Chronique parue dans L’Express du 23 mars 2021.
Le principe de cette chronique mensuelle publiée dans l’Express est de commenter un fait (mesurable ou observable), qui, le plus souvent, ne sera « pas évident » pour le lecteur. La tribune ci-dessous a été précédée d’un petit sondage qui posait la question suivante : « Dans les gaz à eet de serre (hors CO2), il y a le méthane. A votre avis, quelle part des émissions mondiales représente-t-il ? » Les réponses possibles étaient : « 5% des émissions » (14% des réponses), « 15% des émissions » (28% des réponses), « 25% des émissions » (34% des réponses), et « 50% des émissions » (24% des réponses).
Il est assez peu évoqué dans les émissions humaines de gaz à effet de serre. Il est incolore et inodore. Il est, il est… Ainsi aurait pu débuter une « question pour un champion », cherchant à faire deviner aux concurrents qu’il s’agit du… méthane. Tout comme le dioxyde de carbone (CO2), ce gaz possède la propriété d’absorber le rayonnement infrarouge émis par la surface de la Terre, ce qui est la définition exacte d’un gaz à effet de serre.
A la différence du CO2, qui est inaltérable tant qu’il se trouve au milieu de l’atmosphère, et qui doit revenir au contact du sol pour en être soustrait, le méthane, lui, est épuré dans l’air par réaction chimique. De ce fait, sa durée de vie est bien plus courte que celle du CO2 : il ne faut pas attendre un siècle pour voir un surplus diminué de moitié après arrêt des émissions, mais plutôt dix ans. En revanche, à poids égal, le méthane est beaucoup plus efficace pour intercepter le rayonnement infrarouge terrestre que le dioxyde de carbone.
Plus efficace dans l’absorption, mais épuré plus vite de l’atmosphère : au total, une tonne de méthane aura le même effet sur le climat, à l’horizon du siècle, que 28 tonnes de CO2. Résultat, le gros demi-milliard de tonnes de méthane que notre espèce a introduit dans l’atmosphère en 2019 constitue l’équivalent d’une petite moitié des 35 milliards de tonnes de CO2 fossile émis la même année. On ne parle donc pas de bricoles !
Le méthane, au total, représente un quart des émissions humaines, après le CO2 qui en représente les deux tiers, les quelques pourcents restants venant du protoxyde d’azote et de divers gaz fluorés. A la différence des émissions de CO2 fossile, pour lesquelles les inventaires reposent sur des consommations d’énergie assez bien connues, celles de ce gaz se fondent sur des estimations plus lâches.
Environ un tiers d’entre elles vient des animaux d’élevage qui ruminent : ovins, caprins, et surtout bovins. Ce processus qui leur est particulier s’appuie sur un système digestif à quatre estomacs, où les végétaux ingérés fermentent, avec, donc, des émissions de méthane. Ces dernières sont plus ou moins importantes en fonction du régime alimentaire (manque de chance, l’herbe du pâturage en provoque davantage que le fourrage en ensilage), ce qui explique pourquoi, sauf à mettre chaque vache sous scaphandre, il n’est pas possible de mesurer exactement les émissions de l’ensemble du cheptel, mais seulement de les estimer à partir du nombre de têtes.
Vient ensuite la riziculture, pour un quart du total. Dans les rizières, des débris organiques fermentent à l’abri de l’oxygène de l’air, exactement comme dans les zones humides, qui sont des sources naturelles de méthane. Les émissions varient en fonction des conditions climatiques, des modes de culture, et sont là aussi évaluées à partir des surfaces cultivées.
L’exploitation du charbon engendre 15 % du total mondial. Lors de la formation de la houille, à partir de fougères ayant vécu il y a 300 millions d’années, puis enfouies, compactées et fortement chauffées dans les sous-sols terrestres, il s’est également formé du méthane, qui s’est fixé au charbon (on parle d’adsorption). Lors de l’exploitation de la veine, il est relâché par le charbon, et, si la mine n’est pas ventilée, on risque le coup de grisou. Mais avec la ventilation, le méthane part dans l’air ! Dans une catégorie voisine, les fuites de gaz naturel lors de son extraction et son acheminement sont à l’origine de 8 % du total mondial.
Restent enfin les décharges (fermentation sous le sol des déchets organiques et des papiers et cartons), produisant 12 % des émissions, et les feux de forêt, 10 %. Il s’agit, dans ce dernier cas, d’émissions fugitives du bois fortement chauffé avant qu’il ne s’enflamme. Supprimer les combustibles fossiles ne fera disparaître qu’un petit quart des émissions de méthane. Pour le reste, les marges de manoeuvre consistent à diminuer fortement la taille du cheptel de ruminants, à empêcher la forêt de brûler, à mettre les déchets fermentescibles en méthaniseur, et à oxygéner l’eau des rizières.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de cet article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec la chronique, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Emissions de gaz à effet de serre par nature de gaz, en 2019. Le CO2 est décomposé par source. « lime calcination » désigne la calcination du calcaire, procédé consistant à chauffer très fort dans un four un mélange composé de calcaire et d’argile, pour obtenir du clinker, qui donnera du ciment. Cette calcination consiste en pratique à casser en deux la molécule de calcaire – CaCO3 – qui donnera de la chaux vive – CaO – et du CO2 (ce dernier part dans l’air). Ces émissions (« lime calcination ») ne relèvent donc pas de la combustion et sont exclusivement imputables à la fabrication du ciment.
« other » désigne le protoxyde d’azote, et les gaz fluorés utilisés dans les chaines du froid et quelques procédés industriels.
Evaluation de l’auteur sur sources diverses. PRG du méthane = 28.
Décomposition des émissions de méthane par source. Landfills = décharges ; Rice paddies = rizières ; Livestock = bétail ; Biomass burning = combustion de biomasse ; Coal mining = extraction charbonnière ; Gas supply = réseaux de gaz ; Gas venting = émissions fugitives au lieu de production du pétrole et du gaz.
Source CDIAC