NB : L’interview m’a été soumise pour relecture. Pas le chapô (mais c’est normal).
Jean-Marc Jancovici est enseignant à l’Ecole des Mines et fondateur de la société Carbone 4. Il anime aussi The Shift Project destiné à accélérer la transition énergétique.
Propos recueillis par Irène Inschauspé et Muriel Motte
Le transport aérien est-il réellement plus polluant que les autres moyens de transport ?
Sur un long courrier, un passager consomme 3 à 4 litres de carburant pour 100 km. C’est un peu plus sur un moyen ou un court courrier. Grosso modo, à distance identique une personne consomme autant de carburant en avion que seule en voiture.
Si vous faites une comparaison à l’heure, l’avion devient plus polluant. Une heure en voiture, c’est environ 100 km. Une heure en avion c’est plutôt 800 km, donc une trentaine de litres de carburant par passager. Le plus pertinent est de raisonner en terme de voyage. Quand vous entrez dans un avion, vous allez consommer plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de litres de carburant. Un aller Paris-New York, c’est environ 250 litres de kérosène par passager.
Si vous prenez votre voiture pour aller en vacances, vous allez consommer environ de 10 à 20 litres par personne selon le nombre de passagers (souvent deux et parfois plus). Par déplacement, l’avion consomme beaucoup plus de carburant et du coup, il va émettre beaucoup plus de CO2. Le différentiel est encore plus élevé avec le train qui, en France, où l’électricité n’est pas carbonée, est 3 à 4 plus efficace que la voiture en matière d’émissions de CO2, même en tenant compte de la construction de la voie.
Mais l’avion est souvent beaucoup moins cher que le train ….
Il y a plusieurs explications à cet écart. D’abord, le coût des infrastructures au sol est moins important pour l’avion que pour le train : deux aéroports et l’atmosphère, gratuite, pour le premier, mais deux gares et la voie ferrée entre le deux pour le second. Or ce sont les opérateurs ferroviaires qui payent l’entretien du réseau et ce coût se retrouve dans le prix du billet.
Ensuite, le carburant aérien n’est pas taxé, ce qui est une exception dans les transports. Si l’on lui appliquait le niveau de fiscalité de l’auto, ce serait plus d’un doublement du prix du billet d’avion ! Enfin, le personnel navigant des compagnies low cost n’a probablement ni les mêmes horaires ni les mêmes salaires que le personnel SNCF, et les charges sociales ne sont pas les mêmes. Les gens qui prennent l’avion peuvent toujours penser « après moi le déluge », comme si les conséquences de leurs actes ne devaient jamais exister. Elles sont pourtant bien réelles.
Vous avez décidé de ne plus prendre l’avion, comment faites-vous ?
Je ne l’ai pris qu’une fois sur les 20 dernières années – à mon corps défendant ! – pour motif personnel. Dans le cadre professionnel, je le prends le moins possible, en fonction de l’enjeu. Si je pense que mon déplacement peut avoir une influence directe sur une baisse des émissions par ailleurs, je m’y résous, mais sinon je refuse. Je l’ai pris par exemple pour aller à une réunion à la Banque Mondiale à Washington parce qu’il s’agissait d’un atelier d’experts sur le changement climatique qui pouvait influer la politique de prêts de cet organisme. Sinon, je ne me déplace qu’en train. Franchement, ce n’est pas un gros sacrifice que de renoncer à l’avion pour ses vacances, ou de le limiter fortement même pour « le business ». Si on n’est pas capable de faire cet effort là pour le climat, ca augure très mal pour le reste.