NB : L’interview m’a été soumise pour relecture. Pas le chapô (mais c’est normal).
Associé de Carbone 4, cabinet de conseil spécialisé dans la transition énergétique, et président du think tank The Shift Project, Jean-Marc Jancovici (également chroniqueur aux « Echos ») a participé au comité scientifique de la Fondation Nicolas Hulot au début des années 2000.
Propos recueillis par Benoit Georges
Quel regard portez-vous les quinze mois de Nicolas Hulot au ministère de la Transition écologique ?
Il y avait un point sur lequel Hulot aurait pu essayer de faire une différence par rapport aux ministres qui l’ont précédé, c’était d’essayer de convaincre le président que l’économie et l’écologie sont juste deux manières différentes de compter un même processus. On n’a jamais eu de ministre de l’Environnement qui ait réussi cette synthèse. Jean-Louis Borloo venait du monde de l’économie, il avait un sens de l’arbitrage, mais il manquait de compétences sur l’écologie, même s’il avait une sensibilité écologique.
De plus, un ministre de l’Environnement n’a pas pour vocation de gérer un domaine particulier : il a pour vocation de faire entrer la réalité, des contraintes physiques, biologiques, etc., dans les activités de tous. C’est un ministère qui consiste à réglementer tous les autres.
Sur le papier, le fait d’être ministre d’Etat aurait pu le permettre…
Mais être ministre demande d’aller à la lutte au couteau, avec des arguments techniques très solides, et c’est quelque chose qui n’est pas dans sa nature. Nicolas Hulot est un homme qui aime le consensus, les concepts, les émotions. Ce n’est pas quelqu’un qui aime les dispositifs techniques, les mesures concrètes, imposer des règles… Or être ministre consiste essentiellement à faire cela. Nicolas était donc à contre-emploi. Je ne sais pas quel était son objectif exact en acceptant le poste, mais le bilan, hélas, est qu’il ne se sera pas passé grand-chose.
Vous pensez donc qu’il n’avait pas sa place à ce poste ?
Il se trouve que quand il s’est lancé en politique en 2012, j’ai fait partie des gens qui lui ont dit que c’était un milieu qui n’était pas pour lui, et qu’il serait beaucoup plus utile au pays en restant dans le monde associatif, où il avait pleine et entière liberté de manoeuvre pour prendre le temps de maturer des propositions. Le temps politique est un temps court, où l’on est obligé de décider dans l’urgence en permanence.
Certes, on pouvait attendre d’un profil nouveau une manière nouvelle et pertinente de prendre le problème. Et, par ailleurs, c’est un homme qui a un contact très facile, et on pouvait imaginer que cette capacité qu’il a à nouer le dialogue aurait pu l’aider à négocier avec les autres ministères. Mais gagner un arbitrage interministériel, cela exige en général de se comporter comme une brute, et ce n’est pas du tout sa tasse de thé.
Que pensez-vous de sa phrase contre le nucléaire, qu’il a qualifié mardi de « folie économique » ?
Diminuer la part du nucléaire, ce n’est pas agir pour le climat. C’est un combat que Hulot a choisi de mener sur le tard – son combat premier concernait la biodiversité -, et sur des bases qui ne sont pas scientifiques, parce que quand vous êtes ‘politique’ dans l’Environnement, on attend de vous que vous soyez antinucléaire. A cause de cela, il ne s’est pas rallié une partie des forces vives sur lesquelles il aurait pu compter pour faire avancer son combat sur le climat. Parce que dans le monde des dirigeants économiques, je pense que les antinucléaires sont une minorité, en particulier chez les ingénieurs, qui ont compris que si le carbone est une priorité, alors le nucléaire est plutôt une solution qu’un problème.
Quel doit être selon vous le profil d’un ministre de l’environnement aujourd’hui ?
Il faut quelqu’un capable de comprendre le monde scientifique, qui est celui qui décrit l’état du monde – y compris quand cela n’est pas raccord avec l’opinion, qui peut sous-estimer la gravité du problème (par exemple dans le cas du climat, de la pêche ou de la biodiversité), ou au contraire – même si plus rarement – la surestimer (par exemple dans le cas du nucléaire). Cela permet de hiérarchiser les priorités. Il faut aussi quelqu’un qui comprenne le monde économique, parce que comme le dit très bien Brice Lalonde, les acteurs qui consomment de la nature, qui agissent sur elle, ce sont les entreprises. Il doit aussi comprendre le monde réglementaire. Il faut enfin arriver à faire comprendre à Emmanuel Macron que l’économie est dans l’environnement : si je supprime la planète, je supprime le PIB.
On voit mal qui pourrait correspondre à ce portrait…
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que dans les personnes qui sont aujourd’hui des figures connues de l’écologie politique, il n’y a pas le mouton à cinq pattes que je viens d’évoquer. Par ailleurs, tant que l’on aura un président qui n’a pas compris que l’environnement, on n’y échappe pas, que s’en occuper sérieusement est une bien meilleure alternative que de ne pas s’en occuper, y compris pour l’économie, et qu’il ne suffit pas de dire « make our planet great again » pour que les problèmes soient réglés, on ne pourra pas avoir de bon ministre de l’Environnement