Editorial paru avec l’édition de décembre 2017 de la revue Clefs CEA, consacrée à la transition énergétique
En route pour la transition énergétique ! Tel aurait pu, au fond, être le slogan d’à peu près n’importe quel monarque, chef de clan ou président depuis qu’il existe des hommes, puisque, aussi loin que remonte notre connaissance, dompter l’énergie a été au cœur des envies humaines.
Cet intérêt n’est pas étonnant quand on se rappelle que l’énergie est, par définition même, la transformation de toute chose. Faire entrer une nouvelle énergie dans le champ de notre influence, c’est donc, un peu ou beaucoup, accroître notre pouvoir de modifier l’environnement, et donc la prise sur notre destin.
Domestiquer la combustion, il y un million d’années environ, nous a fourni un premier avantage décisif sur l’environnement, et plus précisément sur nos prédateurs (qui n’aiment pas le feu) et nos proies (parfois chassées avec des incendies).
Puis, il y a 10.000 ans, nous avons domestiqué la photosynthèse, et de l’agriculture est née une foule de choses aujourd’hui encore au cœur de nos vies : la sédentarisation, la propriété foncière, le commerce, les villes, l’administration, la fiscalité, la comptabilité….
L’exploitation des énergies mécaniques déjà présentes autour de nous (force du vent, force de l’eau) a fait franchir un pas supplémentaire à l’industrie et au commerce, puis c’est à nouveau la combustion qui a été au centre de l’avancée la plus marquante des derniers siècles : la machine à vapeur et le moteur à combustion interne.
Les combustibles fossiles, qui constituent la nourriture de ces exosquelettes d’un genre particulier, ont permis de démultiplier par plusieurs centaines la capacité de transformation de nos seuls bras et jambes. « Consommer de l’énergie », en fait, est une expression impropre : nous ne buvons pas le pétrole (pas plus que nous mangeons le charbon ou l’uranium), et il faut toujours la remplacer par « mobiliser des machines à notre profit« .
Et plus cette énergie est présente dans l’environnement sous une forme dense, et prête à l’emploi – le pétrole représente l’optimum de ces deux facteurs conjugués – et plus l’accès à cette énergie permettra de mobiliser un grand nombre de machines par individu… et donc d’augmenter les ressources transformées, c’est à dire son pouvoir d’achat. Voici pourquoi l’approvisionnement énergétique d’un pays donne désormais, au premier ordre, sa production économique au sens du PIB.
Mais, à 7 milliards sur Terre, nous sommes devenus trop nombreux pour avoir assez de pétrole, gaz et charbon pour en consommer jusqu’à plus soif pendant des siècles, et trop émetteurs de gaz à effet de serre pour éviter une déstabilisation massive du système climatique, dont 10.000 ans de stabilité ont précisément permis aux civilisations sédentaires d’en arriver là où elles sont.
Nous sommes mêmes trop nombreux pour maintenir notre niveau de vie avec juste des renouvelables, et trop indécis sur la hiérarchie des risques pour voir le nucléaire comme une grosse marge de manœuvre.
La transition énergétique de notre temps présente donc une caractéristique nouvelle : elle ne permettra pas de passer, comme ce fut le cas jusqu’à présent, d’un système à un système plus performant. Elle sera nécessairement le passage d’un système « sans limites » à un système hautement contraint. Sacré défi, que nous n’avons que quelques décennies pour relever sans trop de casse…