Interview parue dans l’Usine Nouvelle du 27 novembre 2020
Vous êtes écolo et restez l’avocat du nucléaire, pourquoi ?
Et pourquoi pas ? Est-ce que moins de danger signifie obligatoirement moins de nucléaire ? Une énergie sans inconvénients, cela n’existe pas. Sans nucléaire, il y a 3 possibilités : soit pas d’électricité, soit des combustibles fossiles, qui contribuent au changement climatique et à la pollution locale, soit des énergies renouvelables nécessitant une activité minière et une occupation d’espace 10 à 1000 fois plus importantes. La construction du barrage des Trois Gorges en Chine a conduit à évacuer cinq fois plus de personnes qu’à Tchernobyl. Les déchets nucléaires, qui font si peur, sont produits en toutes petites quantités, donc il existe des modes de gestion. La réalité est hélas plus complexe qu’un nucléaire diabolique et des alternatives merveilleuses. Dans notre pays, il y a une sur-représentation médiatique chronique des inconvénients du nucléaire, qui ne résiste pas à l’examen des faits.
A l’étranger, certaines voix écologistes s’interrogent désormais sur la pertinence de recourir au nucléaire…
Oui, le parti vert Finlandais est désormais pro-nucléaire, et en juillet dernier deux anciens militants allemands anti-nucléaires ont publié une tribune appelant leur pays à conserver ses réacteurs en service, et à plutôt supprimer du charbon. Ce point de vue devrait s’amplifier. Tout décarboner avec du solaire et de l’éolien à notre niveau actuel de consommation d’électricité, cela n’arrivera pas. Il faudrait probablement consommer 10 ou 20 fois moins pour cela ! Il faut donc remplacer l’énergie fossile par du bas carbone « pilotable », car nous avons bâti toute notre société sur le respect des horaires.
Les capacités de stockage ne vont-elles pas modifier la donne sur les renouvelables ?
Aujourd’hui, il y a 7 200 GW de puissance électrique installée sur terre, et 170 GW de puissance de stockage, c’est-à-dire 2 % de la puissance de production. Et sur ces 2 %, 0,5 % sont des batteries. Nos enfants mourront qu’il n’y aura toujours pas une production électrique proche de l’actuelle fournie pour l’essentiel par des moyens intermittents et des batteries.
N’y-a-t-il pas un bouquet de solutions à mettre en œuvre ?
Sur le stockage, aucune nouvelle technologie ne violera les lois de la physique. Le stockage électrochimique consiste à exciter des électrons dans des atomes de métal. Plus le métal est léger, plus il y a d’électricité stockée par unité de poids. Le lithium est le métal le plus léger sur terre, donc on ne fera rien de mieux que la chimie du lithium. On est à 250 Wh par kilo, on montera peut-être à 300, voire 1000, mais pas à 10.000. Avec tout le lithium sur terre, on ne pourrait stocker que quelques jours de la production électrique mondiale.
L’Agence internationale de l’énergie envisage une production électrique largement basée sur les renouvelables
Leur scénario « zéro émission nette » relève hélas d’Alice au pays des merveilles. Il implique de fermer les deux tiers des centrales à charbon en dix ans. C’est, malheureusement, irréaliste. Le scénario prévoit aussi 5% d’efficacité énergétique en plus chaque année , alors que depuis 1900 il n’y a jamais eu mieux que 1,5 % par an en tendance longue.
La filière nucléaire française ne s’est-elle pas sabordée toute seule ? A part l’EPR, elle n’a rien en catalogue ?
Les problèmes de la filière française sont, pour partie, le résultat d’une politique de « stop and go » de l’Etat, au gré des enjeux électoraux. Cela finit par être délétère sur une filière du temps long. Si le temps qu’EDF reprenne ses esprits, on demande aux Chinois de construire trois réacteurs en France, cela ne me dérangerait pas plus que cela !
Vous excusez facilement les responsabilités passées d’EDF et d’Areva ?
