Ce serait trop dur de limiter nos émissions ? Augmentons la capacité de la planète à les récupérer ! C’est ainsi que les forêts reviennent périodiquement sur le devant de la scène, à cause de toutes les vertus qu’il y aurait à les prendre en compte comme moyen de compenser les émissions de gaz carbonique liées aux activités humaines. Comme d’habitude, le Diable est dans la règle de trois : peut-on se fixer les idées sur les ordres de grandeur en présence ?
Tout une forêt n’est pas un puits de carbone quelles que soient les conditions. Elle est évidemment un puits de carbone quand elle est jeune et qu’elle remplace un sol agricole. En effet, en pareil cas la teneur en carbone du sol augmente, et la quantité de carbone stockée dans la partie aérienne des arbres augmente aussi. Mais quand elle est jeune et qu’elle remplace une prairie, c’est moins évident (voir plus bas).
Et quand la forêt est arrivée à maturité (cas des forêts qui ont dépassé le siècle, en gros), avec des arbres qui meurent et des arbres qui poussent, alors elle émet à peu près autant de CO2 qu’elle n’en absorbe. Certes des arbres poussent, mais la décomposition de ceux qui sont morts (ou plus exactement la respiration des micro-organismes qui se nourrissent de la matière organique des êtres morts) conduit à des émissions de CO2 à peu près équivalentes à ce qui est absorbé par la croissance des arbres vivants.
Sauf que… quand la concentration en CO2 augmente, ce qui est le cas actuellement, alors une forêt qui était à l’équilibre (autant d’émissions que d’absorption) peut recommencer à stocker du carbone (la photosynthèse reprend du poil de la bête alors que la décomposition n’augmente pas dans un premier temps).
De ce fait, pour prendre un cas particulier bien connu, il y a des tas de bonnes raisons de conserver l’Amazonie dans le meilleur état possible, mais pas parce qu’elle est le poumon de la planète : quand elle est à l’équilibre dans une atmosphère qui elle-même est à l’équilibre (pour la teneur en CO2), elle ne produit pas le moindre litre d’oxygène pour nous !
Lorsqu’une forêt est à maturité, elle contient (en incluant le carbone contenu dans le sol, sous forme de racines, d’humus, de micro-organismes divers, de vers de terre, etc) environ 200 tonnes de carbone à l’hectare (un peu moins sous nos latitudes, un peu plus en zone tropicale, beaucoup plus il est vrai en zone boréale, mais elles sont déjà les plus boisées).
Contenus approximatifs en carbone par hectare de divers types d’écosystèmes.
Source : GIEC, 2001
Notons que ce chiffre est cohérent, quoique supérieur, avec celui donné par le parlement européen en ce qui concerne les forêts européennes (carte ci-dessous), dont je n’ai pu déterminer s’il concerne uniquement les grumes (les troncs) ou aussi les branches et feuilles (les forestiers donnent volontiers des chiffres qui ne concernent que la partie « ‘intéressante » pour eux, à savoir les troncs et les grosses branches).
Volumes de bois par hectare en Europe.
Un m³ de bois vert pèse un peu moins d’une tonne (puisque le bois flotte, sauf exception). Une fois sec, ce m³ pèse environ 600 kg pour les espèces de nos latitudes, dont la moitié est du carbone. Le bois sec contient donc à peu près 500 kg de carbone par tonne, ou 300 kg de carbone par m³.
Les forêts européennes contiennent donc de l’ordre de 25 à 90 tonnes de C à l’hectare pour la seule végétation.
Source de la carte : Parlement européen
Pour faire une forêt à maturité, il faut à peu près un siècle (ordre de grandeur). Par ailleurs, quand on plante une forêt, il y avait déjà « autre chose » avant, et donc ce qui compte n’est pas la totalité de ce que la forêt absorbe, mais ce qu’elle absorbe « en plus » de ce que la végétation qui précédait absorbait. Enfin l’absorption n’est pas constante : elle est faible au début, quand les plants sont tous petits, et redevient faible lorsque la forêt est à maturité, avec très certainement un maximum entre les deux.
Avant d’aller plus loin, une première conclusion est donc que planter des forêts n’engendre un gain que dans le cas où ces forêts remplacent des terres agricoles. En cas de remplacement de prairies, le bilan est nul à défavorable en ce qui concerne l’évolution du stock de carbone à l’hectare, puisque le contenu en carbone d’une prairie (sol et végétation, l’essentiel du stock étant contenu…dans le sol, voir graphique ci-dessus) est le même que celui d’une forêt tempérée, en ordre de grandeur. Il faut aussi, bien sûr, que la forêt plantée ne remplace pas une autre forêt !
Planter des arbres ne peut donc pas être considéré comme une variable d’action sans précision sur ce qu’ils remplacent. Comme l’éventualité d’une diminution des terres agricoles n’est pas vraiment à l’ordre du jour sur une planète qui connaît une augmentation galopante de sa démographie, on pourrait s’arrêter là et dire que cela n’a aucun intérêt.
Continuons quand même l’exercice pour parachever la démonstration. En première approximation, compte tenu de ce qui précède, on peut donc dire qu’une forêt en croissance absorbe de l’ordre de 2 tonnes de carbone à l’hectare par an (il s’agit bien d’une approximation sur ce qu’elle absorbe en plus de ce qu’une autre végétation aurait fait). Actuellement, les émissions humaines de gaz carbonique que la biosphère ne recycle pas naturellement sont de l’ordre de 3.000.000.000 tonnes de carbone par an.
