JOUZEL Jean, DEBROISE Anne, Le climat, jeu dangereux, éditions Dunod, 2004
(250 pages, 19€)
Jean Jouzel est directeur de recherches au CEA, au sein du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement. Il est également directeur de l’IPSL, co-président du groupe 1 du GIEC.
Anne Debroize est journaliste.
Commentaire
Ce n’est qu’au début du troisième tiers de l’ouvrage que celui-ci méritera vraiment son titre. A l’instar des livres sur le changement climatique de Gérard Lambert, ou de Jean-Claude Duplessy (du reste Jouzel, Duplessy et Lambert ont travaillé ou travaillent dans le même laboratoire, le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement), ce livre est d’abord un inventaire assez complet des méthodes qui permettent aux chercheurs de comprendre comment a évolué le climat du passé, et en quoi cela aide à déterminer comment pourrait évoluer le climat futur, reprenant en cela un thème de travail cher à Jean Jouzel (à juste titre !).
Il est en effet indispensable de disposer de deux « briques » pour comprendre au mieux ce que l’avenir pourrait nous réserver :
- savoir comment le climat a évolué dans le passé, et pourquoi,
- à partir de là, estimer quelle pourrait être l’importance respective à l’avenir des facteurs « naturels », seuls à l’oeuvre avant la civilisation industrielle, et des facteurs « humains », dont ce livre expose, après tant d’autres, qu’ils seront probablement prépondérants au 21è siècle, ce qui amène les auteurs à qualifier notre ère « d’anthropocène ».
Si le début de ce livre ressemble donc beaucoup, dans l’esprit, à de la vulgarisation « classique », le dernier tiers comporte des passages significativement plus « alertants » que ce que l’on peut trouver habituellement dans ce genre de littérature. Est-ce une conséquence de ce mariage inhabituel d’un scientifique et d’une journaliste ? Cette dernière, ne faisant en cela que son métier, d’une certaine manière, aurait-elle « poussé dans ses retranchements » le physicien, prudent par nature, mais que l’on a invité à aller jusqu’au bout de son raisonnement, en exposant quelques conclusions concrètes, bien qu’inconfortables, qu’il convient de tirer des données scientifiques ? Est-ce lié aux fonctions de Jean Jouzel au sein du GIEC, cet organisme ayant vocation à diffuser l’information pour susciter l’appropriation par les gouvernements ?
Le physicien, cependant, ne s’est quand même pas laissé entraîner trop loin de son domaine professionnel habituel. L’ouvrage ne va pas jusqu’à discuter des bienfaits – ou pas – de la fiscalité ou des droits de douane, de la nécessité ou non de diminuer notre boulimie de biens manufacturés, des avantages comparés du nucléaire et du charbon, ou du solaire et du chauffage au gaz, ou encore de l’incidence de l’aménagement du territoire actuel sur les émissions futures. Bref, si cet ouvrage invite sans équivoque chaque citoyen à s’interroger sur ce qu’il (elle) est prêt(e) à faire, il est difficile de savoir ce que les auteurs eux-mêmes voteraient si certaines questions étaient posées ! Et peut-être ne le savent-ils pas eux-mêmes….
On pourra aussi considérer que les auteurs font probablement preuve d’un optimisme excessif en affirmant que « les politiques ont pris conscience du danger », mais je subodore que cela reflète l’expérience propre de Jean Jouzel qui, par la force des choses, a surtout eu en face de lui des personnes sensibilisées puisque « en charge » du problème dans les organisations auxquelles le GIEC s’adresse. Au vu de ma petite expérience, faite de multiples envois sans réponse à des personnages politiques divers non spécialement en charge du problème climatique (maires, députés, responsables de partis…), je serais plus tenté d’affirmer que « une fraction significative des personnages politiques a pris conscience qu’il existait un problème ennuyeux, mais la fraction qui en a compris l’ampleur, les contours, et les implications d’une réduction dans les bons ordres de grandeur oscille entre ultra minoritaire et inexistante ». Cette remarque s’applique aussi aux électeurs, du reste : en démocratie, il n’y a pas de miracles.
Il n’en reste pas moins que les auteurs ont réussi leur pari, en écrivant un ouvrage dans l’ensemble simple à lire, à l’exception de quelques passages un peu techniques de-ci de-là (de toute façon assez inévitables), mais qui n’empêchent pas de mettre ce livre entre toutes les mains.