A quoi sert le charbon ? Mais à faire avancer des trains ! Certes il ne sert pas qu’à cela, mais cette entrée en matière n’est qu’à moitié une boutade, car les trois usages dominants du charbon, dans le monde, sont par ordre d’importance :
- la production d’électricité (2/3 du charbon consommé dans le monde), laquelle électricité sert à plein de choses… dont faire avancer des trains,
- la production d’acier (environ 7% du charbon consommé dans le monde), lequel acier est un poil utilisé pour faire des wagons, des locomotives, des rails, et des ferrailles à béton pour les gares et les ouvrages d’art des voies,
- la production de ciment (4% du charbon consommé dans le monde), qui est aussi utilisé pour faire des gares et ouvrages d’art.
Et comme le train c’est écologique, le charbon l’est aussi ! Ou bien j’ai raté une marche ?
Répartition par usage du charbon consommé dans le monde en 2007.
Les usages résidentiels désignent le chauffage (soit individuel, soit pour des réseaux de chauffage urbain, qui utilisent facilement ce combustible dans les pays charbonniers).
Source : AIE, 2009
Evolution de la consommation de charbon par usage, de 1971 à 2007, en millions de tonnes équivalent pétrole.
La consommation pour la production électrique a quasiment quadruplé sur la période.
Source : AIE 2009
Plus sérieusement, ces trois usages dominants du charbon font que, contrairement à une idée reçue, le charbon n’est pas seulement une énergie des pays « pauvres » ou « émergents », mais aussi… une énergie des pays dits riches, car ces derniers possèdent aussi des centrales électriques à charbon et des aciéries. Avant de rentrer dans les détails, un panorama sur les émissions des USA, désormais « seulement » deuxième émetteur de gaz à effet de serre au monde, le montrera mieux que de longs discours.
Répartition par secteur et par énergie des émissions de gaz à effet de serre aux USA.
Pour la production électrique, l’essentiel des émissions vient du charbon, qui est à l’origine de 50% de la production du pays. Les USA, pourtant premier consommateur mondial de pétrole avec 22% du total à eux seuls (lequel pétrole va à 70% dans les transports dans ce pays) émettent presque autant avec leur charbon qu’avec leur pétrole.
Source : U.S. Environmental Protection Agency, Inventory of US greenhouse gases emissions and sinks, 1990-2005
Répartition par type de consommateur des émissions « allouées à la consommation finale ».
« Commercial » désigne les bâtiments hébergeant des activités tertiaires (commerces, bureaux, et par extension services publics ou privés divers).
Sachant que l’électricité émet essentiellement à cause du charbon, et que les émissions liées à l’électricité l’emportent sur les émissions du chauffage pour les bâtiments, ces derniers sont indirectement plus consommateurs de charbon que de pétrole ou de gaz !
Source : U.S. Environmental Protection Agency, Inventory of US greenhouse gases emissions and sinks, 1990-2005
Les USA ne sont pas le seul pays industrialisé à consommer du charbon significativement : parmi les 25 premiers consommateurs de charbon par personne se trouvent un bon paquet de pays de l’OCDE !
Consommation d’énergie primaire par personne et par an en 2012, en tonnes équivalent pétrole, pour les 25 premiers consommateurs de charbon par personne dans le monde.
Une bonne partie des pays de ce graphique sont des « vieux pays industrialisés ». Notons que l’Inde ne figure pas dans ce classement ; un Indien consomme à peu près autant de charbon (par personne)… qu’un Italien ! Et un Chinois consomme moins de charbon qu’un Polonais ou un Tchèque, et moins qu’un Australien ou un Américain
Source : BP Statistical Review 2013 pour les consommations par pays ; Population Division of the Department of Economic and Social Affairs of the United Nations Secretariat pour la population ; calcul de l’auteur
Cela étant, après la consommation par personne (représentative du niveau de « richesse »), vient la loi du plus nombreux qui fait que, ces dernières années, l’augmentation spectaculaire de la consommation de charbon dans le monde a surtout été le fait de la Chine.
