NB : la version originale de l’article était titrée : « Suis-je un conseiller de Bayrou ?«
Depuis qu’il m’arrive d’avoir les honneurs épisodiques de la presse, divers journalistes, le plus souvent sans aucune intention de me nuire, m’ont affublé de « titres » divers, aussi fantaisistes qu’ils sont parfois charmants. Je me suis par exemple retrouvé ici « professeur à l’Ecole Polytechnique » (quel honneur ! je n’en suis hélas qu’ancien élève), ou là « ancien ingénieur à France Télécom » (où je n’ai jamais travaillé ; je ne suis qu’ancien élève – aussi ! – de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications de Paris), avec une variante (au sein d’un article qui pour le coup était franchement agressif) qui était « ancien technicien des télécoms » (ce qui était un hommage bien excessif à mes aptitudes au bricolage).
Plus près de la réalité, on m’a aussi qualifié de « climatologue » (ce que je ne suis pas, n’étant que modestement « ingénieur conseil spécialisé dans l’énergie et le climat »), et là membre du GIEC (ce qui est doublement impossible, puisque le GIEC n’a pas de membres personnes physiques, et que par ailleurs je n’ai jamais participé à l’élaboration du moindre rapport de cet organisme), et je dois oublier quelques médailles que l’on m’a accroché au poitrail alors qu’elles n’étaient pas pour moi.
Enfin une dernière catégorie de titres étonnants concerne des tribunes parues dans la presse – mais signées de personnes qui ne sont pas journalistes – où je suis devenu, le plus souvent, un obligé de la filière nucléaire (où je n’ai jamais travaillé comme salarié , et avec qui j’ai fait 2% de mon chiffre d’affaire depuis que je suis consultant « dans » l’énergie et le climat). J’ai ainsi découvert que j’étais salarié ou consultant du CEA, ou encore conseiller d’EDF ou d’Areva, avec là aussi une capacité à inventer qui laisserait pantois les responsables du concours Lépine.
Ce qui suit va surtout concerner la dernière trouvaille en date, due au Monde, qui, dans un article du 26 février 2007 consacré à François Bayrou, indique que « ses principaux conseillers sont l’universitaire Jean-Marie Pelt et le spécialiste des questions de l’énergie Jean-Marc Jancovici ». Rédigé de la sorte, je ne serais qu’à moitié surpris que nombre de lecteurs comprennent que j’ai pris mes quartiers dans un bureau communiquant avec celui du président de l’UDF, et que si Bayrou pousse la porte de l’Elysée j’ai un maroquin qui arrive le lendemain matin par porteur présidentiel. Qu’en est-il vraiment ?
La petite histoire avec l’UDF
J’ai effectivement eu l’occasion de rencontrer François Bayrou à plusieurs reprises. L’origine de mes contacts avec lui est du reste une histoire suffisamment amusante pour qu’elle mérite d’être (ra)contée. J’avais décidé, au moment où j’ai constitué la liste de diffusion de mon site (il y a quelques années), que j’y inscrirais d’office tous les pontes de tous les partis politiques pour lesquels une adresse mél me tomberait sous la main. Pour tous ceux qui sont députés, il n’y a rien de plus facile : leurs adresses électroniques sont disponibles sur le site de l’Assemblée Nationale. C’est ainsi que le mél de Bayrou s’est retrouvé d’office dans cette liste, mais j’y ai tout aussi vaillamment mis – à la même époque – Strauss-Kahn, Royal, Hollande et Fabius (ça c’est pour le PS, pour ceux qui auraient raté une marche), ou encore Balladur, Baroin, Juppé et Dupont-Aignan pour le camp d’en face (et il y a aussi quelques communistes et Verts, pour n’oublier personne).
Et puis… un jour, à la suite d’un envoi d’un petit mot de nouveautés, et à ma grande surprise, Bayrou me répond directement (j’ai un moment cru qu’un de ses enfants avait joué avec sa messagerie, tellement je suis peu habitué à ce que les grands de ce monde gèrent directement leur courrier électronique). A la fin de sa réponse, il me propose de passer le voir pour discuter de mes sujets favoris. Je vous pose la question : à ma place, vous auriez dit quoi ? Que pour respecter la plus stricte neutralité politique, c’était non, ou que c’était oui seulement si Hollande et Sarkozy disaient oui en même temps ?
