Ce combustible, dont la hausse du prix fait parfois tant rouspéter dans les chaumières, est pourtant d’un usage bien plus récent que celui du pétrole ou du charbon dans le monde : il a fallu attendre 1960 pour que l’usage du gaz dépasse celui du bois dans le monde (c’était 1940 pour le pétrole et… 1860 pour le charbon). Cette énergie a même la particularité d’avoir été longtemps très « américaine » : en 1965, plus de 60% de la consommation de gaz était le fait des Etats Unis !
Consommation de gaz par grand pays ou zone depuis 1965, en milliards de m³ par an.
Il est facile de voir que les USA dominaient cette consommation mondiale il y a moins de 50 ans, mais désormais ce n’est plus le cas.
Source: BP Statistical Review, 2012
En ce qui concerne la consommation moyenne par personne (en moyenne mondiale), elle a été multipliée par plus de 5 depuis 1945, quand ce n’était « que » 2,7 pour le pétrole et 1,3 pour le charbon. En France, la consommation de gaz a été multipliée par 5 entre 1970 et 2000, et les importations sont passées de zéro à 13 milliards d’euros (constants) de 1970 à 2008. En Europe, la multiplication entre 1965 et 2006 a même été de 11 !
Moyenne mondiale de la consommation d’énergie, exprimée en kWh par personne et par an, selon la nature de l’énergie, depuis 1880.
La croissance de la consommation de gaz par personne est plus récente que pour le pétrole, qui incidemment a passé le maximum de la consommation par personne et par an juste avant le deuxième choc pétrolier.
Sources : Shilling et al. 1977 & BP Statistical Review 2012 (énergie), World Resource Institute (population).
On peut se demander pourquoi le gaz n’a pas pris son essor en même temps que le pétrole, puisque les gisements de pétrole contiennent généralement aussi du gaz (en tous cas ceux situés le plus près du sol, et qui ont été exploités en premier). Mais contrairement au pétrole, qui est liquide et donc se transporte et se stocke facilement, le gaz a la mauvaise idée d’être… gazeux. De ce fait, il est bien plus malcommode à transporter que le pétrole (il ne s’agit pas de dangerosité, mais bien de commodité pratique), ce qui se traduit économiquement par le fait que la mise en place d’infrastructures de transport de gaz est bien plus capitalistique, par unité d’énergie transportée, que pour le pétrole. Ceci expliquant cela, alors que les deux tiers du pétrole produit passe au moins une frontière avant d’être consommé, cela n’est le cas que pour 30% du gaz, et entre 15% et 20% du charbon.
Cette difficulté à le stocker et le transporter, et le fait que les usages du gaz sont peu adaptés à exploitation en sortie de puits (surtout pour le chauffage, on ne va pas déplacer les habitations près des puits juste pour pouvoir les chauffer !), ont eu pour conséquence que, jusqu’à une époque récente (la 2è moitié du 20è siècle), le gaz associé à tout gisement de pétrole était souvent relâché dans l’atmosphère sans autre forme de procès, ou ré-injecté pour améliorer la récupération du pétrole.
Quand les scientifiques compétents ont découvert que le méthane – principal constituant du gaz – avait un pouvoir de réchauffement global bien supérieur à celui du CO2, les pétroliers ont alors été incités à le brûler sur le lieu de production du pétrole, dans une torchère (la combustion transforme alors chaque molécule de méthane en une molécule de CO2, et la « nocivité » des émissions est divisée par 25). Ceci expliquant cela, quand les pétroliers découvraient « juste du gaz », ils considéraient le plus souvent cela comme une calamité, et pas du tout comme une bonne nouvelle !
Et maintenant ? Maintenant le gaz sert un peu à tout :
- production électrique (le gaz fournit désormais 25% de l’électricité mondiale),
- chauffage des bâtiments résidentiels et tertiaires,
- fours et chaudières industriels,
- matière première pour la chimie (c’est notamment en craquant du gaz – du méthane – qu’est réalisée la production industrielle d’hydrogène – avec force CO2 à l’occasion, soit dit en passant – qui est le point de départ de la chimie de l’ammoniac, et donc de la fabrication des engrais azotés ; il y a du pétrole et du gaz pour de vrai dans nos assiettes !),
- un tout petit peu dans les transports (GNL, qui signifie Gaz Naturel Liquéfié).
Répartition des usages du gaz consommé dans le monde en 2007.