Evolution de la consommation mondiale de charbon depuis 1965, en millions de tonnes équivalent pétrole.
Le plus gros consommateur du début de la période était la Russie (qui détient par ailleurs les deuxièmes réserves au monde). Puis les USA sont passés en tête, puis la Chine, qui représentait la moitié de la consommation mondiale à elle seule en 2012.
Source : BP Statistical Review, 2013
Charbon et charbon
Le charbon a certes moins d’utilisations possibles qu’un couteau suisse, puisqu’il sert essentiellement à produire de l’électricité, de l’acier, du ciment, mais cette maigre diversité des usages suffit pourtant à discriminer fortement les qualités de charbon, car… il y a diverses qualités de charbon, exactement comme il y a diverses qualités de pétrole, et on ne peut pas faire n’importe quoi avec n’importe quelle qualité de charbon. Pour le pétrole, les pétroliers ont « inventé » une unité de mesure qui est le degré API, et pour le charbon il s’agit plus simplement de la teneur en carbone.
Nomenclature des différents types de charbon, avec la part dans les réserves mondiales et les usages possibles.
Source : IFP Panorama, 2010
Et si le charbon ne contient pas que du carbone, que contient-il d’autre ? Eh bien il contient… tout ce qui était présent dans les fougères du Carbonifère qui lui ont donné naissance, moins la fraction du méthane qui s’est échappé pendant sa formation. Cet inventaire à la Prévert inclut de l’eau, sous forme libre (elle s’évapore à température ambiante) et sous forme « liée » (elle ne s’évapore que si le charbon est fortement chauffé), des composés non combustibles qui fourniront les futures cendres (et que l’on appelle donc des cendres, comme quoi le français est parfois une langue pragmatique), et des matières volatiles, c’est-à-dire des gaz qui se sont adsorbés sur le charbon pendant sa formation, et dont certaines sont combustibles et d’autres non.
Composition des charbons
Lignite | Sub-bitumineux | Bitumineux | Anthracite | |
---|---|---|---|---|
Humidité du charbon brut | 25-50 % | 14-25 % | 5-10 % | 1-6 % |
Pouvoir calorifique (PCI) du charbon partiellement séché avant enfournement (air dry) en kcal/kg | 3500 - 4500 | 4500 – 6500 | 6500 – 7800 | 7800 – 8600 |
Idem en MJ/kg | 15 à 19 | 19 à 27 | 27 à 33 | 33 à 36 |
Idem en kWh/kg | 4 à 5,2 | 5,2 à 7,5 | 7,5 à 9,1 | 9,1 à 10 |
Composition moyenne | ||||
Eau résiduelle | 19% | 10% | 4% | 2% |
Matières volatiles | 40% | 38% | 25% | 8% |
Teneur en cendres | 30% | 25% | 15% | 5% |
Carbone et hydrates de carbone (combustibles) | 20% | 30% | 56% | 86% |
Composition typique d’un bon charbon vapeur
Composition hors cendres | Composition des cendres | Volatiles | ||
---|---|---|---|---|
Carbone | 73,50% | SiO2 | 48,10% | CO2 |
Hydrogène | 4,10% | AL2O3 | 30,10% | CH4 |
Azote | 1,70% | TiO2 | 1,10% | H2O |
Chlore | 0,17% | Fe2O3 | 6,30% | H2 |
Soufre | 0,59% | CaO | 10,40% | Ar |
Oxygène | 7,00% | MgO | 2,10% | |
K2O | 0,70% | |||
Na2O | 0,40% | |||
P2O5 | 0,40% |
Cette teneur en carbone conditionne avant tout la discrimination entre charbon à coke et charbon vapeur :
- pour produire de l’acier il faut d’abord produire du coke, qui est du carbone presque pur, et pour cela il faut des charbons à haute teneur en carbone,
- pour produire de l’électricité on peut brûler un peu n’importe quoi.
