ALLEGRE Claude, Ma vérité sur la planète, éditions Plon, 2007
(240 pages, 18€)
Commentaire
Il est difficile de dire si la consternation, l’admiration ou l’ébahissement est le terme plus approprié pour caractériser ce qui vient à l’esprit une fois refermé ce livre. Ce dernier comporte une telle densité d’âneries au centimètre carré de page imprimée qu’il en devient une énigme. A-t-il seulement été écrit par un adulte, ou bien par un petit-neveu d’Allègre dont ce dernier n’aurait pas relu les propos ? Comment une personne qui détient – normalement – un doctorat en physique peut-il, même très énervé (car cela fait des années qu’Allègre ne supporte plus le changement climatique, après l’avoir très bien supporté dans un livre qu’il a écrit en 1987, ce qui est une énigme de plus) et même en dehors de son domaine de compétence (car Allègre n’a jamais publié de travaux scientifiques concernant l’influence de l’homme sur le climat) aligner une telle série de contre-vérités grossières, d’approximations qui en deviennent fausses, d’amalgames indus, d’erreurs de raisonnement indignes d’un collégien, de propos cités de travers pire que chez un très mauvais journaliste débutant, voire de tournures dignes d’un enfant de 6 ans ou de phrases qui ne sont même pas écrites en français ?
Cette avalanche d’inepties pose du reste un problème spécifique à qui veut s’essayer à une critique : par où commencer quand, sur des chapitres entiers, chaque page (je dis bien chaque page) contient une démonstration qui n’en est pas une, un procès d’intention, une citation rapportée de manière inexacte (ce qui évidemment rend ensuite la critique plus facile !), ou encore une absence de précision – délibérée ? – qui rend impossible l’identification même de l’individu ou de l’entité visés (le pronom « on », qui dispense opportunément de préciser qui a dit quoi exactement, est employé à jet continu, et quand « on » ne sait pas qui est visé exactement, il est difficile de savoir quoi répondre…).
A ce problème de fond vient s’ajouter un « détail » de forme, mais qui en dit long sur l’ego de l’auteur : l’emploi dans un seul ouvrage d’une quantité de « je », « moi », « me » et autres « nous » (de majesté ?) supérieure à ce que contient l’ensemble de la vulgarisation scientifique française par ailleurs (où il est rare que l’auteur emploie la première personne du singulier 5 à 15 fois par page). Incidemment nous apprenons que Allègre est un héros parce qu’il a couché dans l’Himalaya et qu’il a gardé des vaches étant gamin, toutes choses qui pèsent indiscutablement plus lourd que la publication en bonne et due forme d’articles scientifiques pour étayer ses déclarations fracassantes partout où des journalistes peu regardants sur la véracité de ses propos continuent à l’inviter.
A part le fait que personne n’était parvenu avant à un résultat aussi caricatural, ce livre n’apporte rien de neuf sous le soleil à la rubrique « contestations fantaisistes » des travaux scientifiques ou techniques sur le changement climatique ou l’énergie. Il en est même classique au point de mentionner tous ceux qui se sont essayés à des réfutations illégitimes avant lui, et défilent ainsi les noms de Lindzen (mentionné dans cette recension), Svensmark (mentionné dans cette recension), Leroux (dont les AMP sont mentionnés dans cette recension), Crichton (au demeurant plus agréable à lire), Lenoir, Fourçans, Lomborg, Kohler (qui affirme que la glace flotte sur l’eau parce qu’elle possède des bulles !), et Allègre est même allé racler dans les coins de tiroir pour y dénicher Cécile Philippe, une économiste n’ayant aucune connaissance particulière sur le changement climatique mais néanmoins un avis très tranché sur la question, qui a publié un aimable pamphlet intitulé « c’est trop tard pour la Terre » (que j’ai lu, et son livre aurait mieux fait de s’intituler « c’est trop tard pour que j’y comprenne quelque chose » !), et un retraité sympathique mais au demeurant complètement incompétent sur le sujet, Jean Hermann.
