GEORGESCU-ROEGEN Nicholas, La décroissance, éditions Sang de la Terre, 1995
(220 pages, 21€)
Nicholas Georgescu Roegen (1906-1994), statisticien roumain (il a passé son doctorat à la Sorbonne), émigré aux Etats-Unis après la guerre, fut professeur à l’université de Bucarest puis à celle de Nashville aux Etats-Unis (et furtivement à Strasbourg). Il a publié de nombreux travaux aux Etats Unis, dont bon nombre lui ont valu des commentaires élogieux des « personnalités » du moment à l’époque de leur parution.
Par exemple, Paul Samuelson, professeur au MIT, prix Nobel d’économie (1970), a déclaré en 1971 à propos des travaux de Georgescu : « je défie tout économiste informé de rester satisfait de soi après avoir médité sur cet essai« .
Commentaire
Il semblera évident à chacun d’entre nous que dans un univers fini la croissance perpétuelle n’est pas possible. Pourtant ce constat ne peut être tiré des simples « lois » de l’économie. Pour arriver à cette conclusion il faut nécessairement invoquer des grandeurs physiques, peu ou pas prises en compte dans la théorie économique.
Georgescu-Roegen a tenté d’approfondir ce constat, en essayant de caractériser les limites et les biais de la « théorie économique », et en montrant comment elle ignorait en particulier une loi importante de la physique : le deuxième principe de la thermodynamique, qui, traduite de manière simple, stipule que les processus physiques sont fondamentalement irréversibles.
Il en résulte un mélange étonnant, un style tonique pour traiter d’un sujet finalement assez austère, et un ouvrage salutairement remue-méninges, qui aboutit de manière approfondie et méthodique à une conclusion qui finalement relève souvent du bon sens : griserie et longévité ne sont pas compatibles.
Certains des propos de l’auteur sont nécessairement un peu dérangeants alors que nous avons tellement pris l’habitude de voir répétée l’égalité croissance = tout bénéfice. Des contestations à ce dogme (car c’en est un !) existent, bien sur, mais elles sont souvent présentées comme idéologiques ou sentimentales, ou marginales dans leur fond (il faut juste apporter quelques petits correctifs, par exemple).
Ce qui fait tout l’intérêt de ce livre, basé sur des écrits qui datent de la fin des années 60 et du début des années 1970, est précisément l’absence de propos de cette nature. L’auteur s’attache à montrer par le raisonnement rationnel – qui reste qualitatif, évitant ainsi les travers du Club de Rome – que cette équivalence entre croissance et bénéfices est un leurre, une simple approximation au premier ordre du moment, et que l’on ne peut pas baser une théorie économique satisfaisante sur ce genre de postulat.
On peut bien sur finir la lecture de ce livre en restant sur un désaccord avec l’auteur, mais il offre une telle pertinence de réflexion que j’en recommande vivement la lecture.