Mais… « brûler n’importe quoi » signifie juste que la centrale prendra son parti de ce qui lui sera donné : il faut alors tenir compte d’une autre contrainte, qui est que plus on va de l’anthracite vers la lignite, et moins le contenu énergétique par unité de poids est élevé. L’anthracite fournit environ 10 kWh par kg, la lignite moitié moins une fois sèche (elle contient plus d’eau, plus de cendres, plus de matières à faible contenu énergétique, etc). De ce fait, utiliser de la lignite pour produire de l’électricité ne peut se faire qu’avec la centrale sur le carreau de la mine : si la lignite doit parcourir de grandes distances entre la centrale et la mine, les coûts de transport deviennent prohibitifs, qu’ils soient vus sous l’angle énergétique ou l’angle économique.
Cette règle est aussi vraie pour le transport par route du charbon vapeur, qui ne peut être transporté de manière rentable sur de grandes distances que par bateau ou train. Cela explique (avec les besoins de refroidissement) que nombre de centrales électriques au charbon soient justement situées à côté d’un port. Aux USA, le transport ferroviaire du charbon est l’une des raisons pour lesquelles le fer maintient une bonne part modale dans les transports de marchandises !
Charbon et électrons
La première utilisation du charbon, donc, est de faire tourner des centrales électriques. Une centrale électrique au charbon, c’est… une grosse machine à vapeur ! En effet, la chaleur dégagée par la combustion du charbon sert à produire de la vapeur qui fera tourner une turbine. C’est exactement le même principe qui est utilisé dans une centrale à gaz, à fioul lourd, ou… nucléaire. 85% de la production électrique mondiale est donc effectuée avec des grosses bouilloires, qui ont toutes, la faute à Carnot, aussi besoin d’une source froide.
Schéma de principe d’une centrale électrique au charbon.
L’évacuation des cendres n’est pas représentée sur ce schéma.
Source : Bertrand Barré
Ceci expliquant cela, quand vous montrez un aéroréfrigérant à un français, il pense « nucléaire », mais si vous en montrez un à un américain, il pensera « charbon ». Et en 2003, quand la presse française soulignait la surchauffe des centrales nucléaires, elle aurait tout aussi bien pu souligner celle des centrales à charbon, qui ont eu exactement le même problème…
Ces aéroréfrigérants évoquent nécessairement une centrale nucléaire pour un Français….
… et voici une centrale à charbon, avec les mêmes aéroréfrigérants !
La différence entre nucléaire et charbon ne se voit pas dans le dispositif de refroidissement, mais dans l’existence ou non d’une cheminée (pour le charbon), bien visible ici en double exemplaire au centre.
Par contre les centrales à charbon ont une spécificité : elles produisent des grandes quantités de cendres. Une centrale de 500 MW, fonctionnant 8000 heures dans l’année, produira donc 4 TWh dans l’année (4 TWh = 4 milliards de kWh ; 4 millions de MWh) et si elle utilise du charbon bitumineux (8 MWh de chaleur par tonne ; environ 3 MWh d’électricité par tonne), il faudra :
- acheminer 1,3 million de tonnes de charbon,
- évacuer 200.000 tonnes de cendres (soit 50 grammes par kWh). Le plus souvent, ces cendres sont utilisées comme matériau de construction de remblai dans les travaux publics.
Avec de la lignite (4 MWh de chaleur par tonne ; environ 1,3 MWh d’électricité par tonne), il faudra :
- acheminer 2,5 million de tonnes de lignite,
- évacuer 750.000 tonnes de cendres (soit 120 grammes par kWh).
Et dans un cas comme dans l’autre, il faut des mineurs, dont quelques milliers meurent chaque année (les chiffres varient selon les sources, et il est probable que les statistiques fiables pour les mines chinoises – 45% de la production mondiale – soient difficile à établir). Si nous admettons que 10 000 mineurs succombent annuellement, avec 2/3 du charbon servant à l’électricité et une production électrique de 8000 TWh (voir plus bas), cela donne en moyenne mondiale 0,7 mort par TWh. Une centrale de 500 MW produisant 4 TWh dans l’année, cela fait donc 3 morts par centrale et par an environ.