En si bonne compagnie, Allègre ne pouvait procéder différemment des auteurs cités, et comme eux il amalgame joyeusement tout et son contraire, considère les scientifiques, les militants, les responsables politiques et la presse comme une catégorie homogène où chaque individu est solidaire de ce qui est déclaré ou fait par un autre, prête aux articles ou ouvrages qu’il cite des conclusions qui n’y figurent pas, ou pas de la manière citée, confond parfois 1 et 1000 (même pour des ordres de grandeur physiques, ce qui est un tantinet gênant pour un physicien), et à la confusion sur les opinions d’autrui Allègre y ajoute la sienne propre, puisque l’objet de sa vindicte page N peut devenir l’objectif à atteindre 20 pages plus loin sans que l’on ait bien compris ce qui justifie ce revirement (réduire les émissions de CO2 entre dans cette catégorie).
Florilège
Afin d’illustrer ce qui précède par quelques cas concrets, voici quelques citations – une toute petite partie, vraiment ! – extraites du livre avec commentaires. Commenter l’ensemble de l’ouvrage nécessiterait un travail de titan : à raison de 240 pages pour le livre d’Allègre, de – en moyenne – 1 à 3 âneries par page (parfois pas une seule, ça arrive, mais parfois beaucoup plus !), et de 1 paragraphe à 3 pages d’explications pour montrer en quoi telle phrase contient une ânerie, nous serions donc rendus à la valeur de 1000 pages de « réponse » ou plus… et j’espère que le lecteur (et la lectrice, bien sûr) acceptera que j’ai envie de faire autre chose !
« J’ai peine à croire qu’on puisse prédire avec précision le temps qu’il fera dans un siècle alors qu’on ne peut pas prévoir celui qu’il fera dans une semaine »
(page 89).
- Aucun physicien actif dans la modélisation climatique ne prétend que les outils utilisés (les modèles) servent à « prédire le temps qu’il fera dans un siècle » : ils savent que l’étude du climat sur des durées longues et la météo de demain matin ne sont pas exactement la même chose, et que les outils qu’ils manipulent donnent des indications sur les conditions moyennes à venir (le climat), au surplus dépendantes de notre comportement à venir, et absolument pas sur les conditions particulières d’un jour donné en un endroit donné (la météo, le « temps qu’il fera »). A qui Allègre donne-t-il la réplique exactement ?
- Ce qui gouverne l’évolution du système climatique sur des temps longs (le siècle ou le millénaire) n’est plus la variabilité de l’atmosphère, mais celle des océans et de la cryosphère. Dans n’importe quel système physique, quand on change d’échelle de temps ou d’espace, le déterminant le plus important de l’évolution future peut très bien changer. A ce moment, l’incertitude existante sur l’ancien déterminant majeur ne se reporte pas nécessairement sur le nouveau. Exemple : le déterminant majeur du climat planétaire à l’échelle de la centaine de milliers d’année est la modification des paramètres astronomiques de la planète. Aucune incertitude sur le temps qu’il fera à Zanzibar dans un mois n’est susceptible de remettre cette conclusion en cause.
« Les météorologues (…) se sont transformés à partir des années 1980 en climatologues »
(page 98).
Allègre devrait savoir que le titre de « climatologue » est une invention de journaliste. Aucune des disciplines scientifiques mise à contribution pour tenter de nous éclairer sur les conditions que connaîtra l’humanité dans 50 ou 100 ans ne porte le titre de « climatologie », et l’essentiel des contributeurs à cette étude du climat futur ne sont en rien d’anciens météorologues ! Ici aussi Allègre confond volontairement l’étude du temps court (la météo) et du temps long (le climat) au seul motif que dans les deux cas de figure on parle températures et précipitations : pas très brillant pour un esprit qui prétend l’être…
« Ainsi, si on modifie brutalement la teneur en CO2 de l’atmosphère, ce gaz modifiera le comportement de cette enveloppe gazeuse en des durées qui vont de 50 à 200 ans. »
(page 95).
C’est clair 🙂 ? Ce gloubi-boulga signifie probablement que toute augmentation de la concentration en CO2 dans l’atmosphère perdurera pendant 50 à 200 ans avant que le surplus de CO2 ne commence à s’épurer, mais je ne suis pas sûr que tout lecteur profane comprendra facilement cela….
« La couche d’ozone est une couche chaude, chauffée par les UV, ces rayons ultra-violets chez lesquels le gradient thermique de l’atmosphère est inversé. »
(page 34).
