Tribune parue dans le magazine Décisions Durables en octobre 2012
Entre autres distractions sur l’agenda politique de la rentrée, le nouveau gouvernement nous a promis un débat sur la « transition énergétique ». Qu’il faille s’intéresser à l’énergie, c’est certain ! La bonne question, dans cette affaire, est surtout de savoir si cet exercice peut utilement pallier les carences d’un gouvernement qui arrive au pouvoir sans plan structuré sur cette question… de physique.
Physique, vous avez dit physique ? Assurément : rappelons que l’énergie est avant tout une grandeur physique, qui sert à mesurer le degré de transformation d’un système. Plus il y a d’énergie quelque part, et plus cela signifie une transformation importante du système concerné. Or vues sous l’angle physique, nos activités productives consistent uniquement à transformer des ressources naturelles en autre chose : du minerai en fourchettes, du calcaire en ciment puis en immeubles, du gaz et de la photosynthèse en pain, des minerais divers et du charbon en ordinateurs puis en services bancaires…
Puisque l’économie n’est qu’une machine à transformer, il en sort cette conclusion intéressante : la consommation d’énergie d’un pays donne donc, en première approximation, sa capacité de transformation physique globale, et donc… son PIB ! Pour chaque transformation élémentaire, on peut prendre le point de vue de l’économiste et compter une valeur ajoutée, ou celui du physicien et compter une énergie.
Faisons un peu d’histoire : tant que l’énergie des hommes venaient de leurs seuls muscles, l’économie d’un pays était à peu près proportionnelle à sa population. Pendant l’essentiel de l’ère chrétienne, le pays le plus peuplé de la planète (la Chine) était donc la première puissance économique mondiale. En passant à la machine mue à l’énergie, chacune capable de remplacer des milliers de paires de jambes, ce n’est plus la population qui a compté, mais la quantité de machines… et donc l’énergie que l’on pouvait mettre dedans.
Plus de production, c’est plus de consommation, et voici des classes moyennes se mettant à vivre mieux que des nobles du Moyen-Age ! Cette relation entre énergie et production explique pourquoi limiter l’usage de l’énergie n’a jamais été un objectif véritablement désiré dans les sociétés industrielles. Mais à force d’avoir trop attendu, ce n’est désormais plus notre désir qui va commander, mais les limites physiques du système terre.
La production mondiale de pétrole stagne depuis 2005 (d’où le choc de 2008 et la crise de 2009), et contraint désormais la consommation européenne – importée à 70% – à la baisse. Le gaz suivra d’ici 2020 ou 2025, malgré le « non conventionnel » qui permet à certaines régions – mais pas l’Europe, qui voit aussi son approvisionnement diminuer – de gagner du temps. Il reste beaucoup de charbon, mais à 90% hors Europe, et c’est une énergie qui voyage mal.
C’est surtout une mauvaise idée pour le climat, car le charbon est la plus émissive en CO2 des énergies fossiles. C’est au CO2 venant du charbon et du pétrole consommés depuis un siècle que nous devons – déjà – une pression croissante sur les récoltes ou des incendies qui se multiplient, toutes choses qui ne sont pas précisément bonnes pour assurer un avenir radieux !
Mise au régime question énergie, l’économie européenne est probablement en train de devenir structurellement récessive. Inutile de dire que cela va bouleverser quelques plans ! Face à ce défi, clairement identifié par ceux qui veulent bien se donner la peine de regarder les choses de près, les mesures à prendre sont logiques.
Il faut faire baisser la consommation en montant de manière planifiée le prix de l’énergie (qui sinon montera de toutes façons, de manière plus brutale et erratique, avec des ruptures d’approvisionnement de plus en plus fréquentes) et avec quelques mesures réglementaires à large spectre pour les véhicules et les bâtiments (70% de la consommation d’énergie au total).
Il faut par ailleurs développer des énergies « sans carbone » (nucléaire, capture du CO2 sur le charbon restant, et renouvelables), en commençant par celles qui coûtent le moins cher, externalités comprises. C’est la partie « psychologique » qui sera la plus difficile à piloter, puisqu’il s’agit d’admettre que le pouvoir d’achat va arrêter sa hausse « perpétuelle ». Inutile de dire que sur ce terrain le degré de préparation de l’équipe actuelle est, comme pour la précédente du reste, à peu près nul ! Et pourtant, l’histoire a amplement montré que devant un problème sérieux il vaut mieux faire front plutôt que de fuir devant l’adversité…
Résumons : notre gouvernement considère l’énergie comme un sujet parmi N, alors qu’il est à la base de tout le reste ; il se place dans le cadre d’une croissance retrouvée, que nous n’aurons pas ; il a fait des propositions de campagne anachroniques (blocage du prix des carburants, baisse du nucléaire) ou irréalistes à bref délai (rénovation thermique « de qualité » de 1 million de logements par an). Il y a 10 ans, ces lacunes relevaient déjà d’un amateurisme coupable. Mais en 2012, après plusieurs exercices similaires, nous frisons l’irresponsabilité. La sanction à ne pas devenir sérieux sera « juste » une désagrégation économique et sociale accélérée……