Tribune parue dans Les Echos du 15 septembre 2015
Le pétrole baisse ? Bonne nouvelle ! Le consommateur récupère du pouvoir d’achat, la balance commerciale des couleurs, et les commentateurs économiques de l’entrain. Pourtant, cette baisse du pétrole annonce peut-être un événement qui généralement ne fait rire personne : une nouvelle crise financière, alors que les pays de l’OCDE se débattent toujours dans les conséquences de la précédente, et que les émergents sont en train de décélérer un peu partout.
Car le baril à 40$ a une conséquence directe dans le monde pétrolier : il conduit à remettre sur étagères un certain nombre d’investissements dans l’exploration-production. Ce prix est en particulier bien trop bas pour rendre rentable les projets dans les sables bitumineux canadiens, dans l’essentiel des gisements de pétrole de roche mère américains, ou dans l’offshore profond un peu complexe, comme celui du Brésil.
Les observateurs du secteur s’attendent ainsi à ce que l’année 2015 soit marquée par une baisse de 20% à 40% des investissements des pétroliers, dont les suppressions de poste chez les parapétroliers sont la marque la plus immédiate.
Mais moins d’investissements aujourd’hui, c’est moins de production additionnelle demain. Comme la production mondiale de vrai pétrole (sans les liquides de gaz et les condensats) est à peu près stable depuis 2005, et que les gisements déjà en exploitation déclinent globalement de 5% par an, ce défaut d’investissement dans de nouvelles capacités devrait conduire à une production en baisse d’ici 1 à 5 ans.
Après, l’enchainement est implacable : moins de pétrole, c’est moins d’engins qui roulent, volent ou naviguent, donc moins d’échanges, donc moins de PIB, puisque pas une activité productive ne peut opérer sans transports amont et aval. Et moins de PIB, c’est moins de revenus pour rembourser une montagne de dettes qui n’en peut plus d’enfler.
A un moment, l’édifice chancellera. Aurons nous le défaut d’un état un peu conséquent ? Une réédition des défauts sur les crédits immobiliers aux USA ? Un crash boursier ? Dans tous les cas de figure, une crise devrait faire partie intégrante du contexte dans lequel nos candidats aux présidentielles vont réfléchir à leurs projets. Pas sur que ce soit le cas !
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Production mondiale de pétrole de 1900 à 2013, en marron, et de « liquides » (ce qui inclut à la fois le pétrole et les liquides de gaz et les condensats) en vert.
Si on compte tous les liquides (ce que font les statistiques les plus connues quand elles parlent du pétrole produit, notamment celles de BP), alors la production de « pétrole » semble continuer à croître au même rythme qu’avant, mais si on ne regarde que le « vrai » pétrole, celui qui sort de terre sous cette forme, alors la production a cessé d’augmenter en 2005.
Compilation de l’auteur sur données primaires non publiques (hélas !)
La courbe rose donne la variation de la production mondiale de pétrole en volume (il s’agit d’une moyenne glissante sur 3 ans).
La courbe bleue donne la variation du PIB par personne en moyenne mondiale (il s’agit aussi d’une moyenne glissante sur 3 ans).
On voit bien que le PIB par personne varie désormais exactement comme la production mondiale de pétrole en volume (en incluant ici les liquides de gaz et condensats).
L’asservissement est avec le volume, pas avec le prix, et il n’y a pas de lien entre prix et volume pour le pétrole). C’est bien la variation sur le pétrole qui précède celle sur le PIB depuis 1996, et non l’inverse.
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP Statistical Review 2015 et World Bank 2015
Dette des états européens ramenée au PIB de l’Europe (pas de données en 1995).
On constate qu’entre 2007 et 2013 cet indicateur a grimpé de presque 30%. La dette privée a suivi à peu près le même chemin.
Données : Eurostat
Dette fédérale US ramenée au PIB US.
On constate qu’entre 2007 et 2013 cet indicateur a grimpé de presque 50%. On voit aussi (et surtout) que ce ratio baissait pendant les Trente Glorieuses, et que la courbe s’inverse au moment des chocs pétroliers, qui correspondent à l’arrêt de la hausse de l’approvisionnement énergétique par personne.
Données : US Bureau of Economic Analysis
Encours de crédit du secteur privé dans le monde, en % du PIB.
Nous sommes proches des plus hauts historiques. Comme la dette publique est elle au plus haut historique, cela signifie que pour l’ensemble public+privé, nous sommes au plus haut.
Données : World Bank