C’est clair (bis) 🙂 ? On découvre ainsi que les rayons ultraviolets possèdent un gradient thermique de l’atmosphère (!), et accessoirement que la couche d’ozone est chaude (or il n’existe pas de couche d’ozone, avec un début et une fin bien précise : il n’existe « que » une concentration en ozone qui croit avec l’altitude entre 10 et 25 km puis décroit ensuite, cette variation de la concentration dans l’air ayant effectivement un rôle majeur dans la température de l’air dans la stratosphère et par suite dans la structure verticale de l’atmosphère).
« On calcule alors ce que seraient les températures moyennes dans un siècle si on doublait au rythme actuel les teneurs en CO2 de l’atmosphère. Suivant le détail des modèles, on obtient entre 1 et 6 °C »
(p 102).
Aie aie aie ! Passe encore que « suivant les processus pris en compte » devienne « suivant le détail« , passe encore que Allègre pense que c’est avec le même comportement des hommes que l’on a 1 ou 6° C d’augmentation, toute l’incertitude étant imputable aux outils peu fiables utilisés (ce qui est inexact) , mais « doubler le CO2 au rythme actuel dans un siècle« , c’est quoi ?
« [Le 4è rapport du GIEC] resserre les prévisions sur l’évolution des températures majeures »
(p. 119)
Je connaissais les températures minimales, maximales, et moyennes, mais les températures « majeures », ça c’est nouveau comme aurait dit Coluche ! Quesseca ?
« Je doute que le gaz carbonique d’origine anthropique soit, dans un système aussi complexe que l’atmosphère, l’unique responsable du changement climatique. »
(page 89).
Encore un remarquable condensé de confusion en une seule phrase :
- Le système climatique ne se réduit pas à l’atmosphère,
- Dans cette phrase, « changement climatique » désigne le changement constaté au 20è siècle (pour lequel aucun scientifique compétent ne prétend que le CO2 d’origine humaine est seul en cause), ou bien celui qui nous attend au 21è si les émissions continuent sur leur lancée ?
- Cette phrase laisse entendre, de manière implicite, que les scientifiques orthodoxes n’ont pas le moindre doute sur la part attribuable au CO2 – évidemment écrasante, sans appel – dans leurs analyses, qu’il s’agisse du passé ou de l’avenir. Si tel était le cas, pourquoi donc un chapitre entier du rapport du GIEC serait-il consacré à cette seule question ? (la part de l’homme dans les évolutions récentes).
« Vouloir s’opposer à la croissance et au progrès technologique, c’est engager la France dans le déclin et et la détérioration du niveau de vie des Français. »
(page 51).
Il est regrettable qu’Allègre, après avoir fustigé le manque de compétences en économie de l’homme qu’il vise à travers cet ouvrage, à savoir Nicolas Hulot (le livre d’Allègre comporte un plein chapitre sur Hulot et est vendu avec un bandeau titrant « Non, M. Hulot » sur la couverture – en gros c’est un livre qui se veut un « anti-pacte écologique ») propose en réponse un raisonnement aussi bancal. Il raisonne comme si le choix de la croissance ne dépendait que de la volonté des hommes : sûr que si c’était le cas, ca serait confortable ! Malheureusement, avec un système économique qui aujourd’hui ne sait croître qu’en consommant une fraction tout aussi croissante du capital naturel non renouvelable, n’importe quel collégien comprendra facilement que cela ne peut pas durer éternellement, et qu’à tout le moins se poser la question de la pérennité du système est légitime, et ne pas se la poser bien plus proche de l’erreur de raisonnement…
« Les prédictions du Club de Rome et des Cassandres Américaines ont, comme on le sait, été démenties par les faits ».
Je serais volontiers tenté de conclure, au vu de cette affirmation (inexacte), qu’Allègre n’a pas lu ce fameux « rapport du Club de Rome« , comme tous ceux qui l’invoquent à tort. En effet, rien de ce qui s’est passé durant les 35 années qui nous séparent de la publication de ce fameux rapport en 1972 ne peut en invalider les conclusions, puisque ces dernières concernent essentiellement le déroulement du 21è siècle. Il faut donc encore un peu de patience pour savoir si ce travail est pertinent ou pas ! Une autre citation de ce « rapport » page 62 renforce l’impression d’un commentaire fait sur la base du oui-dire et non de l’étude des faits si chère à M. Allègre : ce rapport est cité avec le titre français, au surplus erroné (« Halte à la croissance ! » ; le vrai titre de la traduction en français était « Halte à la croissance ? », et la différence de ponctuation n’est pas mince) et non avec le titre original en anglais, bien moins polémique (il s’agissait de « The limits to growth« ), mais il est vrai qu’il est plus commode de tordre la réalité avant d’éructer : c’est plus facile. Bref Allègre fait exactement ce qu’il reproche avec raison à la presse en d’autres circonstances : avoir un avis caricatural sur un travail qu’il n’a pas étudié en profondeur.