J’y suis donc allé, et avec plaisir encore, comme tout le monde ou presque l’aurait fait à ma place, sauf éventuellement ceux qui sont encartés dans un parti adverse. De notre premier contact est venue une proposition d’intervenir au congrès de l’UDF, non pour chanter les louanges de tel ou tel individu, mais « simplement » pour parler de réserves de pétrole et de changement climatique. Là encore, sachant que je passe une partie non négligeable de mon temps à faire ce genre de numéro de claquettes pour des publics très divers, avais-je une quelconque raison de refuser de le faire avec 2000 personnes dans la salle, dont de nombreux élus locaux ? Pas que je sache, et je ferai exactement la même chose, si je suis disponible (et qu’on me le demande, petit détail qui n’aura échappé à personne), pour le PS et l’UMP. Enfin, à la suite de ce congrès, j’ai proposé à Bayrou de revenir le voir pour lui faire un exposé complémentaire, comme je le fais toujours quand j’arrive à coincer un « grand de ce monde », et comme il a dit oui je me suis précipité pour lui projeter le reste de mon powerpoint favori, avant de discuter sur un point majeur, dont je discuterais avec tout autant de plaisir au sein des autres partis, à savoir comment ce genre de « dures vérités » peut trouver sa place dans un discours politique. Présenter des courbes, puis en discuter les implications pour l’activité de mon public : rien que de très banal pour ce qui me concerne (je fais cela une fois par semaine au moins), même si le public est « très particulier » quand c’est un chef de parti.
Au moment de la sortie du « Plein« , c’est donc tout naturellement que j’ai envoyé un exemplaire de notre prose à Bayrou. Mais ce livre est aussi parti en direction de Sarkozy et de Royal (dans un cas comme dans l’autre c’est Yann Arthus-Bertrand qui leur a mis entre les mains, mais à la différence de Bayrou je ne garantirais pas qu’ils l’ont lu !), tout comme il a été offert par mon éditeur à tous les députés de l’Assemblée Nationale – et là encore c’est grâce à l’ami Arthus-Bertrand – au moment du passage d’Al Gore à Paris (pour l’anecdote, je n’ai reçu à la suite qu’un seul mot de remerciements, et aucune demande de rendez-vous).
Et puis, à ma grande surprise (mais c’est une bonne surprise), j’ai commencé ensuite à voir poindre la taxe carbone – et même parfois mon nom – dans les discours de Bayrou. Vais-je me plaindre que l’un des prétendants républicains à l’Elysée décide, lecture faite, de reprendre cette proposition et d’en nourrir le débat public ? Bien sûr que non. Et je lui fais crédit d’un minimum de sincérité et de courage, car je ne pense pas que l’on imprime des tracts électoraux – j’ai des preuves, mes parents en ont reçu un ! – proposant d’augmenter les taxes sur l’énergie (la fameuse « taxe carbone ») si la conviction n’est pas là : c’est tellement plus facile de proposer l’inverse au nom de la défense du pouvoir d’achat (qui sera encore plus férocement entamé si nous ne mettons pas cette taxe en route, mais c’est une autre histoire).
Le fait que le candidat Bayrou se soit emparé le premier de cette proposition fait-il de moi son obligé ? Au risque de vexer nombre de personnes à l’UDF, pas plus que cela. Mon ambition folle est bien de contribuer à ce que l’ensemble des candidats approuvent cette mesure, et qu’ils la considèrent comme évidente, comme ils considèrent tous comme évident le fait que nous ayons une TVA, des cotisations retraite, ou qu’il soit interdit de tuer des enfants. Il reste largement de quoi se battre sur des tas d’autres sujets ! Et cette « ambition » est parfaitement cohérente avec l’esprit du Pacte Ecologique de Nicolas Hulot, qui reprend cette mesure, et dont j’ai l’honneur d’être un des rédacteurs : il y a des choses « tellement importantes », et tellement structurantes, qu’il est souhaitable que tout le monde s’en empare, et la taxe carbone en fait partie. Je ne vois pas la moindre raison de pleurer parce que le premier à le faire avec conviction est Bayrou. Et ni ce dernier ni ses lieutenants ne m’ont demandé la moindre allégeance à l’UDF – ou proposé de prendre une carte – en échange de notre temps de discussion ou de la « récupération » d’une proposition à laquelle j’ai contribué.
Du reste, comme je l’ai indiqué plus haut, depuis que je m’agite sur le climat de 2100 j’ai envoyé des hameçons dans toutes les directions, et pas seulement à l’UDF. La pêche a été plus maigre ailleurs, c’est tout, et c’est regrettable, vu le sujet, parce qu’il serait temps que le PS et l’UMP comprennent que nous n’allons pas rejouer les 30 Glorieuses pour les 30 ans qui viennent. A l’UMP, j’ai eu l’occasion de rencontrer Nicolas Sarkozy une heure il y a 2 ans à peu près (c’était juste avant qu’il soit nommé ministre de l’intérieur), mais au jour où j’écris ces lignes il n’a jamais été possible de « transformer l’essai », c’est-à-dire de disposer, comme pour Bayrou, d’une ou deux longues séances de travail avec petit cours de physique (qui est au-dessus de nos désirs, je rappelle !) et discussion ensuite. Et ce n’est pourtant pas faute d’avoir demandé…
Avec l’UMP
Anecdote amusante, l’ami Sarkozy a écrit dans Le Figaro du 8 novembre 2006, à la suite de la conférence de presse présentant le pacte écologique « Je souhaite maintenant rencontrer le comité de veille écologique (…) ». J’en fais partie (il s’agit du « think tank » de la Fondation Hulot, qui a accouché du pacte éponyme), mais apparemment il a changé de souhait, car j’attends toujours mon RDV ! (pour être parfaitement précis, depuis ma première – et seule – rencontre avec Sarkozy, j’ai eu 4 propositions de RDV qui ont toutes été décommandées par mon interlocuteur une semaine avant la date prévue). J’ai également reçu une invitation à aller causer à un congrès de l’UMP qui portait spécifiquement sur les questions d’environnement en avril 2006, mais j’étais déjà pris et n’ai pas pu aller. Toutefois, un quart d’heure dans un congrès (car dans ce genre d’enceinte il est tellement important d’être vu que les gens se bousculent pour y causer et le ticket par personne excède rarement 15 minutes) c’est un peu court pour faire le tour des limites physiques du monde. Ma pêche à l’UMP m’a permis de nouer le contact avec quelques députés, dont certains maîtrisent bien à très bien ces sujets, mais les occasions de dialogue approfondi avec la tête du parti n’ont jamais vu le jour.