Qu’elle soit produite avec du charbon ou du nucléaire, il se trouve que l’électricité, nous aimons beaucoup cela. Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la consommation électrique planétaire est passée de 500 à 20.000 TWh, soit une multiplication par 40. La consommation électrique moyenne par terrien est passée de 400 à 2900 kWh par personne et par an environ, ce qui en fait l’énergie finale qui a progressé le plus vite sur cette période.
Evolution de la consommation d’électricité mondiale depuis 1945, en TWh.
Source : AIE, World Energy outlook, 2009.
Sur la simple période qui va de 1973 à 2007, la production électrique au charbon a plus que triplé, et si nucléaire et gaz ont crû plus vite en proportion, en valeur absolue c’est bien le charbon qui a fourni la hausse la plus importante, avec à la clé une forte hausse des émissions de CO2 associées.
Evolution de la production d’électricité mondiale entre 1973 et 2007, par nature d’énergie primaire.
Le charbon représente environ 40% de l’ensemble depuis de nombreuses décennies. On notera que le pétrole a fortement diminué en part relative, mais pas tant que cela en valeur absolue.
Source : AIE, key energy statistics, 2009.
Emissions de CO2, en milliards de tonnes, liées à la production électrique à base de combustibles fossiles.
Charbon en marron
Gaz en mauve
Pétrole en rouge
Avec 40% de la production mondiale d’électricité, le charbon représente plus de 8 milliards de tonnes de CO2 par an, soit environ 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre toutes causes confondues.
Source : AIE, World Energy Outlook, 2009
La conséquence de ce recours au charbon pour produire 40% de l’électricité mondiale est que les émissions de CO2 issues des seules centrales électriques à charbon représentent plus que ce qui sort de tous les pots d’échappement du monde…
Répartition des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2004, toutes causes confondues.
Les émissions des seules centrales électriques à charbon représentent plus que la totalité des moyens de transports utilisés sur Terre. La calcination du calcaire est le procédé qui sert pour fabriquer du ciment (on porte du calcaire à plus de 1000 ° C, ce qui casse la molécule de CaCO3 et produit de la chaux vive – CaO – et du CO2).
Avec les émissions des combustibles utilisés pour cela, la production de ciment représente presque 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit la moitié des émissions des transports terrestres ou 2 fois celles des bateaux.
Compilation de l’auteur sur sources CDIAC (décarbonatation du calcaire – lime calcination), Houghton (déforestation), IPCC AR4, AIE, BP statistical review.
Et demain ? Un esprit naïf pourrait penser que, à l’heure où la lutte contre le changement climatique d’origine humaine est capable d’attirer les 2/3 des chefs d’état à une conférence internationale pour discuter des moyens d’action, la construction de centrales à charbon se ralentisse un peu. Que nenni !
Répartition par nature d’énergie primaire des capacités électriques en construction en 2007
(ces dernières sont exprimées en GW, non en nombre de centrales).
Pour fixer les idées, la puissance installée en France en nucléaire est de l’ordre de 50 GW (un réacteur nucléaire = 1 à 1,4 GW ; une tranche à charbon = 0,4 à 1 GW ; un grand barrage = 0,5 à quelques GW ; une grosse éolienne = 0,005 GW), et la puissance installée totale de l’ordre de 90 GW (mais les autres moyens sont utilisés beaucoup moins de temps dans l’année, en particulier les barrages).
Le charbon occupe la première place, suivi de peu par le gaz, mais les durées d’utilisation ne seront pas les mêmes (voir plus bas).
On notera que, en termes de puissance en cours de construction, l’éolien en construction représente un dixième des barrages en construction. Cette hiérarchie n’est pas vraiment celle de la pagination dans le journal !
