Le pétrole n’a pas l’apanage des idées simples… et fausses. De même qu’exploiter un champ de pétrole est un poil plus compliqué qu’ouvrir un robinet dans un réservoir, exploiter un champ de gaz – qui au demeurant est souvent le même qu’un champ de pétrole – n’est pas une affaire aussi simple qu’il y paraît.
Chercher
Le début de l’histoire, pour le gaz, est exactement la même que pour le pétrole : il faut chercher. Et comme pétrole et gaz se sont formés au cours du même processus, assez logiquement la prospection se passe dans les mêmes endroits : des bassins sédimentaires, qui ont autrefois été recouverts par de océans dans lesquels de petites bêtes ont vécu une vie heureuse (enfin j’espère) jusqu’à ce qu’une infime fraction d’entre elles finissent par se transformer en pétrole et gaz. Longtemps, du reste, la recherche du gaz n’a pas été un but en soi, mais une découverte non désirée au cours d’une prospection pétrolière. Si le gaz était associé au pétrole (voir plus bas), avec des infrastructures pour l’évacuer vers un client, il s’agissait d’un sous-produit intéressant (ce gaz peut aussi être réinjecté dans le réservoir pour améliorer l’extraction du pétrole).
Mais en cas de découverte d’un réservoir de gaz seul (« gas sec ») au milieu de nulle part, les pétroliers considéraient avoir perdu leur argent, car il était impossible d’acheminer et de vendre ce gaz à des prix voisins de ceux du pétrole par unité d’énergie.
Comme la prospection pour le gaz se passe aux mêmes endroits que pour le pétrole, avec les mêmes méthodes, j’espère que le lecteur ne m’en voudra pas de le renvoyer à la page ad hoc pour le début de l’histoire. Nous la reprenons ci-dessous au moment où nous avons trouvé quelque chose.
Eurêka (enfin presque)
Nous voici donc avec l’opérateur qui a trouvé « quelque chose » contenant du gaz. Et, surprise, un gisement de gaz est très souvent… un gisement de pétrole !
Représentation schématique des trois configurations possibles pour un « réservoir » de gaz
Un « réservoir » de gaz est en fait une roche plus ou moins poreuse et perméable contenant du pétrole, de l’eau et du gaz.
Dans le cas ci-dessus la roche contient à la fois de l’eau, du pétrole et du gaz, ce dernier étant pour partie dissous dans le pétrole (associated gas) et pour partie présent sous forme « libre » (« dome gas »).
Le terme « associated gas » désigne le fait que le pétrole ramené à la surface contiendra du gaz dissous, et les deux composantes devront être séparées dans des installations de surface.
Cette configuration arrive quand la quantité de gaz présente dans le gisement excède ce qui peut se dissoudre dans le pétrole à la température et la pression considérée.
Le terme « liquids » en haut à gauche fait référence aux « liquides de gaz », qui sont des hydrocarbures légers qui font partie du gaz au moment de l’extraction, mais qui vont condenser quand elles seront ramenées à la surface (voir plus bas).
Dans le cas ci-dessus la roche-réservoir contient aussi de l’eau, du pétrole et du gaz, mais ce dernier est présent en moins grandes proportions et il est en totalité dissous dans le pétrole (associated gas).
Dans ce dernier cas le gisement de gaz est « sec » : il n’y a pas de pétrole dans la roche, juste du gaz et… de l’eau, malgré le terme employé.
Le gaz n’est donc pas dissous (« associated« ) dans du pétrole.
Les exploitations conjointes de gaz et de pétrole sont donc très fréquentes.
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008
Ce gaz présent dans le gisement, il contient bien sûr essentiellement du méthane, son principal constituant, mais pas seulement : sont aussi présents des molécules carbonées un peu plus longues (de 2 à 5 atomes de carbone pour l’essentiel) et des gaz divers qui ne sont pas des hydrocarbures (CO2, H2S, azote…). C’est normal : le gaz étant, comme le pétrole, un résidu de vie ancienne ayant migré dans le sous-sol, le gisement peut contenir tous les éléments qui étaient présent dans le plancton initial ou qui ont été entraînés par le gaz et le pétrole pendant leur migration primaire.
Composition du gaz issu d’un gisement.
Les hydrocarbures vont du méthane (C1 = 1 atome de carbone) au pentane (C5 = 5 atomes de carbone) et plus.
Le gaz commercialisé contiendra essentiellement du méthane presque pur (auquel on ajoute un peu de mercaptan pour que cela sente mauvais et que l’on puisse détecter les fuites !).
