BIP : Que retenez-vous de l’actualité énergétique du mois d’avril ?
JMJ : Spontanément j’aurai tendance à dire : rien de très différent par rapport à mars ! Mais je vais tempérer un peu ce propos en soulignant quelques signes encourageants qui se sont manifestés en avril. Tout d’abord, il y a eu la publication le 12 avril par l’assemblée nationale d’un rapport parlementaire au nom de la mission d’information sur l’effet de serre. Cette publication me semble mériter l’attention à plus d’un titre. Premièrement, deux députés de deux bords politiques opposés – Jean-Yves Le Déaut (PS), président de cette mission, et Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP), rapporteur – se retrouvent pour dire que la prolongation tendancielle n’est pas la croissance indéfinie, mais de
sérieux ennuis en perspective.
En second lieu, j’ai été impressionné par la pédagogie inhabituelle pour un tel document. Le rapport s’avère un véritable outil de vulgarisation, qui mériterait une large diffusion. La tonalité du rapport est aussi inhabituelle, le président usant notamment dans l’introduction de mots très forts. Enfin, le rapport fait des propositions aussi courageuses qu’il est possible de faire dans ce genre de cadre, notamment en préconisant une fiscalité accrue sur l’énergie. Notons aussi un discours de François Bayrou, président de l’UDF, prononcé en avril (1), qui tranche un peu avec quelques prises de position antérieures.
Est-ce à dire que les responsables politiques ont pris conscience de la problématique de l’effet de serre, une perturbation « totalement irréversible à l’échelle d’une vie humaine », soulignez-vous dans un récent ouvrage ?
Je resterais prudent dans cette analyse, car les discours ne se traduisent pas nécessairement en faits. De plus, tout élu a une certaine tendance à faire varier son discours en fonction des circonstances et du public. Si nous tentons une synthèse – et sans être partisan -, les rares manifestations de curiosité que j’ai eues viennent plus de la droite que de la gauche. Le parti socialiste n’est pas en pointe sur ce sujet !
BIP : Quelles places devraient avoir les thématiques énergétiques et environnementales au sein de la campagne présidentielle ?
JMJ : Cela devrait constituer l’un des thèmes centraux de la campagne pour l’élection du président en 2007. Je fais juste une remarque. On est habitué depuis quelques année à ce qu’un candidat fasse deux mandats successifs. Le prochain pourrait ainsi présider la France jusqu’en 2017… Il connaîtra donc les prémisses – si ce n’est plus – du pic de production du pétrole ! L’avènement de ce pic continuera à faire débat parce qu’une part des éléments restera imprécise jusqu’au dernier moment, mais j’ai été frappé par l’absence de réaction à des propos récents de Thierry Desmarest [le p-dg de Total, NDLR] situant le pic vers 2020. Dans 15 ans, nous pourrions inverser plusieurs millénaires de croissance de la mobilité, et rien ne se passe dans les débats politiques ! Il y a donc urgence à s’informer pour nos responsables politiques, et à formuler des visions pour l’avenir adaptées aux enjeux énergétiques et environnementaux.
BIP : Le gouvernement actuel réagit au cas par cas à la hausse du prix du pétrole, comme en témoignent encore les aides accordées en avril aux pêcheurs. Que pensez-vous de cette politique ?
JMJ : On pratique l’anesthésie avant l’amputation. Le problème ne se réglera pas en faisant les pompiers ! L’Etat ferait mieux de donner le signal suivant : aucune détaxe sur les carburants – le prix de l’énergie doit être maintenu à un niveau élevé – mais proposer en revanche des aides différentes aux professions touchées.
Moins nous nous préparons aujourd’hui à l’après-pétrole, plus nous subirons un changement brutal et radical. Il faut agir maintenant ou subir un peu plus tard.
BIP : Pour les pêcheurs par exemple, quelles solutions préconisez-vous ?
JMJ : L’Islande a fait un travail remarquable pour adapter cette filière. Car dans ce cas précis, le pétrole n’est pas la seule ressource qui doit retenir notre attention, le poisson l’est tout autant… Il faut donc que le prix du poisson soit plus cher, que les pêcheurs pêchent moins et aussi faire en sorte de sortir de la filière une partie des pêcheurs. Il faut un courage politique évident pour mener de telle politique.
Dans un ouvrage récent que vous avez co-écrit avec Alain Grandjean, vous alertez le lecteur sur le fait que son mode de vie n’est pas durable. Aussi la hausse actuelle du prix de l’énergie pourrait s’avérer une bénédiction pour « désintoxiquer » nos sociétés occidentales des énergies fossiles. Avez-vous eu des retours de la classe politique à propos de votre ouvrage ?
A part le président de l’UDF, François Bayrou, qui le cite explicitement dans un discours, aucun autre signe ne m’est parvenu, alors que la presse économique lui fait assez largement écho. La classe politique a peut-être du mal à cerner ce problème complexe, mais il est bon de se rappeler que l’ignorance des lois physiques ne permet pas d’y échapper pour autant. L’effet de serre n’est rien d’autre que cela finalement, un problème physique, tout comme l’est la raréfaction progressive des énergies fossiles…
BIP : Vous prônez le recours à la fiscalité pour parvenir à cette « désintoxication ». Cela peut-il se faire sur un plan national, ou l’action doit-elle être européenne, voire mondiale ?
JMJ : En matière de changement climatique et de baisse progressive de la production des énergies fossiles, il n’y a pas d’anticipation qui vaille sans augmenter le prix de l’énergie plus vite que le pouvoir d’achat, comme nous le disons dans notre livre. Agir seul ne servirait à rien ? Pour le changement climatique, c’est certain, mais pour la sécurité d’approvisionnement c’est l’exact contraire : moins les autres agissent, plus la consommation augmente, plus le pic de production est proche, et donc plus nous avons intérêt à nous « défaire » du pétrole avant les ennuis. Là est le paradoxe, un Etat seul peut s’engager dans cette voie. Le maintien des politiques actuelles dans les autres pays prouvera plus tôt que s’il n’avait pas été seul que la désintoxication aux énergies fossiles est inéluctable.
BIP : Beaucoup d’observateurs ont les yeux rivés sur la Chine…
JMJ : Peu d’experts sont convaincus que la Chine puisse atteindre un niveau de développement similaire aux sociétés occidentales en usant d’une politique énergétique largement centrée sur les énergies fossiles. Pour ma part, il est tout simplement impossible qu’il en soit ainsi. Les représentants chinois n’y croient pas non plus d’ailleurs. La Chine pourrait toutefois nous surprendre, habituée qu’elle est à prendre des décisions politiques brutales et radicales.
BIP : Justement la Chine parie aussi sur le nucléaire. En un mot, la priorité c’est quoi pour vous, lutter contre l’effet de serre ou contre le nucléaire ?
JMJ : Le nucléaire, en Chine, reste marginal face au charbon, cela étant il n’y a aucune ambiguïté pour moi : c’est la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre qui prime. Le nucléaire est une technique dont il serait dommage de se priver dans le contexte que nous connaissons.
J’observe que les anti-nucléaires radicaux font explicitement le choix inverse. Il y a quelques semaines, ils étaient bien présents à Flamanville pour protester contre le nouveau réacteur EPR. En revanche, personne n’a manifesté en Bretagne ou dans les Bouches-du-Rhône après l’annonce par plusieurs entreprises du lancement de la construction de centrales à cycle combiné à gaz… technique qui rejette entre autres du gaz à effet de serre,mais qui est présentée comme une bonne manière de remplacer le nucléaire !