L’exercice qui suit vise à illustrer l’importance du transport aérien dans les émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit d’une illustration sur un exemple concret, mais le propos se veut plus large : il s’agit de faire prendre conscience de l’importance de ce poste et du fait qu’il n’est peut-être pas opportun de chercher à en préserver la croissance.
J’ai également illustré le fait que certains opposants sont assez proches du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
Les émissions d’un trajet en avion
Un avion long courrier moderne, par exemple l’A340-600 d’Airbus, peut transporter 380 passagers en configuration « normale » sur 3 classes (ci-dessous).
Il peut par ailleurs parcourir 13.900 km et requiert pour cela 194.800 litres de carburant (données constructeur).
Un rapide calcul montre donc qu’un avion de cette génération consomme 194.800 ÷ (13.900 x 380) = 0,037 litre de carburant par passager et par kilomètre tout compris en utilisation optimale.
Ce dernier point est important : si l’avion n’est pas plein, la consommation par passager.km augmente, or le taux de remplissage moyen des avions n’est pas de 100% mais plutôt de 70% à 80%. Dans la pratique, la consommation réelle de chaque passager international (regroupant moyen et long courrier) est de l’ordre de 5 litres aux 100 pour une compagnie ayant des avions récents (type Air France).
Par ailleurs si l’avion n’est pas utilisé sur sa distance maximale, le décollage et l’atterrissage étant proportionnellement plus gourmands en carburant, la consommation par passager.km augmente aussi de manière significative. Enfin les avions les plus anciens sont aussi les plus gourmands en carburant (Concorde détenait la palme pour les avions commerciaux !). Le calcul qui suit constitue donc une borne inférieure de ce à quoi je veux en venir.
La distance moyenne d’un vol long courrier (ou international) est de 6.495 km (source : Ministère Anglais des Transports). Sur une telle distance, en supposant l’avion plein, un passager consomme donc 0,037*6495 = 240 litres de kérosène, et émet donc 165 kg d’équivalent carbone pour le seul CO2, et en fait 2 fois cela, soit 330 kg d’équivalent carbone, si l’on tient compte des autres émissions (voir ci-dessous).
Il en résulte que chaque passager aérien long courrier émet autant de gaz à effet de serre que s’il était seul en grosse voiture sur la même distance.
Emissions de gaz à effet de serre par mode motorisé, en grammes d’équivalent CO2 par passager.km.
On constate que l’avion et la voiture sont à peu près au même niveau à distance égale.
Le terme « émissions à haute altitude » englobe tous les effets qui sont dus au fait que les émissions des moteurs d’avion surviennent à la limite de la stratosphère (injection de vapeur d’eau, traînées, méthane, etc).
Source : Carbone 4
Un calcul de même nature indique que pour un vol court courrier (ou vol domestique, distance moyenne 500 km) un passager consomme à peu près le double par km, soit un total d’environ 25 kg d’équivalent carbone pour 500 km pour le seul CO2, soit 50 kg avec toutes les émissions. Chaque passager en court courrier émet presque autant de gaz à effet de serre que s’il était seul en petit camion !
Bien évidemment, les émissions engendrées par un vol sont alors très importantes.
Emissions de gaz à effet de serre par passager et par classe (en kg équivalent CO2) pour quelques destinations.
Les chiffres s’entendent pour un aller-retour, et tous gaz à effet de serre confondus.
La barre rouge représente le maximum des émissions annuelles de CO2 par personne (en kg) auxquelles il faut redescendre pour stabiliser la concentration en CO2 dans l’atmosphère.
Manifestement la lutte contre le changement climatique n’est pas compatible avec un transport aérien généralisé.
Sources : Jancovici/ADEME, d’après Bilan Carbone
Faut-il construire le 3è aéroport parisien ?
Ceci étant dit, Aéroports de Paris (ADP) donne les statistiques suivantes pour le trafic passager en 1999 de Orly et Roissy.
Destination/Origine | Millions de passagers | Variation 1999/1998 |
---|---|---|
Métropole | 21,0 | + 6,3 % |
Union Européenne | 21,1 | + 8,0 % |
Autre Europe | 4,2 | + 0,5 % |
Afrique du Nord | 3,3 | + 20,4 % |
Autre Afrique | 2,3 | + 6,4 % |
Amérique du Nord | 6,5 | + 12,3 % |
Amérique Latine | 1,4 | + 17,0 % |
Dom-TOM | 3,3 | + 6,0 % |
Moyen-Orient | 2,3 | + 26,1 % |
Extrême-Orient | 3,3 | + 9,1 % |
On voit sur le tableau ci-dessus que les destinations hors métropole croissent plus vite (9% en moyenne si on fait le calcul) que celles en métropole.