Le propane et les molécules plus lourdes sont parfois appelées Natural Gas Liquids (car une partie condense en arrivant en surface). Ces « liquides » sont séparés du méthane dans une unité de traitement qui se trouve après la sortie de puits, et parfois vendus sous les appellations de GPL (propane et butane). Ces mêmes molécules sont aussi appelées « condensats de gaz » dans le jargon du métier (car elles condensent en sortie de puits).
On notera que l’hélium est un sous-produit de la production de gaz, ce qui rendra impossible de remplacer les avions par des dirigeables gonflés à l’hélium quand il n’y aura plus d’hydrocarbures !
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008
Une fois le contenu du gisement caractérisé, il faut faire comme avec le pétrole : un puits « grandeur nature » pour tester le débit, et seulement après l’exploitation proprement dite commence. Cette dernière consiste à extraire, traiter sur place, transporter, distribuer.
Extraire
Extraire du gaz, c’est au fond assez simple : on décompresse. Enfin l’ouvrier qui bosse sur le gisement je ne sais pas, mais le gaz si : le gaz présent dans le gisement est sous pression, même s’il est dissous dans du pétrole, et le fait de laisser le gisement communiquer avec la surface (par le biais du puits) fait remonter le gaz sous l’effet de la pression, bien plus forte dans le gisement qu’à l’air libre. La faible densité du gaz fait que la colonne qui va du gisement vers la surface n’exerce pas une pression importante au regard de celle qui règne dans le gisement.
Et pour exactement la même raison, le taux de récupération moyen du gaz dans un gisement est bien plus proche de 80% que de 35% (cas du pétrole). Seuls les gisements de gaz non conventionnels échappent à cette règle. Dit encore autrement, pour le gaz conventionnel, la différence entre le gaz en place et les réserves ultimes n’est que 20% à 25%.
Taux de récupération de la ressource en terre pour les champs de gaz (de gaz seul, sans pétrole dans la poche) contenant plus de 30 milliards de pieds cubes (environ 1 milliard de mètres cubes).
Il est facile de constater que le taux de récupération est bien plus élevé que pour le pétrole.
Source : Jean Laherrère, 1998
Cette « facilité » à extraire le gaz présent a un revers : pas de bonne surprise possible ! En effet, pour le pétrole, une astuce technique permettant d’augmenter le taux de récupération de 1% (passant de 33% à 34% par exemple) permet de gagner 3% sur le pétrole extrait. Avec le gaz, outre que les possibilités techniques de recréer de la pression dans un réservoir à peu près totalement vidé ne sont pas simples, gagner 1% sur le taux permet de gagner… 1% sur la quantité extraite.
Comme pour le pétrole, pour maintenir une production constante un opérateur doit en permanence développer de nouveaux projets, puisque ceux en production ont tendance à fournir une quantité de gaz décroissante au cours du temps.
Traiter
Comme nous l’avons vu plus haut, le gaz extrait du gisement ne contient pas que du méthane. Il comporte aussi des molécules que le producteur n’a que modérément envie d’envoyer dans le gazoduc en sortie de champ (et encore moins dans le terminal de liquéfaction si c’est le cas !) :
- des molécules qui sont liquides une fois sous forte pression (les condensats), qui ont une valeur économique élevée et qui par ailleurs gêneraient le transport du gaz stricto sensu dans un gazoduc ; ces molécules sont donc séparées du reste en tête de puits puis transportées sous forme liquide,
- de la vapeur d’eau et du CO2, or ce mélange est corrosif : le CO2 dissout dans l’eau donne de l’acide carbonique, qui attaque les canalisations (cette acidification de l’eau quand elle absorbe du CO2 est aussi en train de se produire à grande échelle dans un autre contexte, celui du changement climatique global). Il faut donc enlever eau et CO2 du gaz,
- des gaz sans contenu énergétique (azote et à nouveau CO2), et que l’on ne va pas s’amuser à transporter à grands frais pour ne rien en faire à l’arrivée, non mais !
- des gaz ou produits toxiques ou incommodants (mercure, H2S, etc), qui sont aussi enlevés,
- des sous-produits non combustibles à forte valeur commerciale (hélium) qui sont parfois isolés sur place.
Séparer tous les constituants du gaz coûte quelques cents (jusqu’à 25) par million de BTU (ah ces anglo-saxons et leurs unités de mesure bizarres !).
Un million de BTU ≈ 1 GJ ≈ 280 kWh.
