voir plus bas).
Source : BP Statistical Review, 2014
C’est encore oui pour pétrole et charbon sur des périodes longues dans le monde.
Évolutions respectives des prix spot (donc pour achat immédiat) du charbon pour deux zones importatrices (échelle de gauche, en dollars par tonne) et du pétrole (courbe bleue, échelle de droite, dollars par baril).
NB : les USA n’importent pas de charbon.
Ici encore, sans que la corrélation ne soit parfaite, les prix du pétrole et du charbon importé semblent bien se répondre : ils ont tendance à monter ou descendre ensemble, avec des amplitudes proches.
Source : BP Statistical Review, 2014
Et cela reste vrai pour la France et pour une période encore plus longue !
Évolutions respectives des prix à l’importation des énergies pour la France depuis 1970.
Ici encore pétrole et gaz semblent bien monter ou descendre ensemble, et cela reste vrai dans une moindre mesure pour le charbon.
Source : Bilan énergétique de la France pour 2009, Service de l’observation et des statistique (Commissariat Général au Développement Durable), juin 2010.
Maintenant que nous avons fait ce constat, la bonne question est d’essayer de comprendre pourquoi ! Une raison qui pourrait venir immédiatement à l’esprit serait une espèce d’application de la « loi du plus fort », puisque le pétrole est la première des énergies consommées dans le monde, avec environ un tiers du total exprimé en énergie primaire.
Part de chaque source dans la consommation d’énergie primaire de l’humanité en 2013.
Compilation de l’auteur sur données BP Statistical Review, Woods Hole Centre.
Mais cet argument n’offre que peu de prise à un raisonnement construit : pourquoi donc le charbon, qui sert avant tout à alimenter des centrales électriques, verrait-il son prix varier comme celui du pétrole, sachant que l’essentiel de son coût de production et de transport est du coût de main d’oeuvre au sens classique du terme ?
L’exclusivité a ses limites, c’est une question de temps
En fait, l’explication n’est probablement pas à chercher du côté des coûts de production, qui seraient corrélés les uns aux autres, mais plutôt du côté des conséquences d’une évidence : la quasi-totalité de l’énergie consommée dans les pays occidentaux est vendue – et non donnée – au consommateur final. Or un processus de vente suppose – quelle originalité ! – des acheteurs et des vendeurs. Si pour un produit donné le nombre de demandeurs augmente, ou l’envie de ces derniers de disposer du produit en quantités croissantes, sans que rien ne change côté production, le prix monte quand même et les producteurs empochent plus d’argent, point.
Mais quand le prix du pétrole monte, cela donne envie à certains consommateurs d’utiliser d’autres énergies pour certains usages, lorsque la substitution est possible. Certaines substitutions sont quasi immédiates (par exemple dans une chaudière multi-énergies, on enfourne ce que l’on veut en fonction des prix du moment, et certaines centrales électriques sont dotées de ce genre de dispositif), d’autres demandent quelques années. Dans tous les cas de figure cela crée une demande supplémentaire suffisante pour faire monter les prix des autres énergies. Symétriquement quand le prix du pétrole baisse on peut revenir au pétrole pour certains usages pour lesquels on avait choisi du charbon ou du gaz.
Au sein de ces « effets de substitution » qui peuvent prendre place quand le prix du pétrole monte, nous pouvons imaginer :
- le passage du chauffage au fioul au chauffage au gaz (en changeant la chaudière chez une partie des utilisateurs), ce qui fait monter le prix du gaz en augmentant la demande.
- la modification des durées de fonctionnement des centrales thermiques utilisées pour équilibrer les réseaux : ces centrales comprennent en effet des unités au charbon, au gaz et au fioul lourd, et si le fioul devient trop cher on peut utiliser un peu plus les unités au charbon ou au gaz, ce qui augmente un peu la demande de gaz ou de charbon,
- un effet du même ordre existe avec les chaudières industrielles (y compris celles des réseaux de chauffage urbain), qui peuvent soit brûler tout type de combustible, soit être modifiées à relativement bref délai pour changer de combustible, soit être plus ou moins sollicitées au sein d’un parc donné en fonction des prix des différents combustibles,
- dans les transports, mais sur des périodes longues, un petit effet de cette nature existe, avec le passage du véhicule classique à essence ou gazole à des véhicules au gaz liquéfié (ce qui déplace donc un peu de consommation du pétrole vers le gaz), ou, de manière encore plus marginale, des voitures particulières vers les trains (qui utilisent de l’électricité, donc indirectement du charbon et du gaz avant tout) ou les véhicules électriques,
- et il y a probablement d’autres effets de déplacement auxquels je n’ai pas pensé !
Pour être sûr que le prix sera le même, le mieux est de le prévoir !
En fait il y a un cas de figure où cette covariation du prix est d’autant moins surprenante qu’elle est prévue dans les contrats : c’est entre gaz et pétrole. Comme les infrastructures de transport du gaz sont très capitalistiques, les entreprises – même publiques – qui ont construit des gazoducs voulaient être sûres que le gaz acheminé serait bien vendu sur le long terme. Comme un gazoduc part d’une région qui va produire pendant des décennies, il faut avoir cette assurance de vente sur le très long terme.
Pour cela les gaziers se sont couverts à l’avance contre la possibilité de substitution en leur défaveur : ils ont prévu, dans les contrats de vente à long terme, que le prix du gaz serait indexé sur celui du pétrole, avec une petite décote. De la sorte, ils garantissent à l’acheteur, pour tous les usages où la substitution est possible avec du pétrole (ce qui est le cas pour l’ensemble des usages du gaz, en fait), que ce dernier n’aura jamais à regretter d’utiliser du gaz plutôt que du pétrole. A ce moment, s’il est prévu que les deux prix covarient, il n’est pas très étonnant que ce soit bien ce qui se passe ! Et cela explique aussi les prix voisins par unité d’énergie, qui se constatent dans un graphique ci-dessus.
Une cause pour tous ?
Outre ce qui est déjà évoqué ci-dessus, il peut y avoir des causes communes qui font monter tous les prix en même temps. La plus évidente est la croissance économique, qui est en fait un processus de transformation de ressources avec de l’énergie. Quand elle est forte (comme par exemple de 2000 à 2008), cela augmente à la fois l’appel à l’électricité (donc au charbon vapeur), l’appel à l’acier (donc au charbon à coke), et l’appel aux transports (qui servent à déplacer les gens qui produisent, les marchandises produites, et à recycler sous forme de tourisme une partie des revenus supplémentaires apparus à l’occasion).
Dans ce genre de contexte, les prix de toutes les énergies augmentent en même temps, sauf contexte politique local qui contrecarre cette tendance spontanée des commençants à vendre plus cher ce qui est plus demandé.
Mais que la cause soit commune ou que cela relève d’effets de substitution, l’enseignement intéressant est que nous pouvons retenir que, en première approximation, un pétrole en forte hausse a toutes les chances de signifier que les autres énergies se vendront aussi plus cher dans la foulée.