Source : Platt’s World Electric Power Plant Database, décembre 2008, in World Energy Outlook, 2008, AIE
Répartition par zone des centrales électriques au charbon en cours de construction, en 2007, en GW de puissance installée.
La première place de la Chine est manifeste, mais les USA, pourtant les premiers consommateurs d’électricité au monde (20% de la production mondiale), parmi les premiers pour la consommation par habitant (dans les pays à plus de 5 millions d’habitants, seul le Canada est devant, et un Américain consomme presque 5 fois plus d’électricité qu’un Chinois), et avec une consommation par habitant en légère croissance (7% de plus de 1990 à 2009), continuent à en construire aussi.
Même l’Europe, avec ses ambitions fortes dans la baisse des émissions de gaz à effet de serre, construit encore du charbon !
Source : AIE, World Energy Outlook, 2009
Si le charbon occupe cette place dans la production électrique, ce n’est pas seulement parce que ses promoteurs sont habités par une violente envie de faire la nique à Greenpeace, c’est aussi à cause de la prépondérance de ce critère qui compte toujours par dessus tout les autres dans une économie dite libre : la fameuse « compétitivité ».
Coût prévisionnel de l’électricité, selon la zone, pour des unités construites aujourd’hui.
Chaque graphique compare une centrale à charbon « standard », un cycle combiné à gaz, une centrale à charbon avec séquestration, et une tranche nucléaire. Le coût de l’investissement (frais financiers inclus) et de l’exploitation hors combustible est figuré par la partie inférieure de chaque barre (en bleu), puis vient le coût du combustible (en violet), et les deux rectangles verts et jaunes entourés de pointillés donnent respectivement :
- le surcoût lié au « risque combustible » (hausse de prix de ce dernier pour cause de difficultés d’approvisionnement).
- le surcoût lié au « risque CO2 » (taxe ou achat de quotas à 30 euros la tonne de CO2).
Ces calculs ont été réalisés avec les hypothèses suivantes :
- Une durée de fonctionnement annuel de 7000 heures.
- Un coût du capital de 6% par an en Chine, 11% par an en Europe et 13% par an aux USA.
- Un charbon qui vaut 30 à 50 $ par tonne aux USA, 60 à 80 € par tonne en Europe, et 30 à 60 € par tonne en Chine
- Un gaz qui vaut 8 à 12 $ par million de BTU (un million de BTU = environ un GJ ou 300 kWh) quelle que soit la zone.
Pour information, le coût d’une centrale à charbon est de l’ordre de 1500 à 3000 $ par kW installé, c’est 2 à 3 fois moins pour une centrale à gaz et c’est un peu supérieur – de 2000 à 4000 $ – pour une centrale nucléaire, mais dans ce dernier cas la durée de construction est plus longue et donc les frais financiers – le « coût du capital » – plus élevés. Il est facile de voir que si aucune pénalité n’est imposée au CO2, et tant que le coût du charbon n’est pas prohibitif, c’est ce combustible qui permet d’avoir l’électricité au prix le plus bas en Chine et aux USA, alors qu’en Europe nous sommes plus proches d’une parité avec le nucléaire.
Même calcul que ci-dessus, mais pour une durée de fonctionnement de 5000 heures par an (semi-base). Hors coût du CO2, le charbon reste le plus compétitif aux USA et en Chine.
Comme les calculs ci-dessus sont faits avec une tonne de charbon qui se promène entre 30 et 100 dollars la tonne, l’une des questions qui peut venir à l’esprit est de se demander si ce prix est en rapport avec ce qui se constate actuellement. Il suffit de demander !
Coût de production à la tonne et coût FOB (Free On Board, donc une fois chargé sur le moyen de transport qui l’acheminera vers le client, mais hors coût du transport) en fonction de la zone de provenance.
Ces coûts sont ajustés à un contenu calorifique de 6000 kcal par kg de charbon.
