NB : l’interview a été relue par mes soins avant parution, et tous mes souhaits de correction ont été pris en compte, sauf… pour la réponse à la première question (sans que je sache bien pourquoi !). Sous la forme publiée, cette réponse est pour le moins un peu nébuleuse, et comme je n’ai pas conservé la version corrigée par mes soins, je ne suis hélas pas capable de vous la proposer ici…
Environnement. Les représentants de près de 180 pays et de dizaines d’associations débattent du changement climatique, en plus de centaines d’observateurs indépendants. Jean-Marc Jancovici, spécialiste de la fiscalité carbone, pose un regard éclairé sur la réunion.
Propos recueillis par Antonin Sabot / Parismatch.com
Parismatch.com : Comment la réunion de Poznan se déroule-t-elle ?
JMJ : Au départ cela fait l’impression d’une grande foire. On ne sait pas trop qui négocie quoi et avec qui ni où se passent toutes les négociations. En réalité les discussions sont découpées en plusieurs niveaux et sujets. Chaque atelier discute d’une partie des négociations et tente de voir jusqu’où il peut aller. Ensuite, les ateliers font remonter leurs conclusion à un atelier d’un niveau supérieur qui valide à son tour plusieurs éléments et fait remonter à un autre niveau. Ce sont des discussions techniques qui remontent petit à petit pour aboutir à un accord global. Ce qu’il y a de difficile pour l’observateur extérieur, c’est qu’on à affaire à une énorme négociation et qu’il est donc difficile de dire dans quel sens ça va, puisque ce sont des petits bouts qui s’ajoutent. Autre difficulté, comme il y a 180 membres, et que les décisions se font par consensus, un membre acharné sur un point peut bloquer la discussion. Mais on part du principe que s’il souhaite ensuite faire entendre son avis sur un autre point il doit lâcher quelque chose sur le premier. Ça ressemble finalement beaucoup à des discussions diplomatiques.
Sur les nombreux participants, il y a des industriels venus défendre leurs intérêts ?
Il y en a, mais les industriels ne peuvent pas recevoir d’accréditation (une accréditation est une autorisation d’entrer dans l’enceinte de la conférence et d’assister à tout ou partie des négociations) au nom de leur entreprise. Les accréditations sont données aux représentants des gouvernements (fonctionnaires ou salariés d’institutions publiques) et aux représentants d’associations qui travaillent dans l’environnement. Les représentants d’industriels présents sont reconnus seulement au titre des associations professionnelles dont ils sont membres par ailleurs.
Quels sont les principaux axes de travail qui se détachent ?
Ça va vraiment dans tous les sens. Dans certaines négociations, les observateurs extérieurs dont je fais partie ne sont pas admis et ne peuvent pas savoir ce qui se passe. Sur d’autres en revanche nous sommes admis. Et il y a de très nombreux « side events » qui se passent en marge des négociations. L’un des sujets du moment c’est la « capture et séquestration » qui permettrait de récupérer le gaz carbonique provenant de centrales au charbon puis de l’enfouir sous terre pour éviter de le mettre dans l’atmosphère. L’Europe propose par exemple de déployer une douzaine de prototypes d’ici 2020 pour démarrer une phase industrielle ensuite.
Le risque est grand de voir les négociations capoter. C’est une issue que vous envisagez ?
Il est difficile de répondre à une question posée de cette manière, car quand on négocie sur des dizaines de points il faudrait pouvoir dire à quel moment il y a échec ! S’il y a 125 points dans un texte et que l’on se met d’accord sur 124, est-ce que c’est un échec ? De plus, le traité qui prendra le relais du protocole de Kyoto ne sera signé qu’à Copenhague, l’année prochaine. Ici on cherchera à se mettre d’accord sur certains points et sur le reste on reprendra la discussion là où elle a été laissée.
Le président élu américain Barack Obama a annoncé qu’il s’attaquerait aux émissions de gaz à effet de serre (GES) aux Etats-Unis. C’est un espoir pour les participants à la réunion de Poznan ?
Bizarrement son nom est loin d’être sur toutes les lèvres comme certains s’y attendaient. On ne le voit plus comme un obstacle, mais ça ne va pas plus loin. Et puis il a tout de même réintégré dans son gouvernement des membres de l’administration Clinton qui étaient en place au moment du refus des Etats-Unis de ratifier le protocole de Kyoto. Par contre il est assez notable que les USA sont très peu
présents dans le déroulement des échanges : ils organisent très peu de « side events », dans les quelques salles de négociation où je suis allé ils ne prennent pas la parole (par exemple ils ne font pas parler d’eux lors des échanges sur la capture et séquestration du CO2, qui est pourtant un sujet majeur pour eux puisque 50% de leur électricité est faite au charbon), etc. A la conférence de presse qu’il organisait, le représentant des USA a clairement donné l’impression qu’il était là sans mandat, pour faire de la figuration. Ceux vers qui les regards sont le plus tournés sont les européens, les Indiens, les Chinois et les Brésiliens.
Justement, les récentes hésitations de l’Europe lui font-elles perdre son rôle moteur?
En tout cas cela la fragilise, c’est évident. Et le fait que le « paquet énergie climat » ne soit discuté que le 11 et 12 [décembre], pile au moment de la fin de la réunion de Poznan, est un hasard du calendrier particulièrement malheureux. Les négociateurs européens vont être obligés de s’adapter à chaud, et cela les empêche d’occuper une position d’avant-gardistes confirmés cherchant à entraîner le reste du monde. Il y a une des associations présentes ici qui distribue tous les jours une « contre récompense » : le « fossile du jour ». Hier il a été remis à l’Europe pour ses décisions vis-à-vis de la Pologne notamment et de ses centrales au charbon (la Pologne, dont toute l’électricité est produite au charbon, ne veut pas que ses électriciens aient besoin de payer en achetant les quotas aux enchères, ndlr). La proposition de Nicolas Sarkozy de fournir des quotas gratuits à la Pologne est l’exemple même de la mauvaise solution. Dans ce genre de situation il valait mieux rester ferme sur les objectifs mais en compensant par des aides dans d’autres domaines. Par exemple en aidant la Pologne à investir dans son efficacité énergétique ou dans des prototypes de centrales avec capture et séquestration, bref tout sauf une « détaxation » du CO2.
La crise économique aura-t-elle un impact sur les négociations ?
Un peu, car les pays du Sud ont amèrement reproché aux pays du Nord de trouver si facilement de l’argent pour sauver le crédit mais pas pour sauver la planète et les hommes. Mais ce n’est pas omniprésent dans les esprits, loin s’en faut. Il y a même – très étonnamment – dans l’idée de tout le monde que de toute manière l’économie va repartir de l’avant et que le vrai problème reste de limiter des émissions qui ne peuvent que monter. Or il faut que les décideurs se rendent compte que précisément il va arriver un moment où la crise de ressources sera telle que l’économie ne se relèvera pas. Ce que nous sommes en train de vivre en ce moment est pour moi une répétition à petite échelle de ce qui nous attend dans pas si longtemps que cela si nous ne changeons pas de paradigme. Or ce changement n’a clairement pas lieu. Les annonces en faveur de l’industrie automobile sont ainsi l’illustration parfaite d’une croyance profonde que le monde reste assez vaste pour continuer notre expansion. C’est hélas faux. La relance de la machine, telle qu’elle est faite actuellement, va juste nous permettre d’entrer dans le mur un peu plus fort la prochaine fois. N’attendons pas d’en faire l’expérience à nos dépends !