Tribune parue dans Les Echos 3 juin 2014
Qu’il s’agisse de climat, du temps d’un trajet en train, ou de ventes d’une entreprise, une situation « normale » est généralement comprise comme une situation où demain ressemble à la moyenne de ce qui s’est passé hier. Ainsi, si la température de demain à Paris doit être « inférieure à la normale de saison », nous comprendrons tous qu’il fera moins chaud que ce que, en l’absence de toute autre indication, nous aurions considéré il y a 2 mois comme le plus probable pour ce jour là.
Cette question de la normalité future s’applique aussi au PIB, agrégat qui nous rend particulièrement fébrile en ce moment, puisque les recettes fiscales, le taux d’emploi sans baisser les salaires, le déficit public ou encore la capacité d’investissement en dépendent plus ou moins directement. Que serait un PIB « normal » pour l’avenir ? Peu nombreux sont ceux qui diront que, comme pour les températures, ce serait le même qu’hier ! Ce que nous allons considérer comme stable est plutôt sa variation moyenne sur les quelques décennies qui viennent de s’écouler.
Parlons chiffres : de 1960 à 2012, le PIB [NDR : français, évidemment] – exprimé en monnaie constante – a augmenté d’environ 3% par an, hausse qui se limite à 2% par an si nous partons de 1974 (premier choc pétrolier). Le 2% « prudent et réaliste » du programme de Hollande n’est probablement pas à chercher ailleurs.
Mais… depuis 2007, la variation annuelle est de 0,1% (autant dire 0), et si nous regardons le PIB par personne, la « normale » 2007-2012 est même de -0,4% par an. Si la croissance a connu un brusque coup d’arrêt, une évolution est elle restée bien plus stable depuis 1960 : la variation de la croissance annuelle du PIB, qui a perdu 0,1% tous les ans en moyenne. De 5 à 6% par an au début des années 1960, la croissance a ainsi perdu 1% par décennie, pour arriver à zéro « en moyenne » aujourd’hui.
Si nous considérons que la norme sur le long terme est une baisse de 0,1% par an de la croissance, alors le PIB « normal » de demain sera d’abord celui d’aujourd’hui, puis, dans une décennie, de 4% inférieur, et dans deux décennies de 16% inférieur. N’est-ce pas sur cette situation qu’aurait du tabler un président réellement « normal » ?
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques qui sont bien entendu non publiés avec l’article, mais qui sont utiles pour éclairer les propos !
Evolution de la croissance du PIB en France depuis 1961 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges), et deux calculs qui en découlent.
En orange figurent les valeurs moyennes du taux de croissance sur les périodes 1961 – 1973 (1973 est la date du premier choc pétrolier), 1974-2007 (2007 est l’année qui suit le maximum de la disponibilité énergétique de l’OCDE), et 2008-2014.
Le trait violet en tiretés donne la tendance suivie par ce taux de croissance de 1961 à 2014. Le retour de la croissance permettant de subventionner à tout va la « croissance verte » ne semble pas si évident que cela !
Calculs de votre serviteur sur données World Bank
Evolution de la croissance du PIB en France depuis 1961 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges, qui reprend exactement la courbe précédente, mais l’axe horizontal couvre une plus grande plage de temps), et diverses interprétations qui en sont faites.
En rouge figure la moyenne de ce taux de 1961 à 2014. Le trait bleu fin qui se termine par une flèche donne la tendance suivie par ce taux de croissance sur la période 1961-2014 (« en moyenne », ce taux baisse de 0,1% par an).
Le trait bleu en pointillés qui y fait suite donne la manière dont évoluerait ce taux de croissance (qui deviendrait donc très vite un taux de décroissance !) si il « prolongeait la tendance » du trait bleu fin à l’avenir. Intuitivement, c’est plutôt ce que nous aurions envie de choisir si on nous demandait ce que nous estimons le plus vraisemblable, non ?
Calculs de votre serviteur sur données World Bank
Evolution du PIB en France depuis 1960 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges, sur la partie de gauche du graphique), en milliards de dollars de 2014, et diverses manière de « prolonger la tendance ».
La courbe rouge en trait plein applique chaque année à partir de 2015 le taux de croissance moyen sur la période 1960-2014 (qui est donc de 2,9% par an). En monnaie constante, le PIB français de 2100 vaudrait alors la moitié du PIB mondial actuel !
La courbe verte prolonge la droite de tendance du PIB de 1960 à 2014. Avec cette manière de faire, c’est l’incrément annuel – en valeur absolue – qui est constant, et donc le taux de croissance baisse chaque année, mais reste positif sur toute la période.
La courbe rouge en tireté prolonge la variation du taux de croissance observée de 2007 à 2014, soit 0,3% par an.
La courbe bleue en tiretés prolonge non point le taux de croissance moyen (comme la courbe rouge), mais la variation moyenne du taux de croissance sur les 50 dernières années (elle correspond donc à la prolongation en tiretés bleus du graphique précédent, et le taux de croissance devient un taux de décroissance avant 2020).
Question : quelle est l’évolution « normale » pour l’avenir, puisque chaque courbe prolonge quelque chose du passé ?
Calculs de votre serviteur sur données World Bank
Evolution de la croissance du PIB par personne en France depuis 1961 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges), et deux calculs qui en découlent.
En orange figurent les valeurs moyennes du taux de croissance sur les périodes 1961 – 1973 (1973 est la date du premier choc pétrolier), 1974-2007 (2007 est l’année qui suit le maximum de la disponibilité énergétique de l’OCDE), et 2008-2014 (la moyenne est donc négative sur ce dernier intervalle).
Le trait vert en tiretés donne la tendance suivie par ce taux de croissance de 1961 à 2014.
Calculs de votre serviteur sur données World Bank
Evolution de la croissance du PIB dans le monde depuis 1961 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges), et diverses interprétations qui en sont faites.
En rouge figure la moyenne de ce taux de 1961 à 2013. Le trait bleu fin qui se termine par une flèche donne la tendance suivie par ce taux de croissance sur la période 1961-2013 (« en moyenne », ce taux baisse de 0,06% par an).
Le trait bleu en pointillés qui y fait suite donne la manière dont évoluerait ce taux de croissance (qui deviendrait donc un taux de décroissance vers 2045) s’il « prolongeait la tendance » du trait bleu fin à l’avenir.
Calculs de votre serviteur sur données World Bank
Evolution du PIB mondial depuis 1960 (courbe bleue en traits pleins avec marques en losanges, sur la partie de gauche du graphique), en milliards de dollars de 2014, et diverses manière de « prolonger la tendance ».
La courbe rouge en trait plein applique chaque année le taux de croissance moyen sur la période 1960-2014 (qui est de 3,5% par an). En monnaie constante, le PIB mondial de 2100 vaudrait alors plus de 20 fois le PIB actuel !
La courbe verte prolonge la droite de tendance du PIB de 1960 à 2014. Avec cette manière de faire, c’est l’incrément annuel – en valeur absolue – qui est constant, et donc le taux de croissance, qui reste positif, baisse néanmoins chaque année.
En rouge tiretés, nous allons trouver la prolongation du taux de croissance observé de 2007 à 2014, soit 1,9% par an. La courbe en pointillés bleus fait très légèrement décroître ce taux au cours du temps, en reproduisant la variation du taux de croissance sur la période 2007-2013.
En bleu tiretés imagine que le taux de croissance suit le trait en tiretés bleus du graphique précédent. A ce moment, le PIB mondial de 2100 représente la moitié de celui d’aujourd’hui.
Question : quelle est l’évolution « normale », puisque chaque courbe prolonge quelque chose du passé ?
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