« L’utilisation du pétrole est à peu près constante depuis 1975″
(page 132).
Si pour Allègre une augmentation de 40% de quelque chose (la consommation annuelle de pétrole est passée de 2,7 à 3,8 milliards de tonnes par an entre 1975 et 2005) est du « à peu près constant », je vois mal ce qu’il reproche à tous ceux qui font des approximations !
« Quant aux énergies dites renouvelables, elles n’atteignent pas 1% [de la consommation mondiale] »
(page 133).
Sachant que le bois – qui sauf erreur de ma part est rangé dans la catégorie « renouvelables » – fait 10% à lui tout seul, y’a comme un bug…
« les réserves de charbon et de gaz sont considérables : aucun risque avant sans doute deux cents ans »
(page 133).
Voilà qui range tous les géologues pétroliers qui doutent de cette conclusion dans la catégorie des dangereux écologistes, car il n’est pas fréquent de rencontrer des ingénieurs de compagnies pétrolières pour affirmer la même chose qu’Allègre. De fait à peu près tous les représentants de cette profession que j’ai pu croiser mettent le plafonnement de la production pétrolière entre 2010 et 2020 au plus tard (et le patron de Total, Christophe de Margerie, a dit publiquement que cela se passera avant 2015, certains cadres de Total étant encore plus « pessimistes » : cela fait-il de lui un thuriféraire de fait de Hulot, pour reprendre une expression employée par Allègre ailleurs dans son bouquin ?). Les mêmes ingénieurs situent le pic de la production gazière 10 ans derrière environ, et celui de la production charbonnière pas très loin derrière 2050 au plus tard. Croyez qui vous voulez, mais que personne ayant cru Allègre ne vienne ensuite se plaindre de ne pas avoir eu les bonnes informations…
« [Si le programme de Nicolas Hulot était appliqué tel quel en France], le niveau de vie de la France ressemblerait à ce qu’elle a connu au 19è siècle. »
(page 49).
Retour au 19è, rien que cela ! Je vais faire plaisir à M. Allègre, et parler faits et chiffres :
- Au début du 19è siècle, l’espérance de vie à la naissance était de l’ordre de 30 ans à la campagne et 20 ans à la ville ; cette espérance de vie à la naissance était encore inférieure à 50 ans à la fin du 19è siècle. Est-ce vraiment cela que nous proposons dans le Pacte Ecologique (dont je fais partie des auteurs) : ramener l’espérance de vie à moins de 50 ans ?
- Au 19è siècle, le taux de motorisation des Français était nul. En proposant de rouler moins et dans des voitures plus petites, proposons nous de ne plus rouler du tout ?
- Au 19è siècle, la contraception n’existait pas, le droit de vote des femmes non plus, les congés payés pas plus, sans parler des médicaments et des chirurgiens réservés à une micro-fraction de la population. Proposons nous de rayer tout cela d’un trait de plume dans le Pacte Ecologique ?
Un bon conseil : lisez le Pacte et faites vous votre propre opinion ! Ce livre n’est certes pas sans défaut (il est volontairement restreint sur le nombre de propositions – c’était un choix délibéré pour que ce ne soit pas la presse qui fasse le tri à notre place parmi 140 propositions qui auraient tout couvert – et certains chapitres sont moins bons que d’autres, dont celui sur la recherche – j’ose le dire !) mais il tente de faire des propositions compatibles avec ce que la situation permet, et n’est en rien un long plaidoyer pour le retour au passé « qui était tellement mieux ».
« Le programme de Nicolas Hulot (…) est fondé sur trois postulats que je crois erronés : premièrement, la réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre (de trois quarts en dix ans), deuxièmement, le refus du nucléaire ou des centrales à charbon ou à pétrole, troisièmement le rejet des OGM ».
(page 52).