Avec le premier EPR à Olkiluoto, en Finlande, Areva a voulu monter trop de marches à la fois : nouveau réacteur, nouveau pays, et nouveau métier, puisqu’ils ont voulu être maître d’œuvre. Areva a donc « fauté ». Mais si l’Etat actionnaire avait eu une politique nucléaire constante, cohérente, ordonnée, et informée, il aurait entre autres empêché Areva de faire cette bêtise.
La bonne politique énergétique de la France, ce serait quoi ?
D’abord, il faut arrêter de penser qu’énergie = électricité. Il n’y a pas de raison de changer une électricité déjà décarbonée, or l’essentiel de nos moyens est consacré à cela ! En développant l’éolien et le solaire chez nous, nous perdons sur tous les tableaux : pas de baisse d’émissions, moins d’emploi car on augmente les importations. Enfin nous allons garder la puissance nucléaire en garantie mais baisser son facteur de charge, en fonction du vent et du soleil. Première possibilité : EDF augmente le prix du KWh pour avoir les moyens d’entretenir un parc resté identique avec une production diminuée. Le consommateur paie alors deux fois : une fois pour le nucléaire, et une autre pour les ENR. Deuxième possibilité : EDF doit être périodiquement recapitalisée. Et tout cela pour perdre de l’emploi et ne rien gagner en CO2 ni en risque nucléaire ! Il faut arrêter tout de suite..
La bonne transition, chez nous, est de nous débarrasser du pétrole et du gaz fossiles, et du peu de charbon que nous utilisons. Les chaudières fioul et gaz peuvent être remplacées par des pompes à chaleur, fabriquées en France. Une partie de la chaleur industrielle peut aussi être électrifiée. Ensuite le gros du pétrole c’est les transports, et le pétrole c’est les deux tiers de notre CO2. Le cocktail de solutions inclut moins de voitures, plus de marche, de vélo, et de transports en commun, et l’électrification de l’essentiel de ce qui reste mécanisé.
Que peuvent faire les entreprises ?
De leur propre initiative, elles peuvent déjà bien comprendre le contexte dans lequel nous sommes, et réfléchir à ce qu’il y a comme possibilités avec des contraintes physiques qui vont malheureusement augmenter. Ensuite, si une partie de l’action peut venir de leur propre chef, rapidement il leur faudra un cadre fourni par l’Etat. Cette stratégie d’ensemble doit être élaborée en comprenant les déplacements d’emplois associés, pour éviter la casse sociale. Au Shift project, nous sommes en train de travailler sur un « plan de transformation de l’économie française » qui regarde justement comment s’organiser pour avoir des émissions qui baissent de 5 % par an, ce qui est nécessaire pour ne pas franchir la limite des 2°C.
Donc 5% de PIB en moins ?
Avec 1% à 1,5% d’efficacité CO2 par an, ca ferait arithmétiquement 3,5% de PIB en moins par an. Malheureusement, la croissance verte ça n’existe qu’à l’Assemblée nationale ! Ce qui peut exister, c’est un amortissement de la contraction. C’est garder l’espoir dans un monde où on va nécessairement se mettre au régime. Faute de sobriété, le système se régule par l’effondrement. La conséquence de « je ne fais pas d’effort », c’est hélas les efforts qui arrivent par accident, et le covid est une possibilité parmi d’autres.
Qu’est-ce que vous faites à titre personnel pour être en accord avec vos idées ?
Ce que je peux ! J’ai changé de métier. Je me passe de voiture au quotidien, et je ne prends l’avion que très rarement, quand je pense que l’enjeu impose de ne pas refuser. J’ai fortement diminué ma consommation de viande rouge. Je suis un « tout petit acheteur », mais c’est sans mérite, car je fais partie des hommes que l’on doit traîner dans les boutiques. J’ai isolé une partie de ma maison. Je dois encore changer ma chaudière au gaz par une pompe à chaleur et, j’avoue, j’ai un péché mignon, le ski.