Tribune parue dans Les Echos du 14 avril 2015
L’homme du 21è siècle sera-t-il un mélange croissant de biologie et de silicium, ou de muscles et d’acier ? En fait, contrairement à ce que le débat croissant sur « l’homme augmenté » laisse penser, le fait de suppléer nos faiblesses biologiques par du plastique et du métal est déjà une assez vieille histoire. Il y a un siècle et demi, le mineur a commencé à être « augmenté » par des pompes et des ascenseurs, avant que le marin ne soit « augmenté » par des machines à vapeur.
L’ouvrier du bâtiment est depuis longtemps « augmenté » par des cimenteries, aciéries, grues, camions et marteaux-piqueurs, comme l’agriculteur l’est par des tracteurs, usines d’engrais, entrepôts réfrigérés, camions, et trayeuses électriques. Notre espèce est désormais tellement « augmentée » qu’il n’y a plus un emploi qui ne dépende, directement ou indirectement, d’une machine.
Et alors qu’avec les premières poulies, faucilles ou scies, la machine était un modeste auxiliaire de l’homme, c’est désormais l’homme qui est devenu l’auxiliaire de la machine. C’est bien cette dernière qui transporte les marchandises, emboutit les tôles, polymérise le plastique, ou achemine les informations, et l’homme se contente de lui dicter sa volonté en appuyant sur des boutons, qu’il soit aux commandes d’un bulldozer, d’un porte-container, ou assis dans un bureau.
Si la production de bien et services est pour l’essentiel le fait de machines, nous avons alors besoin d’autant d’emplois qu’il y a de machines à commander. Il y a autant de chauffeurs routiers que de camions, autant d’employés de bureau ou de programmeurs que d’ordinateurs, autant de caissières que de caisses, autant de serveurs de restaurant que de fours, plaques de cuisson, et frigos, et autant de pêcheurs que de bateaux aptes à naviguer.
Mais ce qui met la machine en mouvement n’est pas juste notre volonté : il lui faut sa nourriture à elle, qui s’appelle l’énergie. Et voici pourquoi, dans les pays de l’OCDE, l’emploi répond avant tout à l’énergie disponible : cette dernière commande directement le nombre de machines qui peuvent fonctionner, et donc le nombre d’hommes qui peuvent être occupés à leur dire quoi faire. Avec cette grille de lecture, la décrue subie de l’approvisionnement énergétique supprime des machines au travail, et donc tue l’emploi. C’est exactement ce qui se passe en Europe depuis 2007, année où le continent est passé par son maximum d’approvisionnement en hydrocarbures, et du coup en énergie tout court.
Cadeau bonus : quelques graphiques à l’appui de l’article
Vous trouverez ci-dessous quelques graphiques non publiés avec l’article, mais utiles pour comprendre certaines affirmations.
Consommation d’énergie primaire en Europe, bois exclu, depuis 1965, en millions de tonnes équivalent pétrole
(une tonne équivalent pétrole = 11600 kWh).
« New Renewable » = toutes les renouvelables sauf le bois et l’hydroélectricité.
On note un maximum – pour l’heure – en 2006, soit un an avant le début de la crise économique qui a démarré en 2007.
Compilation de l’auteur sur sources primaires BP Statistical Review 2015
Fraction de la population âgée de plus de 15 ans qui possède un emploi dans l’Union Européenne depuis 1991.
On voit clairement que cette fraction a commencé à baisser en 2008, année qui suit le maximum énergétique de 2007, et que depuis la tendance est régulière.
Données Banque Mondiale, 2015
Même série que précédemment, pour les USA (données Banque Mondiale).
On voit que le taux d’emploi dans la population « post-crise » n’est pas celui d’avant crise (d’où le terme « reprise sans emplois » parfois utilisée. On voit même que la baisse démarre en 2000, or cette évolution est là aussi cohérente avec l’évolution de l’approvisionnement énergétique du pays (graphe ci-dessous), qui connaît une halte à la hausse en 2000, avant d’entamer une baisse en 2007.
Données Banque Mondiale, 2015
Evolution de l’approvisionnement énergétique des USA, en Millions de tonnes équivalent pétrole d’énergie primaire.
Données BP Statistical Review, compilation de l’auteur.