Avec le PS
En ce qui concerne le PS, le bilan des courses est encore plus facile à faire : c’est proche de zéro ! Ce parti compte pourtant trois parlementaires qui ont participé à des rapports sur le climat ou l’énergie (Jean-Yves Le Déaut et Paul Quilès, deux députés, et Claude Saunier, un sénateur), dont deux au moins sont remarquables et ont été remarqués (je n’ai pas lu le troisième), mais l’audience de ces parlementaires au sein de leur propre parti est très faible, et je n’ai jamais réussi à rencontrer qui que ce soit de proche du sommet par leur entremise (et nombre de scientifiques du climat et d’experts des ressources fossiles que je connais sont dans le même cas).
De quel bord suis-je finalement ?
Une autre attitude pourrait éventuellement justifier que l’on me catalogue comme proche de l’UDF : que ce parti ait régulièrement recueilli mes suffrages depuis que je vote. Mais ce n’est même pas le cas : au cours des 20 dernières années, j’ai voté à peu près de tous côtés, sauf pour les extrêmes, et en fait mon vote le plus fréquent a du être le bulletin blanc. C’est ma manière à moi de marquer mon hésitation quand d’un côté comme de l’autre les programmes proposent des choses intelligentes associées à des âneries majeures, ou que je ne sais vraiment pas quel est le candidat qui me déplaît le plus (car une élection est le plus souvent l’exclusion de celui qui vous énerve le plus et non le plébiscite d’une personne dont on est presque amoureux !).
Maintenant revenons à la question : suis-je un conseiller de Bayrou ? Si toute personne avec qui on passe 4 heures est votre « conseiller », alors la réponse est oui sans aucun doute, mais à ce tarif là je dois être le conseiller de centaines de personnes ! Si « être conseiller » signifie que je suis heureux de pouvoir répondre à une question quand il en a une à me poser, alors oui encore, mais j’y répondrais avec tout autant d’entrain si je recevais un mél ou un coup de fil d’un dirigeant d’un autre parti (quelle prétention, hein), et, accessoirement, je passe probablement plus d’une heure par jour à répondre à des méls de gens qui me posent une question, et tous ne sont pas présidents de partis politiques. Mais si « conseiller de Bayrou » suppose que je suis membre de son équipe de campagne, que j’ai emménagé rue de l’Université, que j’ai donné des consignes de vote, ou que je refuse de parler à d’autres responsables de partis, alors non, je ne suis pas « conseiller de Bayrou ». Cela n’enlève rien au plaisir que j’ai à discuter avec l’homme, car il est toujours agréable de parler de son sujet favori à quelqu’un que cela semble intéresser, mais je n’ai aucun poste, titre ou rôle particulier à l’UDF en dehors de ces échanges épisodiques, que j’ai avec de nombreux autres interlocuteurs.
La politique est un dur métier, tellement dur que personnellement je ne suis pas sûr que j’aurais très envie de l’exercer (car, il faut bien l’avouer, nous autres électeurs-consommateurs-automobilistes-parents d’élèves-contribuables-etc sommes avant tout un sacré paquet d’emmerdeurs, et il en faut du courage pour gérer notre schizophrénie). Si ceux qui en font la profession souhaitent « consulter » des porteurs d’informations factuelles pour prendre des décisions plus éclairées, leur refuser cela serait faire preuve d’un sens citoyen discutable, et en pareil cas il serait assez mal venu de se plaindre ensuite que nos chers édiles décident « n’importe quoi ». Je continuerai donc à fréquenter les « grands élus » chez qui je peux avoir un accès, même si cela fait courir le risque qu’un certain journal du soir aimant rien tant que la polémique parfois (et qui ne m’a pas contacté le moins du monde avant de me coller cette étiquette sur le front) me présente comme virtuellement encarté chez mon interlocuteur du moment.