Nous devons bien en faire quelque chose, de ce fichu pétrole, avec toute l’énergie – sans mauvais jeu de mots – que nous mettons à le faire sortir de terre ! Et cette envie n’a pas décru depuis un siècle, puisque depuis que nous avons découvert son existence, nous en consommons de plus en plus.
Consommation mondiale de chaque énergie significative de 1860 à 2014, en millions de tonnes équivalent pétrole.
(une tonne équivalent pétrole = 42 gigajoules = 11600 kWh).
Les énergies renouvelables à la mode (éolien, solaire, etc) regroupées sous l’appellation « New Renewable » restent marginales dans ce total.
Source Shilling et al., 1977, et BP Statistical Review, 2015
En fait, si nous regardons la moyenne par terrien, et non le total mondial, nous avons une première surprise : depuis 1979 nous en consommons plutôt de moins en moins !
Moyenne mondiale de la consommation par personne de chaque énergie significative, de 1860 à 2014, exprimée en kWh par an.
Surprise ! Alors que la consommation mondiale de pétrole a continué de croître, à des rythmes variables, depuis les chocs pétroliers, la consommation par personne a fortement décru juste près 1979, et est à peu près stable depuis 1980.
Source Shilling et al., 1977, BP Statistical Review, 2015, et Nations Unies pour la population.
Et tout cela pour en faire quoi ? Tout simplement… de la chaleur. Car si nous arrivons à faire vroum vroum en voiture, c’est grâce au fameux moteur à explosion qui, depuis un siècle, transforme la chaleur en mouvement. Et à cause de cette propriété toute bête – le pétrole brûle – c’est la mobilité qui conduit désormais à utiliser plus de la moitié (60% environ) du pétrole extrait du sous-sol, que cela soit en France ou dans le monde.
Utilisation du pétrole par usage, dans le monde, en milliards de barils par an.
Source : « Transport energy futures: long-term oil supply trends and projections », Bureau of Infrastructure, Transport and Regional Economics (BITRE), Australian Government, 2009.
Bien sûr, cette mobilité ne concerne pas que les personnes : elle concerne aussi les marchandises, et du reste c’est bien à cause de (ou grâce à) la croissance très forte du transport sur les dernières décennies, elle-même permise par la disponibilité croissante du pétrole, à coût décroissant, qui a permis ce que l’on appelle désormais la mondialisation (et donc sans pétrole, pas de mondialisation !).
Ce pétrole qui va dans les transports n’est cependant pas consommé juste pour les transports terrestres. Sur les 2.160 millions de tonnes de produits pétroliers utilisés pour déplacer des bonhommes ou des marchandises, nous allons aussi trouver :
- les transports aériens – qui sont surtout du transport de personnes – qui consomment environ 250 millions de tonnes de carburéacteur – encore appelé kérosène, ou jet fuel en anglais – par an, soit environ 11% de la consommation mondiale de produits pétroliers dans les transports (ce qui semble peu, mais représente en fait beaucoup quand on pense que le transport aérien est concentré sur quelques % de la population mondiale seulement).
- les transports maritimes – qui sont surtout du transport de marchandises – qui consomment environ 200 millions de tonnes de carburant par an, surtout du fioul lourd.
Inversement, les transports sont massivement dépendants du pétrole quels que soient les modes :
- ils le sont à 100% pour les transports maritimes et aériens,
- ils le sont à 98% pour les transports terrestres ; l’électricité des trains et les bricoles non pétrolières pour les voitures et camions (agrocarburants, électricité, gaz liquéfié, etc) ne représentent que des cacahuètes.
Consommation d’énergie des transports en France, en millions de tonnes équivalent pétrole.
A part des carburants issus du pétrole, il n’y a pas grand chose !
Un peu d’agrocarburants… qui ont eux-mêmes nécessité du pétrole et du gaz (en France, surtout du gaz pour la fabrication des engrais) pour être produits. Cette dépendance des transports au pétrole est très représentative de ce qui se passe dans le monde. L’électricité est surtout utilisée par les modes ferrés.
Source : Bilan énergétique de la France pour 2014, Commissariat Général au Développement Durable, 2015
Et à part les transports ?
Même si les transports prédominent, le pétrole sert – ou a servi – à alimenter bien d’autres choses : des chaudières industrielles (fours à verre, à ciment, réchauffeurs d’acier pour travail à chaud, etc), même s’il est désormais supplanté pour cet usage par le charbon ou le gaz ; des chaudières de centrales électriques (usage pour lequel il est désormais minoritaire, supplanté par le charbon) ; des chaudières de logements, des moteurs d’engins de chantier… Il sert aussi – et surtout, devrait-on dire – et à produire les innombrables dérivés de la pétrochimie qui sont devenus omniprésents dans la vie quotidienne des habitants des pays industrialisés.
