LOVELOCK James, La Terre est un être vivant (l’hypothèse Gaïa), éditions Flammarion, 1979
(170 pages, 10€)
James LOVELOCK est médecin et biologiste. Il est l’un des représentants d’une espèce difficile à classer dans le monde scientifique : un chercheur sans laboratoire. Il a notamment participé, soit comme concepteur de dispositifs de détection, soit comme conseiller scientifique, à divers programmes spatiaux de la NASA.
Commentaire
Qu’est-ce que le propre de la vie ? Comment savons-nous qu’un être est vivant ? Est-ce la faculté de se reproduire, de s’alimenter, ou, plus « scientifiquement », la réduction de l’entropie interne (au détriment de l’entropie externe, bien sûr) qui caractérise la vie ? Au regard de quelques définitions « acceptables » de la vie, James Lovelock nous entraîne dans des réflexions à la frontière de la science et de la philosophie, pour nous démontrer comment, par bien des aspects, notre planète se comporte exactement comme un être vivant « global ».
Dans un être vivant on va trouver des fonctions vitales, c’est à dire aptes à maintenir cet état de vie, qui ont ceci de remarquable qu’elles disposent toutes de leur propre « intelligence », c’est à dire de mécanismes régulateurs qui leur permettent de se maintenir au bon niveau. Par exemple, tous les composants qui circulent dans le sang et qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme – sucres, oxygène, CO2, hormones… – sont régulés par des mécanismes qui empêchent que leur teneur ne s’écarte trop de la « bonne » valeur ; le rythme cardiaque s’ajuste pour que le cerveau soit toujours oxygéné de la même manière quelle que soit la quantité prélevée par les muscles, etc….
Lovelock, en « médecin de la planète », expose comment la biosphère est régulée, comme au sein de notre organisme, par d’innombrables mécanismes qui disposent aussi d’une forme d’intelligence, et dont la capacité d’ajustement est parfaitement proportionnée aux échelles de temps qui les concernent. Par exemple, cela fait quelques milliards d’années que la température terrestre se maintient à des valeurs proches de l’actuelle, sans jamais s’en écarter de plus de quelques degrés, alors que l’intensité du rayonnement solaire a augmenté de 30 ou 40% dans l’intervalle.
Le mécanisme « d’adaptation » de la biosphère a été la diminution de l’effet de serre, via la diminution de la teneur atmosphérique en CO2, sous l’effet de la photosynthèse des premiers organismes marins (qui consommaient le CO2 et rejetaient de l’oxygène), au fur et à mesure que l’intensité du rayonnement solaire augmentait. Ce processus a permis ce fait assurément remarquable qui consiste à avoir maintenu la planète à une température de surface qui a peu varié pendant quelques milliards d’années. C’est encore la vie qui permet le maintien de la teneur en oxygène de l’air à 21% aujourd’hui (sans vie l’oxygène libre disparaîtrait en quelques millions d’années), teneur qui est suffisante pour que l’oxydation rapide soit disponible partout (et donc le feu), mais juste assez faible pour qu’un incendie spontané ne ravage pas toute la couverture végétale de la Terre (si la teneur en oxygène est trop forte, la pluie ne peut plus arrêter le feu : cela brûle quand même !).
Lovelock expose encore comment, sans mécanisme régulateur, la teneur en sel de l’océan aurait augmenté en quelques dizaines de millions d’années jusqu’à des teneurs insupportables pour les organismes marins (une teneur excessive en sel dans l’eau de mer ferait « exploser » les membranes des cellules sous la pression osmotique, car la salinité de l’intérieur de la cellule est quasiment la même pour les organismes terrestres et marins), ou comment l’iode, indispensable à tous les mammifères supérieurs, peut être répandu sur les continents à partir de la mer, via un cycle gazeux, ou encore comment la tectonique des plaques permet le recyclage, via le volcanisme, des éléments qui sédimentent au fond des océans…
Quoi qu’il prenne la précaution de préciser que ce n’est pas le cas, on se demande bien évidemment si Lovelock ne voit pas dans l’existence d’une terre habitée par la vie quelque forme d’intervention divine. On ne peut en effet s’empêcher de se dire, en découvrant cette foultitude de fonctions homéostatiques si merveilleusement calibrées, et d’espèces si merveilleusement complémentaires, que l’avènement de cet échafaudage par le seul fait du hasard semble défier toutes les lois des probabilités.
Et puis, bien sur, la question qui ne manque pas de venir à l’esprit est : pouvons nous « casser la machine » ? La réponse de Lovelock est clairement négative. Pour lui, précisément à cause de ses très nombreux mécanismes de régulation, la terre survivra à n’importe quelle atteinte que pourrait lui infliger l’homme. L’humanité est avant tout un danger pour elle-même, mais pas pour la biosphère dans son ensemble, même s’il ne fait aucun doute que nous pouvons profondément modifier l’aspect de notre planète. Les espèce évoluées, les plus emblématiques pour la défense de l’environnement (sauf la nôtre !), sont paradoxalement les moins nécessaires à l’équilibre d’ensemble.
Sachons nous protéger de nous mêmes, la nature se chargera bien de se protéger elle-même, dit en substance Lovelock, dans cet ouvrage qui évite à merveille, sur un sujet aussi délicat, le double écueil du catastrophisme et du mysticisme.