La totalité des opérations effectuées sur le gisement (et regroupés dans ce que l’on appelle les coûts de production) se montera elle de 0,2 à 4 dollars par MBTU.
Gammes de coûts de production du gaz, en dollars par million de British Thermal Units (ah ces anglo-saxons !) ou MBTU en abrégé.
Une British Thermal Unit ≈ 1000 joules ;
un MBTU ≈ 1 GJ ou encore 290 kWh.
1,5 dollar par MBTU, cela représente environ 0,5 cents par kWh (ou 0,4 centime d’euro par kWh).
Le traitement du gaz en sortie de puits (séparation des condensats et du gaz, etc) représente donc 5 à 25 cents par MBTU, soit environ 10% de l’ensemble.
Pour obtenir le prix en dollars par baril équivalent pétrole, il faut multiplier par 5,5 le prix en dollars par MBTU. Cela signifie que que pour la production de gaz à terre au Moyen Orient (MEast Onshore, barre du bas) nous sommes à 2,5 dollars par baril équivalent pétrole, ce qui est du même ordre de grandeur que pour le pétrole.
Pour obtenir le prix en euros par MWh, il faut multiplier les prix en $ par MBTU par un peu moins de 3.
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008
Transporter
Le gaz a un inconvénient : il est gazeux. De ce fait, à température et pression ambiante, il y a mille fois moins d’énergie dans un mètre cube de gaz que dans un mètre cube de pétrole. Et à cause de cette caractéristique physique difficilement modifiable, le transport du gaz est une opération plus coûteuse et compliquée que le transport du pétrole.
La manière la moins onéreuse de transporter du gaz lorsque la distance n’est pas trop élevée est par gazoduc : cela coûte alors moins de 1 dollar par MBTU (voir la définition du MBTU ci-dessus).
Puis se sont développées des techniques de transport par méthanier sous forme liquide, dont le principe général est décrit dans le graphique ci-dessous.
Représentation schématique d’une chaîne de transport du gaz par liquéfaction.
L’usine de liquéfaction coûte typiquement 1 milliard de dollars, et celle de re-gazéification un demi-milliard de dollars.
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008
Dans tous les cas de figure, les coûts de production deviennent rapidement inférieurs aux coûts de transport dès que la distance est importante. Le gaz s’est donc structuré sous forme d’une juxtaposition de marchés régionaux (essentiellement Amérique, Eurasie, Afrique du Nord-Europe).
Coûts indicatifs d’extraction et de transport de diverses énergies fossiles, en cents (de $) par kWh.
La valeur « transport 4000 km » pour le charbon suppose du fret international par voie maritime, et la valeur « fret terrestre 2000 km » est pour du fret ferroviaire. Le prix du transport pour le charbon peut aussi inclure de la manutention portuaire ou terrestre qui n’est pas mentionnée ici.
On voit que le pétrole est l’énergie qui coûte le moins cher à transporter (et à extraire pour les vieux gisements géants du Golfe Persique), ce qui est aussi vrai pour le charbon s’il n’effectue qu’un trajet maritime.
Sources diverses
Ordres de grandeur du coûts de transport de différentes énergies, en dollars par million de British Thermal Units (ah ces anglo-saxons !), en fonction de la longueur du trajet en km (en abcisse, attention les intervalles de distance ne sont pas constants !).
Un million de BTP ≈ un gigajoule ≈ 280 kWh.
Pour obtenir les valeurs en euros par MWh il faut multiplier par 3 les valeurs en dollars par MBTU.
Pipe = gazoduc ;
LNG = Liquefied Natural Gas (transport par méthanier après liquéfaction ; cf plus haut).
On voit facilement que le coût du transport du gaz, par unité d’énergie, est 5 à 10 fois plus élevé que le coût du transport du pétrole ou du fret maritime pour le charbon.
Sources : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008 & Jean Teissié, 2001
Aujourd’hui, le transport par méthanier représente un peu moins de 30% du total des échanges longue distance.
Part de chaque moyen de transport dans le commerce mondial du gaz, en milliards de mètres cubes par an.
En 2011 la consommation mondiale de gaz était de l’ordre de 3200 milliards de mètres cubes (soit 32 000 TWh ou 2,9 milliards de tonnes équivalent pétrole).
Les échanges mondiaux de gaz étaient de l’ordre de 1000 milliards de mètres cubes en 2011, avec une part du GNL de 10% de la consommation mondiale environ, et 30% du commerce mondial.