Par ailleurs les destinations en métropole ne représentent qu’un tiers (en gros) des destinations totales.
Une prolongation tendancielle donnerait, au bout de 20 ans :
- 71 millions de passagers annuels en Métropole
- 292 (autrement dit 300) millions de passagers annuels en provenance ou à destination de l’étranger, soit 80% du total.
Sans tenir pour valides les chiffres en valeur absolue, ce qui n’aurait pas de sens (300 millions de passagers !), nous pouvons supposer, pour la suite, que 80% des passagers d’un nouvel aéroport prendraient un long courrier lorsque cet aéroport sera au maximum de sa capacité. C’est d’autant plus légitime, me semble-t-il, qu’à cette époque les destinations de métropole les plus fréquentées seront quasiment toutes à moins de 3h30 par le train (or un voyage en avion, tout compris : déplacement jusqu’à et de l’aéroport, enregistrement, retards !, etc, ne prend pas souvent beaucoup moins de 2 à 3h).
Un 3è aéroport, permettant 50 millions de passagers par an (comme Roissy au maximum de sa capacité), dans les conditions optimales décrites ci-dessus (qui ne seraient pas atteintes, ce qui compense dans le calcul pour les sous-estimations que j’ai pu faire sur d’autres postes), avec 80% du trafic en long courrier, permet donc aux émissions suivantes d’exister :
- pour la partie court courrier, 10 (millions de passagers) x 50 (kg équivalent carbone par vol) = 500.000 tonnes équivalent carbone par an
- pour la partie long courrier, 40 (millions de passagers) x 330 (kg équivalent carbone par vol) = 13.200.000 tonnes équivalent carbone par an.
Total : 13.700.000 tonnes équivalent carbone.
Dans ce total, je n’ai pas pris en compte les émissions des avions 100% cargo (dont je ne connais pas le nombre).
Quand on sait qu’un Français émet en moyenne 2,8 tonnes équivalent carbone par an tous gaz confondus, sans les puits), cela veut dire que de construire une troisième infrastructure aéroportuaire parisienne serait rendre possible l’équivalent de ce qu’émettent 5 millions de Français ; c’est encore l’équivalent de presque 10% de nos émissions nationales actuelles. Même une infrastructure à 25 millions de passagers annuels représenterait encore 5% de nos émissions nationales. Il s’agit bien entendu des émissions des avions prises sur toute la longueur du vol.
Il est donc totalement incohérent de vouloir en même temps lutter contre l’effet de serre et construire cette plate-forme supplémentaire. D’une manière générale, il est totalement incohérent de vouloir lutter contre l’effet de serre si l’on permet par ailleurs l’augmentation du trafic aérien en construisant ou améliorant les infrastructures aéroportuaires.
Le raisonnement indiqué ci-dessus pourrait donc tout autant être appliqué au passage de 25 à 50 millions de passagers à Roissy, à la construction de l’aéroport du Grand Ouest (entre Nantes et Rennes), au développement de Satolas, de Nice, etc. Bien sûr, c’est bien l’augmentation – à laquelle les pouvoirs publics ne fixent pas de limite actuellement – du trafic aérien qui est responsable de l’augmentation des émissions, pas l’augmentation du nombre de plates-formes en tant que tel.
Le lien de l’un à l’autre est cependant évident en cas de saturation des infrastructures existantes, ce qui est actuellement le cas.
Plus généralement, quelle est l’importance du trafic aérien dans les émissions de gaz à effet de serre ?
Pour le seul CO2, le trafic aérien est responsable d’environ 2% à 3% des émissions de la planète (selon les sources), c’est-à-dire environ les émissions de la Grande Bretagne (ou 1,5 fois celles de la France), ce qui n’est déjà pas rien. En France, le transport aérien (y compris les vols internationaux arrivant en ou partant de France) consomme à peu près 25% de ce que consomment les voitures particulières : c’est donc très loin d’être négligeable !
En outre les émissions de CO2 du transport aérien, sur les décennies récentes, ont tendance à augmenter bien plus vite que celles du reste de nos activités. Ainsi, de 1990 à 2002, les émissions de CO2 du monde ont augmenté de 15%, pendant que celles du transport aérien ont augmenté d’environ 30% (soit deux fois plus vite).
Mais les avions sont aussi des émetteurs importants d’autres gaz à effet de serre (vapeur d’eau, ozone, cf. figure ci-dessous). Le pourcentage est donc probablement supérieur si l’on prend en compte tous les gaz à effet de serre.