Usages du pétrole dans le monde en 1973 et 2007, en millions de tonnes par an.
La quantité consommée par les transports a fortement augmenté, de même que la pétrochimie (rubrique « non énergétique »), par contre les utilisations pour les chaudières industrielles – production électrique comprise – et pour le chauffage des bâtiments (rubrique « autres ») ont diminué.
Source AIE, key energy statistics, 2009.
Si nous détaillons un peu :
- dans le domaine industriel, le pétrole sert avant tout à alimenter des chaudières, qui elles-mêmes servent :
- soit produire de l’électricité,
- soit à chauffer des matériaux en direct (par exemple des fours à verre),
- soit à produire de la vapeur qui va réchauffer de manière plus « douce » des composés divers (jusqu’aux pâtes pour faire des cosmétiques)
- dans le domaine « autres », nous allons trouver essentiellement le chauffage des bâtiments, logements ou locaux tertiaires, pour lequel il n’est probablement pas nécessaire de faire un dessin pour expliquer de quoi il s’agit, mais aussi le fioul des engins agricoles, le carburant des engins de chantier ou militaires s’ils ne sont pas comptabilisés avec les transports (aux USA les moyens militaires consomment 10% de ce que consomment les transports civils), et des bricoles diverses (peut-être bien l’essence des tondeuses à gazon !),
- enfin le domaine « non énergétique » concerne l’utilisation comme matière première par la pétrochimie. Cette dernière est impliquée dans la totalité de ce que nous consommons désormais, puisqu’elle produit :
- des plastiques que l’on retrouve absolument partout, de l’électro-ménager aux saladiers, des fenêtres aux chaussures, des voitures aux meubles et aux stylos, des emballages alimentaires aux textiles synthétiques ; même la lingerie qui doit nous faire tant fantasmer, c’est du pétrole !
- des huiles, utilisées par toutes les machines industrielles, les véhicules terrestres, les avions, les bateaux,
- et encore des cires, solvants, détergents, engrais azotés, bitume (sans pétrole, plus de voitures certes, mais aussi plus de routes…), et encore d’innombrables produits dont nous n’avons pas idée tant que nous n’y avons pas un peu réfléchi.
Bref le plastique, c’est, avec les métaux, la base de la corne d’abondance qui déverse tout son contenu sur nous depuis quelques décennies.
Cette famille américaine a mis sur la pelouse devant sa maison tous les objets normalement rangés à l’intérieur (ou pas pour la voiture !) et qui contiennent du plastique.
Voici une illustration très parlante de l’importance de ce matériau dans la fabrication de nos « objets de tous les jours » désormais !
Et en France ?
En France, c’est bien connu, nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons des idées. En fait nous avons un peu de pétrole : 1% de ce que nous consommons, si si, venant du Sud-Ouest et du Bassin Parisien.
Production de pétrole en France depuis 1970, en millions de tonnes.
La « relance » de la production après les chocs pétroliers est nettement visible. Les hydrocarbures extraits du gaz concernent les « liquides de gaz« .
Source : Chiffres clés de l’énergie pour 2012, Service de l’Observation et des Statistiques (Commissariat Général au Développement Durable), 2012
Mais l’essentiel est importé, pour arriver aux 90 millions de tonnes consommées dans l’Hexagone.
Importations de pétrole brut en France depuis 1970, par zone de provenance.
(la France importe aussi des produits raffinés, pour l’essentiel du diesel, et exporte de l’essence).
La diminution des flux en provenance du Moyen Orient, tant en valeur absolue qu’en part relative, est très notable. Le déclin de la production de la Mer du Nord (Grande Bretagne, Norvège, Pays Bas et Danemark) est déjà une réalité dans nos importations.
La France a probablement passé son pic de consommation principal en 1973, et un pic secondaire à la fin des années 1990, car toutes les zones qui nous servent actuellement sont en phase de plateau ou de déclin, de telle sorte que la consommation de notre pays va devenir de plus en plus contrainte par la diminution des quantités disponibles sur les marchés internationaux.
Source : Bilan énergétique de la France pour 2011, Commissariat Général au Développement Durable, 2012
Ce pétrole, nous en faisons la même chose que tout le monde : des automobilistes, des consommateurs de produits industriels, et des individus réchauffés l’hiver.
Usages du pétrole en France depuis 1970.
Dans cet ensemble :
- « branche énergie » concerne à la fois la faible consommation résiduelle pour la production électrique et la consommation propre des raffineries
- « industrie » concerne les usages industriels (fours, vapeur)
- « résidentiel tertiaire » concerne le chauffage (et l’eau chaude sanitaire parfois) des logements et des surfaces tertiaires
- « agriculture » concerne… l’agriculture ! (tracteurs etc)
- « non énergétique »… concerne les usages comme matière première dans la pétrochimie
- et les transports regroupent tous les carburants servis à des engins qui se déplacent : voitures, camions, avions, bateaux.