Source : AIE, 2009
Nous voyons donc que ces hypothèses de coût ne sont pas complètement farfelues, car à l’horizon de 20 ans, contrairement à ce qui peut s’imaginer pour le pétrole, il n’y a pas de raison évidente pour que le coût d’extraction du charbon soit multiplié par 5 ou 10.
Ceci étant la conséquence de cela, la consommation de charbon par personne, en moyenne mondiale, n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui.
Consommation mondiale par personne de chaque énergie significative de 1860 à 2011, exprimée en kWh par an.
La consommation de charbon par personne n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui et elle va bientôt égaler celle de pétrole….
Source : Shilling et al., 1977, BP Statistical Review, 2012, et Nations Unies pour la population.
Cette moyenne mondiale cache de fortes disparités régionales, sachant que le premier pays consommateur de charbon est désormais la Chine, après avoir longtemps été les USA.
Acier, ensuite
Après l’électricité, le charbon sert à la production d’acier, premier métal produit au monde avec environ 1,4 milliards de tonnes en 2008 (y compris la production à partir de ferrailles), pour une consommation énergétique totale de 500 millions de tonnes équivalent pétrole (4% de la consommation totale d’énergie des hommes). Le principe de cette production est assez simple : la nature nous a généreusement doté en minerai de fer, sous forme de dépôts d’oxyde de ce métal présents en un certain nombre d’endroits dans la croûte terrestre.
Cet oxyde de fer est prélevé dans le sous-sol (activité minière) puis mélangé, dans un haut fourneau, avec du carbone presque pur obtenu à partir de charbon : le coke (à ne pas confondre avec son homonyme au féminin, un peu moins légale et qui n’a pas la même couleur !). Le coke est obtenu en débarrassant du charbon à très haute teneur en carbone (donc de l’anthracite ou du bitumineux avec peu de cendres, peu d’eau, et peu de matières volatiles) de tout ce qui n’est pas du carbone (matières volatiles et eau ; enlever les cendres à l’avance n’est pas très facile…).
Dans le haut fourneau, le carbone va « attirer à lui » l’oxygène de l’oxyde de fer, qui va quitter (le traître) le fer pour aller se coller au carbone en formant du CO2 (débarrasser un composé chimique de tout ou partie de son oxygène s’appelle une réduction). Pour faire une tonne de fonte – qui servira ensuite à faire de l’acier – dans un haut fourneau il faut environ 700 kg de charbon, et cela produit environ 2 tonnes de CO2. Aujourd’hui une autre partie de l’acier est produit en recyclant des ferrailles, et cela ne demande plus de coke mais « juste » de l’énergie.
Et de l’acier, les hommes en consomment aussi pas mal, et même de plus en plus.
Consommation moyenne d’acier par personne en fonction du PIB par personne, avec discrimination par grande zone.
Chaque courbe démarre en 1971 et se termine en 2005 (et ne concerne que la production nationale, sans tenir compte de l’acier contenu dans les produits finis importés). Les valeurs pour la fin de la série sont indiquées avec la légende.
Source : Lysen 2006
Comme nous le voyons sur le graphique ci-dessus, un européen consomme en moyenne 350 kg d’acier par an, et compte tenu du fait que la moitié environ est faite avec des ferrailles (donc sans charbon), cela représente environ 120 kg de charbon par personne et par an.
Ce charbon, nous le consommons indirectement à chaque fois que, sans nécessairement nous en rendre compte, nous achetons quelque chose qui contient de l’acier (auto, logement, machine à laver, meubles…), que nous achetons un produit en « autre chose » mais qui a été fourni par une entreprise qui a eu besoin d’acier pour faire ses bâtiments d’exploitation, lignes de production, camions, etc, ou encore… que nous utilisons un service qui a nécessité la fabrication d’acier (comme prendre un train ou faire ses courses dans un hypermarché construit avec de l’acier !).
Ce métal est donc devenu omniprésent dans nos actes de la vie courante, et donc… le charbon y est toujours.
