FOUCART Stéphane, Des Marchés et des Dieux, Grasset, 2018
(272 pages, 19€)
Commentaire
La confiance dans « les marchés » ressemble en tous points à une religion. Telle est la thèse de Stéphane Foucart, journaliste scientifique au Monde, défendue avec humour, et surtout une argumentation assez bien étayée, dans ce livre mi-documentaire mi pamphlet qui se lira très bien… à la plage.
Une religion, en règle générale, suppose quelques ingrédients de base, dont l’auteur constate qu’ils sont tous bien présents dans la vénération des marchés :
- une divinité, c’est à dire un être ou une « chose » suprême, qui reste invisible tout en étant supposé pouvoir se manifester partout et tout le temps ; c’est bien la façon dont nous voyons « les marchés » quand nous en parlons : nous ne savons pas vraiment où « les marchés » habiterait, ni quelle tête il aurait, mais il est supposé tout régir dans l’économie autour de nous, et il faut prendre toute décision économique dans un sens qui le rassure…
- un clergé, c’est-à-dire des individus chargés de percevoir l’humeur de la divinité, ses volontés, ses manifestations, d’organiser la soumission collective de la population à la divinité, et de collecter les offrandes qui lui seront faites ; ici il est composé d’économistes, banquiers centraux, investisseurs, analystes boursiers, ministres de l’économie, parlementaires (qui votent des mesures pour « satisfaire les marchés »), etc
- des textes sacrés, qui sont ici les postulats (pas plus démontrés que l’existence de Dieu) que « les marchés » permettent une maximisation du bien-être collectif, et qui gouvernent l’action du clergé
- un lieu de culte, représenté ici par les lieux où officient tous les membre du « clergé », auquel il fallait rajouter, jusqu’à il y a peu, l’emplacement physique de la bourse.
Bien évidemment, nombre des lecteurs de ce livre adhèreront à la conclusion avant même de l’avoir lu. En général, l’envie d’acheter un essai est fortement augmentée quand on sait que l’auteur va plaider dans le sens de ce que l’on pense déjà, et il n’y aura pas d’exception ici. Mais les informations précises glanées au fil de la lecture, et l’humour jamais très loin, en font un livre qui se lit avec plaisir dans tous les cas de figure.
Ce livre permet surtout un rappel salutaire. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des hommes, la réalité est que jamais une croyance n’a permis de changer les lois physiques qui régissent notre monde. Nous sommes bien partis, avec l’économie, pour expérimenter à nos dépends que « les marchés » ne modifient pas la quantité de pétrole disponible sur terre, les limites de l’atmosphère, ou la quantité de terre émergée que nous pouvons utiliser à notre profit.
Et si « les marchés » ne permettent pas de gérer au mieux la décarbonation de l’économie, c’est-à-dire son affranchissement progressif des combustibles fossiles (ce qui engendrera très probablement sa contraction), alors la physique gagnera, et « les marchés » s’effondreront. Ce n’est pas le marché qui crée la ressource, c’est « juste » la ressource qui peut être échangée sur le marché !