Interview parue dans Le Parisien du 10 novembre 2025.
Comme d’habitude, le chapô précédent l’interview, que je reproduis ci-dessous, est de la rédaction du journal et non soumis à relecture, tout comme le titre. Le texte de l’interview ci-dessous est la version relue et amendée par mes soins qui a été envoyée au journal. Entretien réalisé par .
Alors que la COP30 s’ouvre ce lundi au Brésil, le créateur du bilan carbone, spécialiste de l’énergie et du climat, Jean-Marc Jancovici, estime que la décarbonation doit devenir un « projet de société ». Et il reste, selon lui, des raisons d’espérer.
Quand on est inventeur du bilan carbone, que l’on remplit des salles de conférence pour vulgariser les rouages du système énergétique et climatique mondial, on est une voix qui résonne dans le domaine de l’écologie
Le secrétaire général de l’ONU a admis avant la COP30 que le monde avait « échoué » à limiter le réchauffement climatique à +1,5°C et qu’il fallait aller plus vite pour réduire nos émissions. Partagez vous ce constat d’échec ?
Bien sûr qu’il faut accélérer. Lorsqu’on rajoute du CO2 dans l’atmosphère, il est très difficile de l’en extraire ensuite. Si l’on arrêtait du jour au lendemain d’en émettre, il faudrait plus de 10 000 ans pour que le dioxyde de carbone supplémentaire que l’on a émis depuis la période préindustrielle s’évacue. Le monde est un peu dans la position d’un cycliste qui n’a plus de freins et sait qu’il va devoir s’arrêter avec un talus ou un choc : il n’a pas intérêt à prendre encore plus de vitesse !
Quel impact ?
Les dégâts que provoque déjà le réchauffement climatique. Plus il va s’accentuer, moins notre vie quotidienne sera confortable, et investir dans la décarbonation de l’économie, c’est d’abord permettre que l’on conserve ce que l’on a aujourd’hui : des forêts qui vivent, des logements qui soient encore habitables en période de canicule, des maisons qui ne se fissurent pas sous l’effet de la sécheresse, des cultures suffisantes, de l’eau en suffisance. Plus le réchauffement augmentera, plus on subira par exemple des maladies émergentes, et plus l’agriculture française qui nous nourrit souffrira du stress thermique et hydrique. Lutter contre le changement climatique n’est pas très éloigné d’un effort de guerre.
C’est coûteux un effort de guerre, surtout quand il n’y a plus d’argent dans les caisses.
Ce serait encore plus coûteux de tarder à s’adapter et à réduire nos émissions. Par exemple, 10% de l’économie française est liée au tourisme. Si la France perd une partie de ses paysages, ca se paiera !
On ne sent pourtant pas un élan dans ce sens COP après COP. Plutôt des réticences à agir de la part de certains états.
Les COP répondent à un processus onusien. Or, l’ONU n’est pas le chef du monde. Elle n’ira jamais dire à un pays, droit dans les yeux, que ce qu’il fait n’est pas bien. Les traités internationaux auxquels les pays adhèrent sont basés sur l’effort volontaire.
Alors les COP ne servent à rien ?
Il ne faut pas en attendre des miracles, mais elles font vivre le sujet, ce qui est un début. On dit souvent, à tort, que la COP de Copenhague a été un échec alors que c’est cette année là que les dirigeants avaient pour la première fois évoqué l’impératif de contenir le réchauffement sous 2°C. Sans Copenhague, il n’y aurait pas eu d’accord à Paris. Et derrière, en cascade, les entreprises, les collectivités locales se sont mises en action avec cet objectif en tête. Ca a permis à l’UE par exemple de se fixer une feuille de route et à la France de s’engager sur un objectif de réduction des gaz à effet de serre qu’elle n’est pas loin d’avoir atteint.
Mais n’est ce pas désespérant de voir Donald Trump relancer sa production pétrolière et bouder les COP ?
La production de pétrole avait déjà quasiment doublé sous la présidence d’Obama ! Et même pendant les COP, Biden comme Obama n’ont jamais voulu que l’on remette en cause le mode de vie américain, même s’ils parlaient de manière policée et aimable. Trump ne fait qu’exprimer de manière violente et outrancière l’état d’esprit profond d’une grande partie des américains, y compris dans le camp démocrate.
Son climato-scepticisme ne vous pose pas de problème ?
Ce qui me pose davantage de problème, c’est sa chasse aux sorcières lancée contre les scientifiques qui va mettre à mal toute l’information que les Etats-Unis fournissaient jusqu’ici au monde en matière d’observation climatique grâce à la Nasa et aux nombreuses stations de mesures américaines. En affaiblissant la recherche américaine sur le climat, il obscurcit la vision de tous.
A vous entendre, il y a peu de raisons d’espérer.
Il y en a au contraire. Les émissions de gaz à effet de serre n’ont certes jamais été aussi élevées dans le monde, mais elles baissent en Europe. Le fait qu’il faille d’urgence se décarboner est très largement partagé dans le monde. Même si cela cahote un peu, on voit de plus en plus de voitures électriques, de bâtiments mieux isolés. Quant au climatosecpticisme, il est beaucoup plus fort au sein de certains partis politiques que de la population. Même au sein du RN, les dirigeants sont plus trumpistes dans leurs discours et davantage dans la surenchère que leurs électeurs.
Le slogan « Make our planet great again » d’Emmanuel Macron a-t-il fait pschitt ?
Je ne vais pas tirer sur l’ambulance (rires). Quand Trump 1 s’était retiré des accords de Paris et qu’Emmanuel Macron avait lancé ce slogan, j’avais posté un message disant que cela offrait sur un plateau d’argent la possibilité au Président français d’avoir un destin mondial, une vision gaullienne en inventant la décarbonation à la française avant les autres. C’est très exactement ce qu’ont fait… les Chinois, qui nous inondent en panneaux solaires et voitures électriques. La France, elle, a pour le moment raté cette opportunité de faire de la décarbonation un grand projet de société. Mais la partie n’est pas finie.
En est-il seul comptable ?
La classe politique française dans son ensemble n’a pas compris l’importance de ce qui est physique et biologique. Les politiques ont beaucoup de mal à lever les yeux et à sortir des logiques de court terme pour avoir le sens de l’histoire.
Mais que répondre à ceux qui dénoncent une écologie punitive ?
C’est un slogan « putaclic ». La vie en société demande des règles, donc des interdictions, qui sont paradoxalement les garantes de notre liberté. C’est l’interdiction de rouler à gauche qui vous garantit la liberté d’utiliser votre voiture ! Ce slogan drague démagogiquement les Français qui s’estiment déjà en situation de déclassement, et qui ne voient que l’effort dans la transition. Mais décarboner la société, c’est défendre notre santé, notre économie, la ruralité, ou notre souveraineté alimentaire. L’adhésion à un tel projet va aujourd’hui très au-delà du vote pour le parti écologiste.