L’objectif de division des émissions par quatre en dix ans est à nouveau rappelé page 54, et Allègre indique implicitement au même endroit que votre serviteur prône la sortie du nucléaire aussi vite que possible. Allègre a raison de penser que ces postulats sont erronés, puisque… aucun d’entre eux n’est contenu dans le Pacte Ecologique ! Il n’y est pas question d’une diminution des émissions de CO2 de 75% en 10 ans, puisque l’objectif est celui, largement partagé (et inscrit dans la loi), d’une baisse de 75% en… 45 ans, ce qui n’est pas exactement pareil ; aucune proposition du pacte ne porte sur le nucléaire, dont l’usage ne saurait donc être « refusé » (et surtout pas par moi !) ; aucune proposition du pacte ne porte sur l’interdiction des OGM…
« Sur les 250.000 personnes travaillant dans le transport aérien et 1 million de personnes vivant de la voiture, il est facile de penser qu’au bas mot la moitié se retrouverait sans travail, soit 375.000 chômeurs supplémentaires. »
(page 54).
1.250.000 divisé par 2 = 375.000, voici une conception révolutionnaire de l’arithmétique, mais peut-être que là aussi M. Allègre est contre la pensée unique ?
« En 2007, le GIEC vient de publier son quatrième rapport. Contrairement à la traduction qu’en ont donnée les médias français, il est beaucoup plus modéré que les précédents. Il a abandonné la relation CO2/température des archives glaciaires. »
(page 119).
Je ne sais pas où Allègre est allé pêcher ces conclusions, car ce rapport n’est pas du tout plus modéré que les précédents (mon pari est qu’il a gentiment assimilé le rapport complet – 800 pages – qu’il n’a pas lu avec le vague communiqué de presse parlant du résumé pour décideurs – 20 pages résumant les 800, et que je ne garantirais même pas qu’il a lues). Le rapport 2007 du GIEC est au contraire plus affirmatif sur un certain nombre de points, et par ailleurs il « n’abandonne » aucune relation pour l’excellente raison que les éditions précédentes n’ont jamais affirmé que la variation de la teneur atmosphérique en CO2 précédait ou suivait la variation de la température planétaire au titre d’un mécanisme parfaitement élucidé…
Et voici encore quelques bricoles relevées dans ce livre, dont aucune ne serait dramatique si elle était imputable à une erreur d’inattention (cela arrive à tout le monde) mais dont la répétition est totalement incompatible avec un argumentaire qui se veut sérieux et sérieusement construit (j’ai mis entre parenthèses la « réponse » à l’argument ou à l’erreur relevé(e) :
- Allègre indique que la création du GIEC daterait de 1993 (c’est faux, c’est 1988)
- la lettre E du GIEC devient « étude » dans le livre d’Allègre (il s’agit en fait du mot « évolution » ; il fait la même erreur dans « L’imposture Climatique »),
- le résumé pour décideurs du GIEC ferait 100 pages (faux, il en fait 20, c’est le résumé technique qui en fait 100 ; le GIEC publie 3 « niveaux » de conclusions : une synthèse complète de 800 pages que personne ne lit mais qui constitue « le rapport du GIEC » à proprement parler, un résumé technique de 100 pages qui est déjà moins complet mais que quasiment personne ne lit non plus, enfin un « résumé pour décideurs » de 20 pages que, pour le coup, de nombreuses personnes lisent, et commentent comme s’il s’agissait DU rapport du GIEC, alors qu’il ne s’agit que d’un résumé très succint, qui se limite aux conclusions sans reprendre les explications – en 20 pages on en dit moins long qu’en 800, c’est un peu normal ! – et donc auquel il est vain de faire des reproches qui ne sont que le résultat de la place limitée),
- il considère le GIEC comme engagé par un article du Monde qui relate ses conclusions, alors que, bien sûr, le contenu du journal n’engage que le journal,
- Allègre confond perpétuellement réchauffement passé et réchauffement futur (ou plus exactement il ne dit jamais duquel il parle), confusion qui est fréquente dans les argumentaires des « sceptiques »,
- la température des pôles serait toujours inférieure à -30°C (ce qui, pour le Pole Nord, fait une erreur de presque 30 °C, puisque la banquise arctique fond presque jusqu’au pôle en été de l’hémisphère Nord)
