FOURCANS André, Effet de serre, le grand mensonge ?, éditions Le Seuil, 2002
(128 pages, 14€)
André Fourçans est professeur d’économie politique à l’Essec. Il n’a bien entendu jamais publié le moindre article scientifique sur la question du changement climatique.
Commentaire
Que voilà un titre à 50% très bien trouvé, mais peut-être pas pour les raisons que l’auteur a souhaité ! En effet, des mensonges, c’est à dire des affirmations fausses ou fallacieuses, cet ouvrage n’en est assurément pas avare, mais par contre la première partie du titre s’y fait rare : le lecteur qui espérera trouver dans cet opuscule une explication de ce qu’est ce fameux « effet de serre », pour savoir sur quoi va porter la dissertation de M. Fourçans par la suite, en sera pour ses frais. Pas la moindre explication sur le processus physique en cause, ou le moindre petit dessin qui viendrait remplacer un long discours…. L’auteur a peut-être pensé que de mettre le rapport scientifique du GIEC (qu’à l’évidence il n’a pas lu) dans la bibliographie le dispensait d’éclairer le lecteur sur l’objet matériel de la suite de sa prose.
Toutefois M. Fouçans a peut-être eu raison d’être prudent en ce qui concerne l’exposé de ses connaissances en matière de physique élémentaire :
- un peu plus loin, il explique qu’après stabilisation de la concentration en CO2, la température n’augmenterait que très peu, de « quelques dixièmes de degrés par an », soit…. quelques dizaines de degrés par siècle ! (page 32).
- il affirme tout de go qu’une augmentation de « seulement » 2 ou 3°C en un siècle est une promenade de santé (par ex. page 57, ou page 124), sans conséquences massives. Mais il n’y a rien dans le dossier scientifique qui le dise !
- il n’a pas compris que le changement climatique était un phénomène doté d’une inertie considérable, et qu’il ne sera plus possible de revenir en arrière lorsque la situation deviendra éventuellement critique, à en juger par la nombre de fois où l’auteur explique qu’il faut agir « modestement » et qu’il faut éventuellement intensifier les efforts si la situation se détériore (par ex. page 127), ce qui revient à expliquer à un gros fumeur qu’il faut attendre d’avoir le cancer du poumon avant de s’arrêter de fumer.
- il n’hésite pas à affirmer de bons gros mensonges, comme par exemple que personne ne sait faire le lien entre émissions et concentrations en CO2 (page 58)….
Malgré cette connaissance quasi-inexistante du dossier scientifique, ce n’est pas la modestie qui étouffe notre ami : la 4è de couverture expose que l’auteur ne prétend rien moins que nous apporter « la vérité sur la hausse des températures, ses causes et ses conséquences », « fondée sur les dernières connaissances scientifiques », et cela en 128 (petites) pages s’il vous plait ! Je serais curieux de savoir quelle taille de chaussettes est nécessaire à cet homme…
« Vérité » ou pas, l’auteur ne brille pas par sa constance, tour à tour réfutant puis admettant des conclusions « scientifiques », qu’il re-contestera un peu plus loin. Celui qui se demandera ce que Fourçans pense, au fond, de la question du changement climatique sera tenté de conclure….qu’il n’en pense rien, et que finalement il s’en fiche, pourvu qu’il puisse exister médiatiquement sur le sujet. Car exister, manifestement il en a envie, à voir le style employé, qui fait penser à la péroraison d’un homme souhaitant que tous les regards convergent vers lui au cours d’un diner mondain.
Par delà ces quelques menus défauts, l’inconvénient majeur de ce livre est surtout qu’il prétend réduire la question du changement climatique à un problème d’économie. Or pour faire de cette affaire un « simple » problème d’économie, il faudrait pouvoir attribuer une valeur à des phénomènes possibles dans le futur à la suite de notre action d’aujourd’hui.
Par exemple, combien vaut aujourd’hui l’éventuelle migration en Europe, à partir de 2060, de 150 millions de Nord-Africains suite à la désertification possible de leur pays ? Combien vaut, aujourd’hui, l’éventuel arrêt de la circulation océanique profonde en 2120, qui amènerait en Europe le climat du Québec ? Combien vaut, aujourd’hui, l’éventualité du décès de la moitié de la population humaine en 2180 à cause d’une modification climatique massive ? Si M. Fourçans sait combien tout cela vaut aujourd’hui, pour effectuer ensuite de savants arbitrages économiques, ce qu’il prétend pouvoir faire, Mme Soleil n’a qu’à aller se rhabiller !
En fait M. Fourçans mélange allègrement des coûts de dommages – que personne ne peut établir de manière fiable (M. Fourçans n’a pas non plus lu, à l’évidence, le rapport du groupe 3 du GIEC qui s’appelle « Mitigation », et qui le dit explicitement) – et des coûts d’évitement, les seuls dont la détermination a un quelconque intérêt pratique. Quoiqu’enseignant dans ce domaine, M. Fourçans sait-il faire la différence entre micro et macro économie ?
Finalement ce livre agrège un débat sur le dossier scientifique, pour lequel l’auteur n’a aucune légitimité, avec un débat sur l’attitude qu’il faut avoir face au risque, dans lequel il a parfaitement le droit d’avoir un avis, bien sûr, mais pas celui de prétendre détenir la vérité au nom de l’économie, qui ne représente qu’une partie de la réalité et ne sait pas attribuer une valeur unique et incontestable au climat, ce que les auteurs de la partie « économie » du rapport du GIEC disent et répètent à l’envi.
Accessoirement l’auteur fait aussi un large emploi de l’assimilation indue des scientifiques et des écologistes (ou des journalistes), en tenant les premiers pour responsables de l’ensemble des déclarations ou écrits des seconds. Cela permet de postuler bien des choses !
Pour finir sur un compliment, quand même, il est un point sur lequel je dois faire chapeau bas devant cet auteur, qui a eu le talent nécessaire pour convaincre son éditeur, qui est aussi le mien (Le Seuil), de vendre pour 14 euros un livre faisant 130 pages petit format, quand le Domino d’Hervé le Treut et de votre serviteur (un peu plus de 120 pages, format poche) était vendu 6 euros (avec des graphiques couleur, dont la réalisation coûte fort cher) et que mon petit livre rouge, faisant 280 pages en format demi-A4, est vendu 20 euros.
On voit que notre homme n’est pas enseignant à l’Essec pour rien : ça c’est du commerce !