NB : la version publiée sur le site du journal est précédée d’un chapô qui n’est pas soumis à relecture (et n’engage donc en rien votre serviteur !). Par ailleurs, ce qui est reproduit ci-dessous est très exactement le texte validé et amendé par mes soins envoyé à la rédaction ; je n’ai pas vérifié si il y avait eu des modifications ensuite (mais a priori non, car c’était pour le web, où il n’y a pas de problème de place)
Propos recueillis par Jean-Denis Renard
Sud Ouest : La voiture électrique est généralement considérée comme « verte » ou « propre ». Confond-on son impact local sur la pollution atmosphérique avec son impact climatique – ses émissions de gaz à effet de serre ?
Bien sûr. Dans l’esprit des gens, une voiture qui n’a pas de pot d’échappement ne pollue pas. On oublie qu’il faut produire de l’électricité pour qu’elle avance, ce qui peut émettre des gaz à effet de serre ! L’opinion publique n’est pas la seule à s’égarer. La Commission européenne a fixé des obligations aux constructeurs sur les émissions moyennes des véhicules qu’ils vendent dans l’année, et dans ce cadre une voiture électrique est considérée comme étant à zéro émission. Résultat, quand BMW met en circulation en Allemagne une voiture électrique de deux tonnes, elle est réputée ne pas émettre de CO2, alors que la moitié de l’électricité produite en Allemagne vient du charbon !
L’électricité peut être « bas carbone » comme en France où elle est surtout produite à partir du nucléaire et de l’hydraulique, ou « haut carbone » comme en Chine ou en Inde où le charbon tient une place prépondérante. Selon les pays, comment évaluer si rouler en électrique est plus vertueux pour le climat que rouler en voiture thermique ?
Tout dépend du « mix » électrique du pays considéré (NDLR : les sources de production de l’électricité, fossiles, renouvelables et nucléaire). Le point de bascule correspond peu ou prou à la situation allemande : un mix électrique composé à 45 % de charbon environ, avec moins de 10 % de gaz naturel et le reste d’énergie décarbonée (15% nucléaire et 30% renouvelables, dont 13% d’éolien et 6% de solaire). Le bilan est à peu près le même aux Etats-Unis (30% de charbon et 35% de gaz dans la production électrique, même si cela varie beaucoup par état). Pour tous les pays qui produisent leur électricité avec plus d’énergie fossile que l’Allemagne, la voiture électrique n’est pas une bonne idée pour le climat ! Ce qui est le cas majoritaire sur la planète. Au plan mondial, l’électricité est produite pour environ 40 % avec du charbon, pour 25 % avec du gaz et pour 5 % avec des produits pétroliers, du fioul lourd le plus souvent. Malgré tout, de nombreux discours politiques ou d’entreprises font comme si l’électricité était nécessairement « propre ». C’est un malentendu qui prospère… et tout le monde ne s’en plaint pas.
Il n’y aurait donc de bénéfice qu’en France ou au Brésil par exemple, où l’électricité est à 63 % d’origine hydraulique ?
Si l’électricité est produite sans émissions notables de CO2, ce qui concerne l’hydraulique, le nucléaire, l’éolien, la biomasse sous conditions (pas de déforestation induite), et le solaire sous conditions (fabrication du panneau solaire dans un pays où l’électricité est peu carbonée, et pas de stockage sur batterie), passer à l’électrique offre un bénéfice pour le climat. C’est valable pour le Brésil, mais on peut aussi citer des pays comme la Suède, la Norvège, la Suisse, le Canada, ou… la France ! Mais au plan mondial c’est hélas un nombre limité de pays qui est concerné. Mais, en plus de l’énergie pour rouler, il faut aussi intégrer au bilan l’énergie nécessaire à la fabrication de la voiture et sa batterie. Or, pour une voiture électrique, il faut autant d’énergie pour produire la batterie que pour le reste de la voiture, de telle sorte que, pour la fabrication, on est dans un rapport d’un à deux entre une voiture thermique et une voiture électrique de même capacité et mêmes performances. La batterie nécessite de la métallurgie et de la chimie en amont, des activités très énergivores. Au final, une voiture électrique d’une tonne, qui parcourt 200 000 kilomètres au cours de sa vie, engendre au moins 50 grammes de CO2 par kilomètre du seul fait de sa fabrication.
Ce bilan carbone défavorable s’applique-t-il toutes les catégories de véhicules électriques ?
Non, car le rendement d’un moteur thermique diminue avec la taille du moteur, en première approximation. Le moteur thermique de votre voiture a un rendement qui va de 20 % à 40% selon les conditions de circulation (l’énergie mécanique qui fait avancer le véhicule est égale à 20 % à 40% de l’énergie libérée par la combustion du carburant, le reste est perdu sous forme de chaleur dans le moteur). Pour un moteur électrique, le rendement monte à 80 % (seulement 20% sont perdus sous forme de chaleur dans le moteur). Mais le petit moteur d’un scooter de 150 kilos, surtout s’il est deux temps, aura un rendement bien plus bas. C’est pour cela qu’un scooter va consommer trois litres aux 100 km, alors qu’une voiture d’1,5 tonne – 10 fois plus lourde – ne fera « que » cinq litres. Mais en électrique, le rendement est toujours aussi bon pour un petit moteur. Un scooter électrique va consommer très peu. Et donc, passer à l’électrique pour un scooter évite du CO2 même si l’électricité est produite avec du charbon, à cause d’un très fort gain sur le rendement du moteur. Pour des voitures familiales en revanche, tant que le monde possèdera 35 fois plus de centrales à charbon qu’il n’y a de réacteurs nucléaires en France, l’électrique ne fera rien gagner du tout.