- le fait que l’Antarctique ne fonde pas est une preuve de l’absence de réchauffement (en Antarctique la température étant toujours inférieure à -20°C sauf près des cotes, si la limite haute passe à -15°C ne fera rien fondre du tout, par contre il y a en Antarctique, comme au Groenland, un processus d’accélération du glissement des glaciers côtiers vers l’océan qui engendre une diminution de la masse de la calotte glaciaire),
- Allègre reprend l’ordre chronologique de la température qui a précédé le CO2 dans le passé lointain pour expliquer que c’est la température qui précède toujours le CO2 et jamais l’inverse (c’est bien évidemment doublement faux : d’une part le couplage marche dans les deux sens et d’autre part le fait que la température précède le CO2 lorsque l’homme n’intervient pas n’empêche pas que, lorsque l’homme intervient, l’enchaînement se produise dans le sens inverse : à cause différentes, effets différents !),
- il sait mieux qu’Hervé Le Treut – cité page 103 – ce qu’il y a dans les modèles globaux (alors que Le Treut en fait et pas Allègre, qui n’a jamais rien publié sur ce sujet dans la littérature scientifique),
- selon Allègre, les nuages qui réfléchissent la lumière solaire ne seraient pas les mêmes que ceux qui absorbent les infrarouges terrestres (magnifique ! en clair les cirrus ne feraient QUE absorber les infrarouges et les cumulus QUE réfléchir le visible, alors que chaque type de nuage a les deux effets, avec un bilan global qui est de réchauffer la surface pour les cirrus et de la refroidir pour les cumulus),
- Clinton « n’a pas signé Kyoto » (faux : le gouvernement Clinton a bien « signé » Kyoto en 1997 au moment de la conclusion de l’accord, et c’est même Al Gore qui l’a fait ; c’est bien sûr la ratification par le Congrès qui n’a jamais eu lieu)
Après avoir dit tout cela, et il en resterait à dire, on peut néanmoins souligner, dans le livre d’Allègre, quelques remarques frappées au coin du bon sens (mais est-ce un éclair de lucidité, ou un pur effet du hasard comme un dé qui « statistiquement » tombe sur le 6 une fois sur 6 ?), dont une qui offrira l’illusion d’un raisonnement sain au profane, parce que pour le coup elle rappelle une évidence qui saute aux yeux : la dénonciation parfaitement justifiée des émotions qui remplacent trop souvent les raisonnements chez les militants radicaux de la cause environnementale, et de l‘inclinaison au catastrophisme qui est un peu trop présente chez certains journalistes (Crichton et Lomborg utilisent aussi cette observation pour réfuter abusivement les travaux scientifiques, en supposant implicitement que la science est « coupable » des bêtises qui sont proférées en son nom par des gens en-dehors du domaine).
Mais est-ce une raison pour faire exactement la même chose quand on se prétend scientifique, à savoir tout mélanger et prendre un malin plaisir à mentir au lecteur au lieu de l’aider à se clarifier les idées ? Ce serait risible si ce n’était honteux – honteux et immoral – que d’utiliser sa notoriété de scientifique (mais quand on lit ce livre on se demande vraiment comment elle a été acquise, sauf évidemment à ce que Allègre n’ait pas écrit une ligne de ce torchon) pour contribuer à ralentir la prise de conscience alors que le temps nous est compté.
Comment expliquer, au passage, que l’Académie des Sciences n’ait aucune procédure de sanction prévue quand un des membres revendique ouvertement son appartenance à cette institution pour pouvoir propager des âneries indignes d’un élève de lycée, sur un sujet qui engage fortement vos (futurs) enfants et les miens ? Comment qualifier le comportement d’un individu qui met autant d’entrain à mentir et concourt de ce fait à alourdir le fardeau futur qu’il n’aura pas à supporter, bel exemple d’altruisme pour quelqu’un qui est censé avoir servi le bien commun comme ministre ? Et comment qualifier le comportement de tous les journalistes qui lui donnent complaisemment de l’espace médiatique sans se poser plus de questions que cela, parce que l’ego contrarié de l’un sert l’augmentation des ventes des autres ? Ce comportement, qui consiste à mettre le mensonge et l’imposture au service de l’équilibre économique d’une presse mal en point, est-il ce que l’on attend de la presse quand elle invoque son « droit au débat » ? Comment devrons nous juger ceux des media qui, en donnant la parole à des individus qui contribuent à ralentir le passage aux actes, auront délibérément mis en danger le « droit à la génération de mes enfants de vivre dans un monde en paix » ?