Ce camembert ne tient pas compte des 4% de la production extraits qui sont torchés, et des 13% de la production réinjectés in situ pour améliorer la récupération du pétrole contenu dans les gisements qui contiennent à la fois gaz et pétrole.
Source : BP & CEDIGAZ 2007
Comme une part importante du gaz sert au chauffage de bâtiments pendant l’hiver de l’hémisphère Nord, il y a une saisonnalité de la consommation de gaz beaucoup plus marquée que pour le pétrole (dont le pic de consommation correspond aux départs en vacances en été).
Evolution saisonnière de l’utilisation du gaz.
On note la forte saisonnalité de l’utilisation résidentielle (en été il ne reste que l’eau chaude et la cuisine), et celle un peu moins forte mais réelle aussi pour les bâtiments tertiaires (commercial).
Par ailleurs une partie de la production électrique au gaz sert à de la pointe, et donc le gaz correspondant n’est pas utilisé avec un débit constant toute l’année ou même toute la journée.
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs Associés, 2008
Or comme les puits produisent toute l’année, eux, cela signifie qu’une part du gaz produit doit être stocké quelques mois en attendant son utilisation. L’usage du gaz est donc indissociable d’infrastructures de stockage dans le pays utilisateur, qui sont beaucoup plus complexes que pour le pétrole (rien de plus simple qu’un réservoir de pétrole : c’est une grande cuve).
Et la France ?
Par rapport à la répartition constatée pour le monde dans son ensemble, notre pays, qui consomme aussi du gaz, présente deux éléments de différenciation :
- la partie consommée dans la production électrique est assez faible (moins de 10% du total)
- le chauffage absorbe à lui tout seul 60% de la consommation, et c’est de très loin la fraction qui a le plus augmenté en valeur absolue depuis 1970.
Répartition des usages du gaz consommé en France de 1970 à 2011, en TWh PCS (pouvoir calorifique supérieur).
La consommation de la branche énergie est justement ce qui alimente les centrales électriques.
En part de la consommation finale, le gaz est à peu près à parité avec l’électricité, qui en France représente aussi de l’ordre de 500 TWh.
Source: Chiffres clés de l’énergie, Service de l’Observation et des Statistiques (Commissariat Général au Développement Durable), 2011
Pourquoi le gaz semble-t-il si intéressant ?
Le développement rapide du gaz dans ses trois usages (chauffage, industrie, électricité) s’explique par des avantages « physiques » dans les trois cas de figure :
- pour ses usages industriels, il présente l’intérêt d’engendrer moins de pollution locale que ses concurrents fioul et charbon. Par nature même il ne contient pas de soufre (soluble dans le pétrole et présent dans le charbon, mais non gazeux), ce qui évite les émissions de SO2 (responsable d’irritations pulmonaires et de l’acidification de l’eau de pluie). Il n’engendre pas de particules fines, pas de poussières, pas de cendres, et en fait sa combustion complète n’engendre que du CO2 et de l’eau, qui sont deux gaz sans aucune toxicité particulière pour un échappement à l’air (le CO2 engendre par contre du changement climatique différé, mais c’est un effet physique, pas un effet toxique). Par contre, comme pour tout hydrocarbure dont la combustion a lieu dans l’air, il engendre des oxydes d’azote (qui sont des polluants et qui, combinés avec des hydrocarbures imbrûlés et du soleil, conduisent à l’apparition d’ozone).Par ailleurs il supprime les problèmes de stockage chez l’utilisateur (pas besoin de cuve à faire remplir périodiquement). Enfin il coûte à peu près la même chose, par unité d’énergie, que les produits pétroliers. A cause de ces caractéristiques, les usines se sont progressivement tournées vers ce combustible pour leurs besoins en chaleur, au détriment du charbon puis du fioul. Au prix actuel du gaz et du fioul, l’électricité est rarement compétitive pour fournir de la chaleur, même si techniquement cela ne pose aucun problème de faire des fours électriques (après il faut en outre que l’électricité ne soit pas faite au gaz ou au fioul pour que ce soit énergétiquement une bonne idée, et qu’elle ne soit pas faite au charbon si on veut que ça soit une bonne idée question CO2).
- pour le chauffage des bâtiments, ce sont à peu près les mêmes avantages que pour l’industrie : moins de pollution locale, pas de cuve à remplir, pas de grosse différence de prix avec le fioul. En France, son utilisation est désormais encouragée par la nouvelle réglementation thermique en vigueur (RT 2012), qui a été créée pour décourager l’utilisation du chauffage électrique (pourtant moins émissif en CO2 que le chauffage au gaz, mais voilà c’est de l’affreux nucléaire !).