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008
Comme cela est indiqué plus haut, la chaîne de liquéfaction engendre des coûts de transports d’au moins 2$ par MBTU (et souvent 3 à 4), qui s’ajoutent aux coûts de production. De ce fait, si pour n’importe quelle raison le cours du gaz devient inférieur à 3$ par MBTU (ce qui revient à dire que la production locale ou régionale et transportée par gazoduc peut être fournie à ce prix là) alors les installations prévues pour accueillir des méthaniers peuvent ne pas avoir beaucoup de travail…. ce qui a été le cas aux USA à cause de l’essor du gaz non conventionnel.
Évolutions respectives, depuis 1984, des prix spot du gaz pour plusieurs places de marché et du pétrole, le tout en dollars par million de BTU.
(le prix spot est le prix d’achat immédiat).
(1 million de BTU ≈ 0,3 MWh)
(CIF signifie Charged Insurance and Freight ; c’est le coût complet du combustible parvenu à destination avec manutention, fret et assurance).
LNG Japan = prix d’importation du gaz liquefié au Japon
European Union cif = prix d’achat moyen en Europe
Henry Hub & Alberta = places de marché aux Etats-Unis
Sans que la corrélation soit absolument impeccable, en tendance elle semble bien établie, sauf pour le gaz aux USA (Henry Hub & Alberta) pour les années récentes, ce qui vient de la production significative de gaz non conventionnels dans cette zone.
On note aussi que les prix ramenés au contenu énergétique sont voisins pour pétrole et gaz (sauf pour les USA récemment, bis), ce qui s’explique probablement par des effets de substitution (voir plus bas).
Source : BP Statistical Review, 2015
Stocker
Dans la majeure partie des pays de destination, qui sont des pays des moyennes latitudes, une partie du gaz est utilisée pour du chauffage, donc de manière saisonnière. La réponse la plus évidente serait de demander aux producteurs de la flexibilité dans la fourniture, mais cela ne correspond pas à leur mode de gestion des gisements. De ce fait un contrat d’approvisionnement prévoit généralement des débits faiblement variables au cours de l’année, et le consommateur fait son affaire de la variation de sa consommation.
Il faut donc prévoir des installations de stockage dans le pays consommateur pour passer d’un approvisionnement constant à une consommation saisonnalisée.
Représentation de la consommation d’énergie et des possibilités de production de gaz par les pays producteurs au cours de l’année.
Ces courbes illustrent respectivement, en fonction du temps (axe horizontal) :
- la fourniture du pays producteur, quasi-constante dans le temps, à un niveau donné de MWh par jour (elle peut être un peu déplacée, en la plaçant pour une large partie de l’année sur un niveau un peu différent ; c’est la droite grise en face de l’intitulé « flexibilité possible de la fourniture »)
- le profil de consommation d’un pays consommateur typique des moyennes latitudes (en bleu). Quand l’hiver est froid cela donne la courbe rouge sur la première partie de l’année,
- En hiver, la fourniture externe n’est pas suffisante pour assurer la consommation, et il faut donc mettre en oeuvre un stockage intermédiaire dans le pays de consommation. Le volume à stocker est le cumul de la différence entre l’approvisionnement externe et la consommation, et correspond à l’aire rose. Ce type de stockage demande des capacités importantes, mais pas nécessairement un débit majeur.
- Si, lors d’un épisode froid, il y a un pic de la demande (en vert), à ce moment là il faut pouvoir disposer d’un surplus de gaz, avec un débit important mais sur une durée faible. Le type de stockage correspondant est alors très différent du premier.
Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008
Les dispositifs de stockage sont adaptés à l’usage : pour des gros volumes et des débits pas trop importants, le stockage est généralement souterrain (réservoirs de gaz épuisés, cavernes dans un dôme de sel, grotte étanche….). Par contre, pour les appels de débit importants mais sur de courtes périodes, les dispositifs sont généralement des installations de surface faites de cuves et de tuyaux !
Consommer
Et puis une fois arrivé chez le consommateur, le gaz est consommé, donc… brûlé, sauf pour la petite partie qui va servir à de la chimie. Tout ces milliards pour avoir une flamme, pourrait-on dire…
Schéma récapitulatif de l’exploitation gazière.
« Flared gas » désigne le gaz brûlé sur le site quand ce gaz ne peut ni être économiquement acheminé vers des consommateurs possibles, ni être réinjecté pour augmenter la production de pétrole en cas de gisement mixte.
Le gaz qui sert à ce deuxième usage est appelé « re-injected gas« .
Auteur : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs associés, 2008