Source : Bilan de l’énergie pour 2014, Service de l’Observation et des Statistiques (Commissariat Général au Développement Durable), 2015
En France, comme partout ailleurs, l’essentiel du pétrole va donc dans les transports (qui consomme 70% des produits raffinés dans notre pays), et en particulier dans le transport routier.
Ce qui nous permet d’aller, le cœur joyeux, dans les embouteillages matinaux et les embouteillages estivaux sur les autoroutes est donc pour l’essentiel un résidu de plancton ayant vécu il y a des centaines de millions d’années et aujourd’hui extrait à des milliers de km de notre pays. Dans ce genre de contexte il est légitime de se demander combien notre « mobilité » (qui serait plutôt une immobilité dans les embouteillages !) sera durable…
Pétrole brut ou pétrole raffiné ?
Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne j’ai rarement vu des consommateurs finaux mettre du pétrole brut dans leur véhicule ou leur cuve à fioul. La totalité du « pétrole » que nous consommons est en fait composée de produits raffinés, et non de brut. Or, comme l’avait merveilleusement dit M. De la Palisse, le raffinage commence par… le passage dans une raffinerie.
Une raffinerie, c’est essentiellement une grosse chaudière qui va porter le pétrole à une température élevée pour le distiller, ce qui sépare les familles de molécules, les légères d’un côté, les moyennement lourdes de l’autre, etc. La « lourdeur » d’une molécule fait essentiellement référence au rapport carbone/hydrogène, qui est d’autant plus élevé que la molécule est « lourde ». Dans certaines raffineries, on va parfois apporter de l’hydrogène « en rab » au pétrole initial, pour pouvoir sortir plus de molécules légères (qui servent notamment dans les transports et la pétrochimie) et moins de lourdes (comme du bitume ou fuel lourd, moins prisées et donc qui se vendent moins cher).
Le graphique ci-dessous donne la répartition typique des produits distillés (ou raffinés) en sortie de raffinerie, qui n’est pas exactement la même selon les zones, car la demande locale varie d’une région à l’autre (par exemple les américains veulent surtout de l’essence, les européens plus de gasoil, etc).
Décomposition par catégorie des produits pétroliers en sortie de raffinerie.
Dans cet ensemble :
- le GPL (gaz de pétrole liquéfié) regroupe la fraction la plus légère des produits obtenus en sortie. Ce carburant a été promu comme « plus écologique » que l’essence (ce qui se discute : il est un peu moins émissif en CO2 par litre mais sa consommation est plus importante que celle de l’essence à distance parcourue équivalente), mais cette promotion est peut-être due au fait que les raffineurs en obtiennent toujours un peu quoi qu’ils fassent (on parle dans ce cas de figure de « produit fatal ») et qu’ils n’avaient pas de débouché…
- Le naphta est la fraction qui vient juste après et qui sert de matière première en pétrochimie. Ce produit là n’est donc pas utilisé ni pour les transports ni pour le chauffage, mais va directement aux industriels concernés (qui sont parfois les mêmes que les raffineurs)
- L’essence regroupe à la fois les carburants routiers et l’essence aviation qui sert pour les engins légers,
- Le kérosène est le carburant des avions à réaction, de ligne ou militaires,
- Le gasoil et le fioul domestique sont en fait le même produit à quelques détails près, et servent dans les transports et le chauffage, ainsi que dans les petites unités de production électrique (par exemple à bord des bateaux)
- Le fioul lourd sert aux gros moteurs de bateaux (les porte conteneurs, pétroliers ou minéraliers fonctionnent au fioul lourd), à certains gros moteurs terrestres (comme ceux des chars d’assaut !), et aux chaudières industrielles, y compris celles des centrales électriques qui utilisent des produits pétroliers (qui produisent environ 5% de l’électricité mondiale).
- Enfin « autres produits » regroupe les produits les plus lourds obtenus en sortie de distillation, à savoir :
- les bitumes, qui servent pour les revêtements, notamment routiers,
- les huiles et cires,
- les résidus solides de la distillation, désignés sous le terme de « coke de pétrole », et qui servent de combustibles dans des procédés industriels… dont le raffinage du pétrole ! (ce raffinage est donc fait avec le résidu solide issu du raffinage du pétrole qui est passé juste avant).
