CROIZE Jean-Paul, Climat, la fausse menace ?, éditions Carnot, 2004
(180 pages, 16€)
Jean-Paul Croizé a été journaliste au Figaro. Je ne suis pas sûr qu’il y aura contribué à une bonne vulgarisation du changement climatique auprès de ses lecteurs…
Commentaire
« De l’art d’être confus » pourrait être le sous-titre de cet ouvrage, dont il est difficile de tirer une conclusion claire, même si l’on sent bien que l’auteur s’inscrit plus ou moins (généralement plutôt plus que moins) dans la ligne du dénonciateur de complot, exposant que toute cette affaire de changement climatique n’est que poudre aux yeux. Une lecture attentive (mais je suppose que le pari de l’auteur est que suffisamment de lecteurs n’en feront qu’une lecture superficielle, qui permet de garder un semblant de cohérence) amènera en effet le lecteur à sortir de cet ouvrage plus perplexe qu’il n’y est rentré, ce qui pourrait être une bonne chose si cette perplexité ne concernait justement la remise en cause des faits aisément vérifiables :
- Selon les pages, les mêmes scientifiques (mais il faut savoir que ce sont les mêmes, bien sûr, car l’auteur ne le dit pas) sont soit des producteurs d’information dignes de foi (par exemple sur l’évolution de la température moyenne sur le dernier siècle, ou sur la teneur en CO2 dans l’air), soit des comploteurs onusiens mentant de manière éhontée.
- Toujours sur les scientifiques, l’auteur rappellera leur prudence en certains endroits, pour affirmer, sur d’autres pages, et exactement pour les mêmes informations, que « les scientifiques et les politiques » sont d’un alarmisme injustifié. Il faudrait savoir !
- Le GIEC comporterait 1500 personnes chargées de travaux administratifs ! C’est assurément beaucoup quand on sait que le GIEC ne comporte que quelques dizaines d’employés… Croizé a confondu (ou repris des déclarations publiées ailleurs sans vérifier ?) les personnes physiques qui travaillent pour le GIEC (quelques dizaines), avec les auteurs et réviseurs des rapports de synthèse produits par cet organisme (mais les auteurs desdits rapports ne sont pas plus « membres » du GIEC qu’un invité sur un plateau de télévision n’est « membre » de la télévision).
- L’auteur confond – à dessein ? – température en un point donné et température moyenne (bien évidemment une moyenne peut monter malgré une évolution locale en sens inverse), météo et climat (le climat se base sur des moyennes sur des durées longues, alors que la météo ne porte que sur les valeurs du jour ou des jours à venir), passé et avenir (le raisonnement de l’auteur consiste à dire que les émissions de gaz à effet de serre sont sans danger, puisque pour le moment aucune catastrophe n’est arrivée, mais avec ce genre de raisonnement on peut aussi dire que le tabac est inoffensif, puisque tous les fumeurs sont encore vivants !).
- L’auteur confond encore, dans son chapitre sur le carbone, les flux et les stocks.
- L’auteur estime enfin que le fait que l’on se soit trompé parfois, dans le passé, garantit que l’on se trompe sur ce dossier. S’il le dit….
Incontestablement, le livre devient meilleur à mesure que l’on s’approche de la fin :
- les tempêtes et chutes de neige, c’est la faute aux militaires, qui bombarderaient l’atmosphère avec de grandes antennes ! (chapitre 13) Peu importe qu’il y ait un rapport de 1 à 10 milliards entre l’énergie envoyée en l’air par les militaires et l’énergie solaire reçue par la Terre (l’énergie des militaires mentionnée dans le livre de Croizé représente un dix-milliardième de l’énergie solaire, donc), s’il y a des tempêtes, c’est la faute à la bombe !
- Nous apprenons aussi que l’effet de serre se produit entre 20 et 30 kilomètres d’altitude (alors qu’il se produit pour l’essentiel dans la couche qui va de 0 à 10 km du sol ; au-dessus de 20 km il n’y déjà quasiment plus d’atmosphère : n’a-t-il pas confondu avec l’ozone ?), que le CO2 est une particule (sic), que la serre atmosphérique voit ses parois s’épaissir (re-sic), que le CO2 – qui est une particule, donc – est passé de 270 à 360 par mètre cube d’air (il n’y a pas d’unité : on est passé de 270 à 360 particules ?!?!?), que le GIEC ne parle pas du méthane (alors qu’il doit y consacrer une bonne dizaine de pages dans son rapport), que nous nous adapterons aussi facilement aux changements climatiques que l’homme de Cro-Magnon, qui a eu le temps de quitter la grotte Cosquer en 10.000 ans, quand les eaux sont montées de plusieurs dizaines de mètres (effectivement, si l’adaptation au changement climatique, pour notre espèce, doit se résumer à quitter une grotte en 10.000 ans, on devrait y arriver….), que si George Bush n’a pas peur du changement climatique, c’est parce qu’il sait que ce n’est pas dangereux (l’hypothèse d’une ignorance totale de ce qu’il y a dans le dossier me semble nettement plus probable !), et le bouquet final, c’est que non seulement il ne faut pas diminuer l’effet de serre, mais il faudrait encore l’augmenter pour éviter une prochaine glaciation !
Ce qui me navre le plus, c’est qu’au milieu de cet océan d’inepties, rédigé par quelqu’un qui s’est surtout basé sur ce qu’il a lu dans le journal et non ce qui figure dans la synthèse des publications scientifiques (encore un qui se trompe de procès : ce sont les exagérations et simplifications abusives de certains de ses confrères qu’il doit condamner, non le fond du dossier auquel il ne connaît à l’évidence pas grand chose), surgit de temps à autres une réflexion fondée (par exemple sur le recours au nucléaire pour faire baisser les émissions de CO2, ou sur la confusion entre scientifiques et militants, que pourtant il entretient par ailleurs), ce qui peut abuser le lecteur en lui laissant croire que l’ensemble est crédible.
Comme il est impossible, au lecteur novice sur cette question, de repérer les quelques affirmations exactes au milieu du flot d’inexactitudes ou d’imprécisions, il vaut mieux éviter de choisir ce livre comme première lecture sur le changement climatique, surtout que l’on n’y apprendra rien sur la manière dont le problème se pose. Pour de la vulgarisation, il y en a bien d’autres ouvrages à recommander ! Par contre, pour rire un grand coup une fois que l’on a bien compris de quoi il retourne, pourquoi pas…