- pour la production électrique, nous retrouvons aussi cet avantage pour la pollution locale (particulièrement en face du charbon), mais il y a un élément qui joue encore plus : le faible besoin en capitaux pour une puissance installée donnée. En effet, pour installer un MW de puissance (dit autrement pour avoir une installation capable d’injecter un MW de puissance électrique sur le réseau quand elle est à pleine capacité) il faut débourser 4 millions d’euros en nucléaire, 1,5 million d’euros avec une centrale à charbon, mais seulement 0,5 million d’euros pour une centrale à gaz. Or la première chose qui intéresse une entreprise privée pour se lancer dans quelque chose est la quantité de capital qu’il faut mobiliser. Le gaz ayant la « barrière à l’entrée » la plus faible, il est actuellement privilégiée par les électriciens – essentiellement privés – des économies occidentales pour les nouvelles centrales électriques.
Répartition par nature d’énergie primaire des capacités électriques en construction en 2007 (ces dernières sont exprimées en GW, non en nombre de centrales).
Pour fixer les idées, la puissance installée en France en nucléaire est de l’ordre de 60 GW.
Un réacteur nucléaire = 1 à 1,4 GW ;
Une tranche à charbon = 0,4 à 1 GW ;
Un grand barrage = 0,5 à quelques GW ;
Une grosse éolienne = 0,005 GW);
La puissance installée totale de l’ordre de 90 GW (mais les autres moyens sont utilisés beaucoup moins de temps dans l’année, en particulier les barrages).
Le charbon occupe la première place dans le monde, mais c’est le gaz qui arrive en tête dans les pays occidentaux (OCDE). On constate que les constructions de capacités au charbon et au gaz sont bien plus importantes que les constructions de nucléaire ou d’éoliennes. Il ne faut pas se tromper d’ordres de grandeur !
Source : Platt’s World Electric Power Plant Database, décembre 2008, in World Energy Outlook, 2008, AIE
En Allemagne, c’est le gaz et le charbon qui vont servir à remplacer l’essentiel du nucléaire abandonné (disons les 2/3, car l’intermittence de l’éolien empêche cette seule source de faire mieux, et c’est aussi vrai pour le photovoltaïque).
Tout beau tout propre, alors ?
Ça semble donc parfait, le gaz ! Pas de pollution locale, pas trop d’argent à mettre sur la table, et en plus il est… « naturel » ! Et tout ce qui est naturel est bon pour nous, non ? En fait, qu’une chose soit naturelle ne signifie pas pour autant qu’elle est désirable ! Les impacts de météorites géants, les tsunamis et le paludisme sont parfaitement naturels, et reste à savoir s’ils sont désirables ! Si nous en revenons aux faits, le gaz possède quand même deux limitations majeures :
- étant une énergie fossile, le gaz concourt lui aussi aux émissions de CO2 qui perturbent le système climatique. A quantité d’énergie équivalente, il émet 30% de CO2 en moins que le pétrole, et environ 50% de moins que le charbon, mais cela n’est pas zéro pour autant : 20% des émissions mondiales de CO2 proviennent de l’usage du gaz… et même si l’on se limite aux accidents immédiats et à la pollution, le gaz est plus dangereux que… le nucléaire !
Morts par TWh électrique (et émissions de CO2 par kWh électrique) pour les divers modes de production électrique en Europe, hors prise en compte de la mortalité future induite par le changement climatique.
Surprise!
Source : Electricity generation and health, Anil Markandya & Paul Wilkinson, The Lancet, 2007; 370: 979–90. (NB : The Lancet est la revue de référence en médecine, un peu comme Science dans le domaine des sciences physiques).
- les gisements de gaz, comme ceux de pétrole, mettent des centaines de millions d’années à se constituer. Le gaz est donc une énergie épuisable, qui connaîtra la même évolution que le pétrole : passage par un pic puis déclin.
En Europe, le déclin de l’approvisionnement a probablement commencé, et pour le moment la France arrive à compenser avec d’autres zones d’importation, mais à cause du caractère très capitalistique du transport du gaz, et du plateau de production « ailleurs dans le monde », cela ne va probablement pas durer très longtemps.
Répartition par zone ou pays de provenance du gaz importé en France. Pays-Bas et Norvège sont des producteurs de la Mer du Nord.
Source: Chiffres clés de l’énergie, Service de l’Observation et des Statistiques (Commissariat Général au Développement Durable), 2012