Chronique parue dans L’Express du 31 mai 2020.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, sera « pas évident » pour le lecteur.
S’il est une expression concernant l’énergie utilisée en France que nous avons tous entendu une fois ou presque, c’est que notre pays est « tout nucléaire ». Est-ce que cela signifie que nous n’utilisons que l’énergie de l’atome dans notre pays ?
Il y a certes un peu de vrai dans cette expression. De fait, l’atome est dominant dans notre production électrique : 72% en 2018, devant une hydroélectricité qui pèse 11%, du thermique à flamme (gaz et charbon) pour 9%, 5% pour le vent et 2% pour le solaire. Pour autant, nous ne détenons pas le record du monde de la quantité d’électricité nucléaire consommée par personne : cette palme est détenue par… la Suède ! Ce pays a en effet une part du nucléaire qui ne représente qu’une petite moitié (42%) de sa production, mais la consommation électrique par habitant est presque le double de ce qu’elle est en France.
Mais nous n’utilisons pas que de l’électricité dans notre pays ! Pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire (la douche, quoi) de nos logements et nos lieux de travail, nous utilisons 3 fois plus de pétrole et de gaz que d’électricité, et donc 4 fois moins de nucléaire que de fossiles dans ce secteur là. Le radiateur électrique tant décrié ne fournit pas, et loin s’en faut, la majorité des calories utilisées l’hiver !
Pour les transports, la SNCF a beau être – en année normale – le plus gros consommateur unitaire d’électricité dans notre pays, c’est néanmoins le pétrole qui domine de la tête et des épaules : il s’en consomme 40 fois plus que des électrons quand il s’agit de déplacer nos carcasses ou des marchandises.
Les machines industrielles, elles, préfèrent l’électricité, mais d’une courte tête devant le gaz, car il y a souvent besoin de chaleur pour travailler métaux, plastiques, ou produits chimiques. Arrivent ensuite les produits pétroliers, et enfin les combustibles dérivés du charbon. Mais au final l’ensemble « fossile » pèse 30% plus lourd que l’électricité, et donc 80% de plus que le seul nucléaire.
Enfin l’agriculture, modeste utilisateur de kWh dans l’absolu, utilise certes un peu d’électricité pour les trayeuses, la réfrigération, ou d’autres engins qui se branchent sur une prise, mais le pétrole y est 4 fois plus utilisé que le courant, tracteurs et machinisme oblige.
Si nous regardons notre pays dans sa globalité, les deux tiers de la nourriture pour machines – ce que l’on appelle l’énergie finale – proviennent des combustibles fossiles (dont près de 40% pour le seul pétrole), alors que le nucléaire ne représente que 20% des kWh utilisés par nos esclaves mécaniques des temps modernes. Même le gaz arrive avant, avec 22% de cet ensemble.
Il n’en reste pas moins que ce nucléaire joue un rôle important pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre : s’il devait être remplacé en totalité par du charbon, les émissions françaises de CO2 doubleraient, et s’il devait être remplacé en totalité par du gaz, elles augmenteraient quasiment de moitié. Même un ensemble 50% ENR et 50% gaz les augmenterait d’un quart, alors que ces émissions doivent désormais être divisées par 7 d’ici à 2050 (ce qui fait 6% de baisse par an, soit ce que nous allons avoir en 2020), aux termes de la loi sur la neutralité adoptée en novembre 2019.
Symétriquement, le nucléaire ne pèse rien dans nos émissions de CO2, qui proviennent aux 2/3 du pétrole, pour un quart du gaz, le charbon fournissant le petit 10% de solde.
Si nous devions retenir une expression pour caractériser l’énergie utilisée par les machines de notre pays, « tout fossile » serait donc une bien meilleure approximation de la réalité que « tout nucléaire ». L’atome, c’est l’élément absorbant de nos débats sur l’énergie : dès qu’on l’évoque, le reste n’existe plus !
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de cet article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec la chronique, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Part du nucléaire dans la production électrique en 2018 pour les pays qui arrivent en tête du classement. Données BP Statistical Review.
kWh nucléaires par personne en 2018 pour les pays qui arrivent en tête du classement. On voit que la Suède arrive devant la France : c’est dans ce pays que le nucléaire fournit le plus de kWh électriques par personne, et non chez nous ! Données BP Statistical Review.
Consommation d’énergie finale en France en 2018. On voit très bien que ce qui provient des combustibles fossiles représente bien plus que ce qui vient du nucléaire, et ce quelque soit le secteur d’utilisation de l’énergie (donc quel que soit le secteur où se trouvent les machines qui utilisent l’énergie).
Données CGEDD + divers ; retraitement Carbone 4.
Répartition des émissions de CO2 fossile en France par type de combustible en 2018. Calcul de l’auteur sur base de données BP Statistical Review.
On voit clairement que le premier problème de notre pays sur ce plan là c’est le pétrole, pas le nucléaire !