Propos recueillis par Jean-Louis Caffier
Jean-Marc Jancovici est l’ingénieur référence du couple Energie-Climat. C’est l’inventeur du Bilan Carbone, le co-fondateur (avec l’économiste Alain Grandjean) de la société Carbone 4 qui conseille quelques unes des très grandes entreprises françaises. Proche conseiller de Nicolas Hulot, ce polytechnicien-écolo-atypique estime par exemple que le nucléaire est davantage une partie de la solution qu’une partie du problème et que les énergies renouvelables seules ne suffisent pas à gérer la transition. Forcément, il en énerve beaucoup mais séduit aussi ceux qui pensent que l’avenir s’écrit plus avec des chiffres qu’avec des dogmes. Quand on lui parle des risques du nucléaire, il n’hésite pas à citer les 10.000 morts par an dans les mines de charbon ou le million de victimes annuelles des accidents de la circulation. Sans oublier son engagement résolu dans la lutte contre le réchauffement climatique aux conséquences infiniment plus sérieuses qu’une explosion de réacteur ! « Janco » est un homme à écouter attentivement.
L’Hémicycle – Pourquoi l’énergie devrait-elle devenir un sujet central de la prochaine campagne présidentielle et du débat politique en général ?
JMJ : Ce qu’on attend des élus, c’est qu’ils s’occupent en priorité de l’économie et du social. Or, la croissance économique est totalement asservie à l’énergie. Il est très difficile de faire croître l’économie si on n’additionne pas une baisse des prix de l’énergie et une augmentation de l’approvisionnement. Nous sommes proche du phénomène inverse. La production de pétrole a atteint son pic. Vont suivre un plateau puis une baisse de production (déjà effective en Europe) avec des effets sévères sur les prix qui vont devenir erratiques. Idem pour le gaz dans 10 à 20 ans (et cela a déjà commencé en Europe). Nous entrons dans une zone de récessions potentielles à répétition. La contrainte énergétique va monter. La transformation, qui est la base de l’économie, sera plus contrainte et le PIB baissera.
L’Hémicycle – Que peut-on faire pour sortir de cette spirale ?
JMJ : Mettre l’énergie au centre de nos priorités, sachant qu’on ne change pas de politique énergétique en un jour. La vision doit se faire à l’échelle d’une cinquantaine d’années. Il faut d’abord éviter les mauvais choix, comme ceux qui ont été effectués il y a 30 ans : l’énergie pas chère a permis l’étalement des villes qui prépare des drames de demain. Il ne faut pas seulement un plan correctif, mais une refonte complète. Sinon, le risque serait de créer une véritable poudrière alimentée par la détresse économique et la hausse du chômage.
L’Hémicycle – Mais pourquoi les partis de gouvernement ne tiennent-ils pas assez compte des contraintes physiques ?
JMJ : Je vois deux raisons. La première, c’est que les politiques, à quelques exceptions près, n’ont pas de formation scientifique. Il y a deux cents ans, les grands scientifiques de notre pays étaient très impliqués dans la politique. Ils ont disparu. Aujourd’hui, les politiques sont plus souvent des avocats ou autres professions littéraires. Ils ne font pas la différence entre le réel et l’irréel. Le monde vit dans une sorte d’apesanteur pleine de promesses intenables. Il n’y a pas de compréhension des lois physiques dans l’appréciation de l’évolution du monde. C’est grave ! La deuxième raison, c’est que les élus sont habitués à ne manipuler que des chiffres en lien avec l’économie. Ces chiffres sont désormais très incomplets et ne permettent pas d’apprécier le bon fonctionnement du monde. L’un des enjeux majeurs est donc de réconcilier au plus vite les élus et les experts !.