Comme le pétrole qui entre dans la raffinerie comporte une quantité donnée de carbone et d’hydrogène, si le raffineur privilégie l’obtention de molécules légères (donc avec un rapport C/H pas très élevé), et notamment de l’essence (ce qui est le cas des américains), alors il obtiendra en contrepartie plus de produits lourds (avec un rapport C/H élevé), c’est à dire des bitumes, huiles et cire (ce qui est aussi le cas des américains, ouf !). Pour ne pas avoir trop de produits lourds, le raffineur peut apporter de l’hydrogène, qui devra nécessairement venir d’ailleurs que du pétrole entrant (par exemple du gaz).
Source : Transportation Energy Data Book, Edition 20-2000, Oak Ridge National Laboratory
Et quand nous parlons de « pétrole » pour la France ce sont bien ces produits raffinés que nous désignons dans les faits. Ces produits peuvent être soit issus de raffineries françaises, soit… importés. Pourquoi diantre importer des produits raffinés quand nous avons des raffineries en France et que nous importons déjà du brut ? Pour une question d’arithmétique sur la demande, que nous allons effectuer sur 2008 : cette année là les transports routiers ont consommé environ 34 millions de tonnes de gazole ; le résidentiel tertiaire 13 millions de tonnes de fioul domestique, et l’agriculture 3 millions de tonnes de fioul domestique également. Or fioul domestique et gasoil, c’est bonnet blanc et blanc bonnet du point de vue du pétrolier (ce sont des produits quasi-identiques en sortie de raffinerie), de telle sorte que nous avons donc consommé 50 millions de tonnes de « gasoil-fioul » en 2008.
Cette année là, nous avons importé 83 millions de tonnes de pétrole brut (et produit un million de tonnes en France !). Une fois enfournées dans les raffineries françaises, qui produisent (sur une base européenne, cf plus haut) environ 35% de gasoil sur le brut initial, cela permet de disposer de 29 millions de tonnes de gasoil-fioul seulement. Ami lecteur, qui sais compter comme moi, nous serons d’accord sur le fait qu’il en manque donc 21 à l’appel. Ces 21, nous les importons de pays qui produisent trop de gasoil pour leur consommation importante. En retour, nous exportons « ailleurs » les quasi-10 millions de tonnes d’essence que nous sortons des raffineries françaises et qui ne nous servent à rien (nous sortons 17 millions de tonnes des raffineries pour une consommation intérieure d’environ 8 millions de tonnes), à savoir dans des pays qui ne produisent pas assez d’essence chez eux, pour exactement la même raison que celle qui vient d’être décortiquée pour « chez nous » (écart entre les sorties de raffinerie et la demande intérieure). Évidemment, au plan mondial, il faut bien que cela boucle !
Bref, qu’ils viennent de chez nous ou d’ailleurs, nous consommons des produits raffinés et non du brut, qui sont détaillés ci-dessous depuis 1979.
Détail des produits pétroliers consommés en France depuis 1979.
On retrouve les différentes catégories de produits sortis de raffinerie, avec les évolutions suivantes :
- La consommation d’essence a été divisée par 2 en 30 ans,
- Dans le même temps la consommation de gazole multipliée par 3,5 environ, et celle de carburéacteur par plus de 2,
- Le fioul domestique s’est contracté de plus d’un facteur 2, au profit de l’électricité et du gaz,
Source Chiffres Clé de l’Énergie pour 2009, Service de l’Observation et des Statistiques (Commissariat Général au Développement Durable), 2010
Et demain ?
Ah pétrole, précieux pétrole, toi qui me plais tant, ne me quitte pas ! Car c’est bien là le risque majeur, en particulier pour nous autres européens :
- nous sommes arrivés, ou serons bientôt, au pic de production mondial des carburants liquides,
- pour l’Europe il est vraisemblable que nous ayons déjà passé le pic de la « disponibilité sur le sol européen », qui agrège production domestique (qui a passé son pic en 2000) et importations possibles (qui sont passées par un maximum quand la production mondiale de liquides s’est stabilisée, en 2005). A partir de maintenant un nombre croissant d’automobilistes ou d’aspirants-automobilistes va devoir faire avec un pétrole disponible en quantités décroissantes (et donc, si nous restons dans une économie de marché, des variations de prix un peu erratiques)
- l’utilisation de ce précieux liquide engendre des émissions de CO2 qui perturbent le système climatique, avec des effets différés qui s’appliqueront à plein quand le pétrole sera bien moins disponible qu’aujourd’hui.
Il va donc falloir penser un monde où la mobilité, après deux siècles où elle a coûté de moins en moins cher, devrait suivre une forme de chemin inverse, aucun des substituts généralement avancés pour « remplacer le pétrole » (agrocarburants, liquéfaction du charbon ou du gaz, voiture électrique, etc) n’étant à même de prendre le relais en prix et en volume. Nous allons donc vivre une époque intéressante…