Répartition par secteur utilisateur de l’acier consommé en Europe en 2000.
Source : Eurostat 2001
Ciment, un peu
Après l’acier, l’autre secteur industriel grand consommateur de charbon – même si c’est 4 à 5 fois moins – est la cimenterie.
Consommation moyenne de ciment par personne en fonction du PIB par personne, avec discrimination par grande zone.
Chaque courbe démarre en 1971 et se termine en 2005. Les valeurs pour la fin de la série sont indiquées avec la légende. A cause de la construction à vitesse accélérée de leurs infrastructures et de leurs villes, ce sont les chinois qui sont les plus gros consommateurs de ciment par personne au monde (et par la force des choses les premiers consommateurs de ciment par pays, de très loin).
Source : Lysen 2006
Il faut environ 1000 kWh de chaleur pour faire une tonne de clinker, constituant essentiel du ciment le plus courant (le ciment Portland). Cela représente environ 0,15 tonne de charbon quand c’est ce combustible qui est utilisé (ce qui est le cas le plus courant), conduisant à l’émission de 350 kg de CO2 environ. Mais il faut rajouter à cette valeur le CO2 provenant de la décarbonatation du calcaire, pour arriver à environ une tonne de CO2 par tonne de ciment. Ceci expliquant cela, la production de ciment représente à elle seule 3% à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, à peu près comme l’acier (et le total acier+ciment représente presque autant que les transports terrestres).
Ça se promène, cette affaire de charbon ?
L’une des caractéristiques du charbon, que vous aurez remarquée aussi, c’est qu’il est solide. Du coup, il ne se transporte pas très bien, et ceci expliquant cela c’est l’énergie fossile qui voyage le moins : 12% seulement du charbon extrait dans le monde passe une frontière avant d’être utilisé (contre 22% pour le gaz et 2/3 pour le pétrole). Le charbon est essentiellement une énergie domestique : il est utilisé à 90% dans le pays où il est extrait. Quand il est importé, le prix du charbon livré au pays importateur est aux 2/3 – ou plus – du coût de transport. Par contre les produits fabriqués avec de l’électricité au charbon, eux, se promènent !
Production des 25 premiers producteurs de charbon au monde (représentant 35% de la production mondiale et quasiment 100% des exportations) avec répartition entre exportations et ventes domestiques.
Il est bien visible que l’essentiel des producteurs ne produisent que pour leur marché domestique.
Source : AIE, World energy Outlook, 2009
Le commerce mondial du charbon se concentre essentiellement sur les combustibles les plus nobles (anthracite, charbon à coke, charbon vapeur bitumineux) et représentait environ 650 millions de tonnes en 2008. Japon, Corée et Taïwan représentent à eux seuls plus de la moitié des importations mondiales.
Et la France, pays sans charbon ?
En France, nous n’avons plus de charbon, c’est bien connu. De fait nous n’en produisons plus, ou presque.
Production de charbon en France de 1981 à 2009, en millions de tonnes équivalent pétrole
(une tonne équivalent pétrole = 11.600 kWh ; une tonne de charbon « contient » environ 0,6 tonne équivalent pétrole en moyenne).
Manifestement nous avons passé notre pic de production ! La très faible production résiduelle vient de l’extraction des « débris » de charbon contenus dans les terrils situés près des anciennes mines.
Source: BP Statistical Review, 2010
Mais… peut-être que cela ne signifie pas que nous n’en utilisons plus ? Car en se promenant dans le pays un observateur attentif apercevra peut-être des centrales à charbon (nous en avons), des hauts fourneaux (nous en avons), des cimenteries (nous en avons), et encore quelques bricoles qui en consomment. Car un Français en consomme… autant qu’un Indien ! Ce charbon est importé, et non produit en France, mais nous en utilisons toujours de manière directe.
