NB : L’interview m’a été soumise pour relecture. Pas le chapô (mais c’est normal).
Dans le plan d’Edouard Philippe, le gel pour six mois de la taxe sur les carburants. Cette dépendance au pétrole « reste un angle mort » pour le spécialiste de l’écologie Jean-Marc Jancovici.
Propos recueillis par Cécile Frangne
Les annonces d’Édouard Philippe sont-elles une mauvaise nouvelle pour la transition écologique ?
Proposer un moratoire, si c’est une étape dans une solution construite, cela ne pose pas de problème. En revanche, si le gouvernement voit l’épisode actuel comme un simple orage qui passera – ce que je crains – cela devient grave. Car, quand la France a commencé la transition énergétique, elle ne s’est occupée ni de mobilité ni d’énergie fossile : elle a investi dans d’électricité, et préféré baisser le nucléaire. Notre dépendance au pétrole reste un angle mort.
La mobilisation contre l’augmentation du prix du carburant était-elle prévisible ?
Oui ! Le gouvernement a géré dans l’urgence un problème dont il aurait dû s’inquiéter depuis longtemps. On sait très bien depuis 2008 que la production de pétrole conventionnel (hors sables bitumineux et pétrole de schiste) baisse. Par conséquent, la consommation de pétrole dans les pays de l’OCDE a décru parce qu’il n’y en avait plus autant qu’avant. Cela s’est traduit par des prix qui augmentent (de 2005 à 2008, puis 2010 à 2014, et de nouveau actuellement). Or, dans une économie qui commence à manquer de pétrole, ceux qui souffrent le plus sont ceux qui habitent loin des villes.
A quelle transition est affectée la fiscalité sur les carburants ?
Aujourd’hui, sur les 33 milliards de taxes que l’on prélève sur le carburant, 5 milliards vont financer les panneaux solaires et les éoliennes, et cela devrait passer à 7 en 2019. Les éoliennes et panneaux solaires augmentent en retour le prix de l’électricité par rapport au nucléaire existant. Ce plan augmente les importations, donc détruit de l’emploi, et ne fait rien gagner sur le CO2, puisque l’électricité supprimée, le nucléaire, en produit peu. L’État français a déjà signé pour 120 milliards d’euros de contrats. Vous en auriez fait des choses pour des gens qui ne peuvent pas se déplacer avec 120 milliards d’euros !
Que doit-il faire dans les prochains mois ?
Il n’y a pas de solutions immédiates, malheureusement. Quand vous taxez la cigarette, l’alternative est d’arrêter de fumer. Si vous voulez faire que les gens cessent de consommer du carburant, vous devez leur proposer des alternatives. Les Gilets jaunes sont des gens qui n’en ont pas assez. Le gouvernement doit rediriger les milliards qu’il dépense dans l’éolien et le solaire pour les mettre d’une part dans l’aide à la mobilité, en développant notamment les lignes de bus, de train, le covoiturage et le vélo électrique. D’autre part, il doit mettre fin au fioul dans le chauffage des ménages modestes, par passage à la pompe à chaleur ou au bois.
En a-t-il les moyens politiques ?
Plus le temps passe, moins il en aura. Mais il n’a de toute façon pas le choix. Abdiquer sur la transition écologique ne serait pas responsable, car le pétrole va continuer à baisser en volume, et le climat continuer à se détériorer.