Il est assez courant d’assimiler écologistes et amoureux de la nature, ou tout du moins de considérer que tout amoureux de la nature est nécessairement un écologiste. Les choses sont-elles si évidentes ?
Tout le monde sait ce qu’est un amoureux de la nature. Il se sent bien dans une forêt, sur une montagne, sur les flots, et plus généralement « loin de la civilisation ». Il recherche généralement ce contact fréquemment, ce qui peut aller jusqu’à en faire un cadre de vie au quotidien. Il est généralement désireux de préserver les sites « naturels » en l’état, au moins ceux qui sont dans son entourage immédiat.
Définir ce qu’est un écologiste est probablement plus ardu, car la définition varie en fonction de celui qui la donne !
- Pour les industriels, est volontiers « écologiste » celui qui se plaint des nuisances de leurs activités,
- Pour les agriculteurs, est « écologiste » celui qui réclame du bio,
- Pour la Direction des Routes, l’écologiste est un adepte du vélo…
L’écologiste est donc tout autant défini comme un « anti » que comme un « pro » (pro-nature, pro-autre chose). Et pour achever d’ajouter à la confusion, pour un journaliste est tout simplement écologiste celui qui s’autoproclame comme tel, le plus souvent sous couvert d’une étiquette « officielle », ce qui laisse de la marge de manœuvre ! Pour la presse (et donc généralement pour le grand public), pour être écologiste il suffit d’être un membre du parti Vert, ou d’une association dont la défense de l’environnement fait partie des objectifs déclarés, même si les actes ou les idées dudit membre, appliquées à quelques milliards d’être humains, ne seraient en rien compatibles avec la préservation d’une planète dans le meilleur état possible (les contradictions ne sont pas rares…).
Et qu’en dit le dictionnaire ? Hachette en propose la définition suivante :
« Écologiste : personne attachée à la protection de la nature et des équilibres biologiques ».
Si l’on prend cette définition comme base, alors est écologiste celui qui cherche à perturber le moins possible les grands équilibres naturels, ou à minimiser sa pression sur l’environnement. Est-ce en étant amoureux de la nature que l’on y arrive ? Pas nécessairement, comme on va le voir.
Supposons que je sois un habitant de zone urbaine, ce qui est le cas de 80% de la population (source INSEE). En ville, on ne peut pas dire que la « nature » soit très présente. Si je suis un amoureux de la nature résidant dans un pôle urbain je vais donc, pour assouvir ma passion, me déplacer pendant mes loisirs, voire pendant mon travail, pour trouver des milieux encore peu fréquentés par l’homme.
Par exemple, je vais aller me promener le Dimanche à 30 km de chez moi. Très probablement, je vais y aller en voiture, ce qui va engendrer des nuisances pour l’environnement, comme tout déplacement en voiture ! Si nous sommes suffisamment nombreux à aller nous promener le Dimanche en voiture, cela donne ce qui suit, que l’on ne peut pas précisément qualifier de « minimisation de la pression sur l’environnement ».
Etat de la circulation routière autour de Paris un jour d’embouteillages
Source : sytadin.
Supposons maintenant que je sois un riche habitant de zone urbaine. Je vais peut-être avoir envie de me faire construire ou d’acheter une maison de campagne. Si nous sommes suffisamment nombreux, cela va donner ce qui suit.
Evolution de l’urbanisation d’une portion de la côte d’Azur entre 1960 et 1990.
Evolution de l’urbanisation dans le Golfe du Morbihan entre 1960 et 1990.
Source : Conservatoire du Littoral
Il est assez facile de constater qu’une telle évolution ne correspond pas précisément à la « préservation des équilibres biologiques » pour les zones concernées !
Admettons maintenant que je souhaite aller au contact de la nature dans des endroits « encore vierges », par exemple en allant plonger aux Maldives ou en allant visiter une réserve au Kenya. Pour cela, je vais probablement prendre l’avion. Or l’avion est le mode de déplacement le moins respectueux qui soit de l’environnement : essentiellement parce qu’il émet de grandes quantités de gaz à effet de serre par déplacement, et plus marginalement parce qu’il requiert des espaces au sol équivalents à ceux du train à flux équivalent, et fait beaucoup de bruit.
Ainsi, les explorateurs de contrées lointaines, par exemples les amoureux des randonnées en Amazonie ou du trekking au Tibet sont-ils paradoxalement à l’origine d’une pression significative sur l’environnement à travers leurs déplacements. Un sondage réalisé en Allemagne sur quelques centaines de personnes à sensibilité « écologiste » a montré que ces derniers consommaient 1,5 fois plus d’avion que la moyenne des Allemands !
Enfin on peut être amoureux de quelque chose mais précisément, par son amour, détruire plus ou moins l’objet de sa passion : ainsi dans une ville on dérange assez peu l’écosystème en place (les pigeons ne semblent pas gênés outre mesure par un promeneur de plus). Par contre, un être humain supplémentaire dans un espace « naturel » peu fréquenté ou fragile, cela représente une intrusion qui peut ne pas être négligeable.
Par exemple,
- les ancres des bateaux de plaisance sont des sources significatives de dégradation dans certains écosystèmes littoraux,
- les amateurs de moto « verte » ou même de VTT peuvent causer des dégradations significatives à l’environnement,
- les promeneurs à pied dans les zones littorales, par leurs piétinements, perturbent significativement l’écosystème en place (une diminution très sensible de la population avicole a été constatée dans le golfe du Morbihan à cause de ce piétinement qui perturbe la chaîne alimentaire en empêchant certaines espèces de pousser).
- Le développement du ski alpin (qui est une forme de tourisme en contact avec la nature) est directement à l’origine du « bétonnage de la montagne » qui, indiscutablement, est une pression sur l’environnement,
- un amoureux de la nature peut expliquer à ses amis, sa famille, etc, combien merveilleux et préservés sont les endroits qu’il a visités (ou pire du point de vue de l’environnement : écrire un guide !), et cela peut aider à démarrer un flux touristique à destination du lieu en question, le rendant ainsi un peu moins « naturel » et un peu plus « artificiel » !
Je pourrais multiplier les exemples montrant que le fait de rechercher le contact avec la « nature » peut être une agression pour cette dernière, voire lui être fatale. Quelle est la morale de cette histoire ?
L’écologiste, au sens de la définition du dictionnaire, est un individu économe en prélèvements et en rejets. Ce n’est pas nécessairement un « amoureux de la nature » : une personne habitant un petit appartement, n’achetant que le strict nécessaire, ne se déplaçant qu’en métro, ne prenant jamais l’avion, mangeant peu de viande, et se chauffant le moins possible est infiniment plus écologiste qu’un amoureux de la nature passant d’un raid en Alaska à la traversée du Sahara.
Ici comme ailleurs, un peu de hauteur de vue peut amener quelques surprises !