Répartition des usages du charbon consommé en France de 1970 à 2011, en millions de tonnes. La consommation a effectivement baissé, mais nous avons « toujours » :
- 3 GW de puissance installée au charbon qui fournissent 20 TWh par an (5% de la production électrique française)
- quelques hauts fourneaux avec lesquels nous produisons environ 15 millions de tonnes d’acier par an
- et accessoirement quelques cimenteries : en Europe la consommation annuelle moyenne de ciment est de 500 kg par personne, soit 30 millions de tonnes pour un pays comme la France.
Source : Chiffres clés de l’énergie, Service de l’Observation et des Statistiques (Commissariat Général au Développement Durable), 2012
Ces chiffres ne comprennent pas :
- le charbon « contenu » dans l’électricité que nous importons d’Allemagne ou d’Italie (mais qui fait tourner les machines à laver françaises parfois)
- le charbon contenu dans les produits importés (tout ce qui a été fabriqué à l’étranger avec de l’acier, du ciment, ou… de l’électricité au charbon)
Par contre ce combustible est devenu quasiment inemployé pour le chauffage ; il en reste un peu dans les réseaux de chaleur pour le chauffage urbain, mais ces derniers préfèrent en général le gaz.
Et demain ?
Il est logique que le charbon ait pris une telle place dans un contexte socio-économique où les avantages immédiats écrasent les inconvénients à long terme. Avec un système de formation des prix qui ne tient que très peu compte de la rareté à long terme et des dommages environnementaux de long terme, mais beaucoup du coût immédiat du travail, le charbon est un ticket gagnant :
- il est abondant, et surtout disponible sur place dans les pays qui dominent l’économie mondiale (à l’exception du Japon),
- il n’est pas cher à extraire : 40 à 50 dollars la tonne, soit 0,5 à 1 centime d’euro le kWh (comme pour le pétrole),
- il est nécessaire – ou le moins cher – pour la production de tous les matériaux de base qui ont fait l’essor de la société industrielle,
- il permet de produire de l’électricité pour pas cher, or l’électricité est la forme la plus noble (et donc la plus polyvalente), sur le plan thermodynamique, des énergies finales que nous utilisons.
Avec plus de 500 milliards de tonnes de réserves prouvées, le charbon serait la dernière des énergies carbonées disponibles si la croissance de la consommation continuait comme aujourd’hui. Alors que le pic de production du pétrole est proche, et qu’il en sera de même pour le gaz bien avant le milieu du siècle, accélérer le recours au charbon deviendra probablement de plus en plus tentant tant que le monde cherchera la « croissance économique » à court terme, même si cela doit s’accompagner d’une forte prise de risque concernant des dégâts climatiques ultérieurs (et d’une décroissance économique accélérée à ce moment là !). Car l’usage de cette énergie est synonyme de fortes émissions de gaz à effet de serre…
Emissions de gaz à effet de serre pour diverses énergies finales issues des combustibles fossiles.
Les émissions sont exprimées en tonnes équivalent CO2 par tonne équivalent pétrole
(il n’y a pas que du CO2 dans les émissions prises en compte : il y a également un peu de méthane pour les émissions de production).
Pour chaque énergie il a été indiqué les émissions de production à partir du combustible initial ; cette production inclut l’extraction, le transport, et les traitements après extraction :
- pour le charbon, transport, lavage et éventuellement concassage
- pour le gaz, purification, puis transport, avec une liquéfaction éventuelle
- pour les produits pétroliers, transport et raffinage.
Source : guide des facteurs d’émission du Bilan Carbone, Ademe, 2010
Un recours accru au charbon, même avec séquestration du CO2, n’est donc probablement pas compatible avec une baisse des émissions mondiales, et encore moins leur division par trois, qui constitue un préalable indispensable à la stabilisation de la perturbation climatique.
Et puis, même si nous ignorions le problème du changement climatique, la croissance de la production – et donc de la consommation – n’est pas si durable que cela : le pic de production du charbon ne semble pas devoir se situer beaucoup après 2050.