En supposant qu’un hectare de forêt nouvellement plantée séquestre 2 tonne de carbone par an, donc, il faudrait donc planter 1.500.000.000 hectares de forêts en ordre de grandeur, en remplacement de terres agricoles, pour que, avec des émissions restant en outre au niveau de 1990 (hypothèse hardie aujourd’hui !), les concentrations de CO2 dans l’atmosphère n’augmentent pas.
Pour fixer les idées, cela représente la plantation d’un huitième des terres émergées, ou encore environ 2 fois le Sahara, ou encore 30 fois la superficie de la France.
Comme en plus nos émissions augmentent, si on veut compenser par des arbres il faut d’ores et déjà dimensionner pour ce qui se passera plus tard. Prenons maintenant 20 ans comme horizon, et supposons – ce n’est pas très éloigné de la proposition américaine – que les plantations doivent compenser les émissions à venir, non contraintes par ailleurs.
Pour fixer les idées, en Europe de l’Ouest, sur la base d’une croissance économique de 2% par an, et en « laissant faire », les émissions de CO2 augmenteront de 50% d’ici 2020. Si l’on extrapole au reste du monde, dont la croissance est au moins aussi forte (les Pays en voie de développement sont plutôt entre 5 et 10%), et ce qui est cohérent avec les scénarios « hauts » du GIEC, cela signifie que pour compenser nos émissions de CO2 en excès, non contraintes par ailleurs, il faudrait planter des arbres sur des terres agricoles représentant entre un cinquième et un quart des terres émergées, c’est à dire….boiser quasiment l’intégralité des terres aujourd’hui cultivées dans le monde ! Un quart des terres émergées, c’est aussi l’équivalent des forêts actuelles.
Ce n’est pas totalement impossible, certes ! Je ne suis cependant pas sûr de postuler comme chef de projet…
Et cette « plantation » aurait en outre les caractéristiques suivantes :
- elle ne servirait qu’à stabiliser la concentration atmosphérique du CO2, donc la perturbation apportée au climat par ce gaz, mais ne permettrait pas de la faire diminuer,
- elle ne concernerait que le CO2 (65% des émissions de gaz à effet de serre),
- une forêt cessant d’être un puits au bout d’un siècle, il faudrait recommencer l’opération tous les siècles si nous avons toujours recours aux sources fossiles d’ici là, et donc boiser un quart supplémentaire des terres émergées à partir de 2100 (sans déboiser celui déjà planté).
Enfin, in cauda venenum : en cas de remplacement de terres agricoles par des forêts, il y a un autre élément d’importance : l’albédo change. L’albédo, c’est le nom que l’on utilise pour la mesure du pouvoir réfléchissant d’une surface : un miroir parfait a un albédo de 100% (il réfléchit toute la lumière qu’il reçoit), une surface parfaitement noire a un albédo nul (elle ne réfléchit rien).
L’albédo moyen de la Terre est l’un des déterminants pour la température qu’il fait, car plus l’albédo moyen est fort, et plus l’énergie solaire est directement réfléchie vers l’espace, sans avoir eu le temps de chauffer le sol : 1% d’albédo en plus sur la moyenne terrestre, cela engendre une baisse de la température moyenne de l’air au niveau du sol de 0,75 °C environ, et réciproquement : 1% d’albédo en moins et la température moyenne monte de 0,75 °C environ.
Or une forêt a un albédo de 5 à 15% (c’est à dire qu’une forêt réfléchit 5 à 15% seulement de la lumière qu’elle reçoit), et une terre agricole de 25%. En plantant des arbres là où il n’y en avait pas, on diminue donc la réflexion de la surface de la Terre, qui absorbe donc plus d’énergie qu’avant (car le rayonnement solaire contient de l’énergie).
Un physicien a regardé comment l’effet de « soustraction du CO2 » et celui de « diminution de la réflexion » se comparaient en cas de boisement de terres agricoles. Le résultat est instructif : dans certaines régions du monde, la diminution de l’effet de serre (parce qu’il y a moins de CO2 dans l’air) l’emporte sur l’augmentation de la température due à la part plus grande du rayonnement solaire absorbée par le sol, mais l’inverse peut aussi se produire ! Planter des forêts à la place de terres agricoles conduit alors à un réchauffement net de la surface… (graphique ci-dessous).
Effet net du remplacement de cultures par des forêts de conifères, selon la région du monde concernée, en « équivalent émissions de carbone à l’hectare ».
Là ou il n’y a que du blanc, on suppose que l’on n’a touché à rien. Là où il y a des couleurs, on a comparé l’effet de stockage (positif) des forêts remplaçant les cultures, avec l’effet supplémentaire de « capture » de chaleur lié à la diminution de l’albédo.
Si le résultat est positif, cela signifie que le stockage de carbone l’emporte sur la diminution de la réflexion, et donc que l’effet du reboisement est globalement « refroidisseur » du climat. Il est facile de constater que cela n’est pas vrai de manière systématique : pour certaines régions du monde, reboiser conduit à un réchauffement net du climat (rouge, orange, jaune), ou à un effet proche de zéro (jaune, vert clair).
Source : Betts, Nature, 2000