Forçages radiatifs dus au transport aérien.
Les intitulés de la ligne du bas (bon, passable ,etc) correspondent au niveau des connaissances scientifiques sur l’effet des émissions du gaz concerné.
On voit que le total du à l’avion s’approche de 3 fois ce qui est du au seul CO2 pour ce moyen de transport (si nous « empilions » l’une sur l’autre les barres vers le haut de toutes les émissions, puis « déduisions » les barres vers le bas du méthane et des sulfates, nous arriverions à une barre à peu près 3 fois plus haute que celle du CO2), alors que pour l’ensemble des activités humaines ce ratio est de 1,5.
Le transport aérien contribue donc à quelque chose qui est plus proche de 4% des émissions anthropiques (d’origine humaine) de tous les gaz à effet de serre.
Source : GIEC, 2000
Si nous prenons en compte les émissions des avions hors CO2, ainsi que nous y invite le graphique ci-dessus, les avions partant de France (y compris les vols intérieurs) émettent autant que la moitié des voitures particulières ! Les voitures particulières ont consommé environ 25 millions de tonnes de pétrole en 2001 ; les avions 6 (c’est à dire que les avions présents sur les aéroports Français ont acheté 6 millions de tonnes de kérosène), mais comme un litre de pétrole brûlé dans un avion « compte au moins double » (graphique ci-dessus), les avions « équivalent » au moins à 12 millions de tonnes de pétrole brûlées dans des voitures, soit 50% de la consommation des voitures particulières.
Par ailleurs ce trafic croît au rythme de 5% à 10% par an (avec quelques hoquets, de temps en temps, mais cela n’a jamais entamé la tendance de fond jusqu’à maintenant) : la projection haute du GIEC aboutit à une multiplication par 15 des émissions de CO2 d’ici à 50 ans, ce qui amènerait le trafic aérien au delà du niveau actuel des USA (qui font 25% des émissions mondiales en 2000).
C’est donc un poste qui est loin d’être négligeable pour l’avenir, et en outre les émissions liées au trafic aérien international échappent totalement aux accords du type Kyoto (qui ne les prennent pas en compte, officiellement pour des raisons de difficulté de méthode, qui de fait ne sont pas minces : à quel pays attribuer les émissions d’un passager Suisse prenant British Airways pour aller de Paris à Naples ?).
Que penser du discours de certains opposants ?
Mon propos n’est pas ici de stigmatiser un parti politique en particulier, mais de montrer que, comme ailleurs, le discours public et les actes personnels ont parfois du mal à s’entendre.
Les Verts ont souvent indiqué qu’ils étaient contre ce troisième aéroport, sur le principe même, car étant contre l’augmentation du trafic aérien. Or en décembre 2001, trois de leurs principaux dirigeants (Mme Voynet et MM. Mamère et Lipietz) sont partis en vacances aux Antilles. Sauf à ce que je sois mal informé, ils n’y sont pas allés en kayak de mer ou en pédalo, mais bien en avion, et je ne pense pas que les nécessités du service puissent être invoquées pour prendre l’avion quand il s’agit de vacances.
Dès lors que l’on fait quelque chose soi-même, il me semble difficile d’en dénier le droit aux autres. Si chaque Français a le droit de se comporter aussi vertueusement qu’un dirigeant de parti écologiste (lequel parti prône en outre une forte équité), et a donc le droit de prendre l’avion une fois par an pour partir en vacances, cela engendrera 122 millions de passagers (par an) de ce seul fait (les passagers sont comptés à l’aller et au retour).
En 2000, le trafic aérien en France a représenté 80 millions de passagers (source DGAC), avec Roissy à 25 millions et Orly à 20 millions.
Si chaque Français a le droit de se comporter comme un dirigeant de parti écologiste, donc, alors il est impératif de permettre au trafic annuel de gagner au moins 40 millions de passagers, et, sauf à doubler les trafic d’Orly et de Roissy, il devient inéluctable de faire un 3è aéroport parisien. Etre contre cet aéroport supplémentaire signifie par contre implicitement que l’on accepte que l’avion (re)devienne un luxe réservé à une minorité de la population, ou une minorité d’usages. Taxer fortement le kérosène aurait très exactement cet effet. Quels « écologistes » auront le courage de le reconnaître ouvertement ? Et tous ceux qui s’insurgent contre cet aéroport supplémentaire feront-ils l’effort de ne pas prendre eux-mêmes l’avion à tout bout de champ ?