La Chine a annoncé qu’elle réfléchissait à la conversion de son parc automobile en électrique, sans donner de date pour l’instant. Il s’est vendu 28 millions de véhicules neufs en Chine en 2016. A l’échelle planétaire, disposerait-on de suffisamment de matières premières pour fabriquer des batteries automobiles ?
C’est une des grandes questions. Pour électrifier la flotte automobile mondiale (1 milliard de voitures), il faudrait multiplier par plus de 100 la capacité actuelle de production de batteries du type lithium-ion. En est-on capable dans les délais demandés par l’action contre le changement climatique ? Et dispose-t-on de suffisamment de lithium accessible ? A ma connaissance, pour le moment personne n’a regardé cette question de manière sérieuse.
Avec toutes les limites que vous mettez en exergue, comment expliquez-vous qu’on présente la voiture électrique comme la solution idéale ?
Parce que, dans notre monde « libre » où vous pouvez affirmer ce que vous voulez tant que vous n’insultez personne, vous ne pouvez pas empêcher des dirigeants d’entreprises, des responsables politiques et des militants associatifs d’affirmer que c’est possible – parce que cela correspond soit à leurs envies, soit à leur intérêt que l’on y croie – sans avoir fait le moindre calcul pour le vérifier. Vous ne pouvez pas plus empêcher la presse de le répéter sans s’être donné le temps de le vérifier. Et une fois que dix années de slogans simplistes ont tourné en boucle, une majorité de la population le prend pour acquis. La voiture électrique n’est pas le seul sujet où un malentendu s’est installé de la sorte !
A usage égal, quel serait l’impact sur le réseau électrique français de la conversion du parc automobile ?
Nous consommons actuellement 50 millions de tonnes de pétrole par an pour les transports routiers. Tout passer à l’électrique demanderait de rajouter en gros la moitié de la consommation électrique actuelle en France. Par ailleurs, nous disposons en France d’une puissance « pilotable » (que l’on peut mettre en route quand on le désire : nucléaire, fossile, barrages, mais ni éolien ni solaire) d’environ 100 GW (gigawatts) électriques. Si on imagine recharger tous les soirs 30 millions de voitures électriques pendant deux heures, il faudrait appeler… 700 GW. Même en étalant sur toute la nuit, et même en ne rechargeant pas tous les véhicules, il y a un moment où ça coince dans l’équation. Notons par ailleurs que la loi de Transition énergétique de 2015 prévoit une baisse de 50 % de l’électricité d’origine nucléaire. Si elle devait être appliquée à la lettre, on perdrait une partie de la puissance pilotable, et ca n’aiderait pas à recharger 30 millions de véhicules ! Cette contradiction illustre surtout le besoin d’une stratégie cohérente. La règle actuelle, c’est plutôt : on annonce la première chose qui fera bien auprès de l’opinion, et on réfléchit après seulement à sa faisabilité. Malheureusement, l’énergie c’est de la physique, et vous ne changerez pas les lois de la physique parce que ca ferait plaisir aux électeurs…
A vos yeux, quelle stratégie serait cohérente ?
Pour baisser rapidement la consommation de pétrole dans les transports, il faut jouer sur plusieurs tableaux. Côté voitures, il faut les faire plus légères et plus petites, pour baisser rapidement leur consommation réelle à 2 litres aux 100. Ce serait un moyen efficace de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le domaine des transports. Si vous vous fixez cet objectif, il suffit de donner des règles claires aux constructeurs automobiles et aux propriétaires de voitures, avec d’une part des obligations réglementaires et d’autre part une fiscalité adaptée, et vous obtenez des résultats sans changer le système de motorisation des véhicules, sans bouleverser la chaîne d’approvisionnement en carburant et sans devoir installer 500 GW de puissance électrique ! Une fois qu’on aura habitué le consommateur à cette mutation, on pourra d’autant plus facilement passer à la voiture électrique, qui représente assurément une vraie bonne idée, mais à plus long terme, avec moins de voitures, et une électricité mondiale qui aura pris le temps de se décarboner pour de vrai (pour le moment l’éolien et le solaire ne changent pas significativement la donne). Dans l’état actuel du marché, celle-ci n’est rien d’autre qu’un rêve high-tech parmi d’autres. « Vendre » l’idée que la voiture électrique familiale pour M. Tout-le-Monde va régler le problème du CO2 dans les transports, dans un contexte de pouvoir d’achat qui sera au mieux stable, et plus probablement en contraction, c’est mentir.
On veut augmenter la place de la voiture électrique, on veut aussi réduire celle du diesel. Au sens de l’Accord de Paris sur le climat, est-ce logique ?
A nouveau, les faits montrent que ce n’est pas si simple. D’abord, le diesel émet plus de particules mais moins de CO2 que la voiture à essence. Que privilégier ? Et surtout, il y a un petit problème : produire du diesel, vous ne pouvez pas l’éviter dans une raffinerie !. Cette dernière vous fournit toujours, pour environ 30 % du pétrole entrant, des « middle distillates », ensemble constitué du fioul domestique, du gazole, et du kérosène (pour les avions). Si on supprime le fioul dans le chauffage, si on supprime les moteurs diesel et qu’on se donne pour objectif de réduire les transports aériens qui sont mauvais pour le climat, que fait-on de ces 30 % ? Les raffineries ne se transforment pas en un claquement de doigts, sur la seule foi d’une déclaration politique. Il serait beaucoup plus intéressant de diminuer dans le même mouvement les consommations d’essence et de gazole pour restreindre peu à peu les capacités de raffinage. Là encore, la prime est à l’annonce à l’emporte-pièce sans s’être donné le temps d’une réflexion sur la meilleure – ou la moins mauvaise – manière de faire.